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175 sonnets

Publié le 21 septembre 2021 par Jean-Marie Le Ray

2450 alexandrins (29 400 pieds), c'est le nombre de vers que représentent 175 sonnets ! En fait 184 écrits sur une trentaine d'années, mais 9 d'entre eux sont sur support papier et je n'en dispose pas à présent. 

Comment définir ce qu'est, selon moi, un sonnet ? Tentons une pirouette :

Dialogue ou charade ou cocktail, cent mesures
Douze pieds cadencés menant à petits pas
Quatorze vers où vous ne les attendez pas
Surprenant au détour des rimes, des césures

L’utopique lecteur : une larme d’humour
Deux doigts de rythme, trois soupçons de fantaisie
Un quart de technique, mon tout de poésie
En nuage de rêve, en orage d’amour

Pour dispenser une eau de vie enchanteresse
À servir frappée par ces temps de sécheresse
À boire goulûment, sans modération…

Un sonnet est un grain, un souffle qui chahute
Les pollens au gré de son inspiration
Précipitant où fertile sera la chute !

J'ai donc décidé de créer le corpus de ces sonnets - soit près de 20 000 mots - pour en faire l'analyse statistique, qui donne une image assez fidèle des arguments traités. Voici le nuage sémantique des 20 premiers termes selon leur pondération :

175 sonnets
Un sonnet, c'est comme un métronome, qui donne le rythme aux quatorze alexandrins, dont chaque mot est à sa place, dont chaque mot a son sens.
Le sens des mots : vaste problème ! Ce sont les mots, et leur sens commun, qui nous permettent de vivre ensemble, la référence partagée sur le fondement de laquelle les gens dialoguent, le socle collectif sur lequel bâtir une société, une nation.
Mais qu'en est-il lorsque les mots sont manipulés, lorsque leur sens varie du matin au soir et du soir au matin, selon les circonstances et, surtout, les intentions cachées, le plus souvent trompeuses, de qui les prononce ?
Lorsque le sens des mots est atomisé en milliers, millions, milliards de mini-sens, même plus un sens par personne, mais un sens par personne et par instant, à tel point qu'ils finissent par ne plus vouloir rien dire...
Une atomisation contre laquelle je me suis battu toute ma vie, donc, je dois bien le reconnaître, ma bataille est un échec, cuisant...
Double bataille en tant que poète et traducteur (les deux fonctions étant intimement liées),  
« Chacun de nous a près de soi, sur sa table ou son bureau, un jeu d’invisibles, d’intellectuelles balances aux plateaux d’argent, au fléau d’or, à l’arbre de platine, à l’aiguille de diamant, capables de marquer des écarts de fractions de milligrammes, capables de peser les impondérables ! » 
comme l'indiquait joliment Valery Larbaud dans Les Balances du Traducteur (in Sous l'invocation de saint Jérôme, Paris. Gallimard, 1946).
L’intellectuelle balance

Nul mieux que le poète ne ressent les mots
Il les communique, les honore et les donne
De dix acceptions il décide la bonne
d’un trait ! le seul qui différencie les jumeaux
Pourtant il faut cent poèmes pour un vers noble
Indigne encor de la prière la plus humble
car nécessairement le vers est orgueilleux
Alors je me rabats sur le simple, le tendre
écoutant la nature sans jamais l’entendre
Ma poésie nichée dans le creux de la main
écrie ma sensibilité écorchée vive
combat ceux qui nomment le faux vrai, le mal bien
Sensibilité sentiment, même racine
L’impact de ces mots que l’on parle me fascine !

Les connaisseurs l'auront compris, le sonnet qui précède ne respecte pas les règles formelles de composition d'un sonnet, notamment au niveau des rimes.

Selon la tradition, un sonnet est un « [p]oème de 14 vers, composé de 2 quatrains aux rimes embrassées, suivis de 2 tercets dont les 2 premières rimes sont identiques tandis que les 4 dernières sont embrassées (sonnet italien) ou croisées (sonnet français) ».

Exemple de sonnet français :

La Voie lactée
Je m’en irai donc, seul, un pied près de mon cœur
Lançant l’autre dans une céleste marelle
Sautant de case en case et d’étoile en étoile
Poète somnambule en quête du bonheur
Pèlerin de l’univers franchissant par bonds
Les cieux dans la chevelure ailée des comètes
Courant après la folle errance des planètes
Et portant leur traîne aux reines des vagabonds
Oui ! pour toujours allant ma route de bohème
Semant dans le grand champ lacté là un poème
Ici un pleur ou deux, là une pluie de mots
J’écouterai parfois, assis sous la grande arche
Chemineau blessé ôtant ses lourds croquenots
Lentement s’avancer « la douce nuit qui marche »…
Exemple de sonnet italien :
Bourrasque
Ô Mer, Baptistère de la Création
Tu terrifies parfois, Déchaînée, Indomptable
Tu submerges qui te caresse, Impitoyable
Incapable de la moindre compassion

Un jour pourtant, frêle esquif dans ta Véhémence
Et ton courant traître - Océan ensorceleur -
Tu me rendis à la terre et à sa chaleur
Faisant preuve ainsi d’une inattendue clémence…

Ô Mer meurtrière, tant de cœurs douloureux
Ont versé tant de pleurs sur tes fols amoureux
Malgré cela, furieux Élément liquide

Ton Énergie m’aimante, et je te veux, fougueux
Fasciné par ta Force et ton Flux vigoureux
Ils envoûtent mon âme, émue mais intrépide
La plupart de mes sonnets sont des sonnets français, toutefois il est parfois bon de s'affranchir des règles (ainsi que de la ponctuation, qui ne sert plus lorsque le rythme est donné par la succession des mots et des vers) :
Hugo intime à mon cœur
Au ciel et au soleil où est la poésie
dans l’azur et le feu la calme frénésie
l’espérance ardente... Oui ! encor et toujours
effacer la grisaille au tableau noir des jours
chausser aux douze pieds les bottes de sept lieues
pour envoler le rêve aux immensités bleues
Car quand le vers édicte un moule trop étroit
ou la rime au rythme, rien ne sert d’être adroit
Il faut briser le joug ! accepter d’être un cancre
ouvrir sa veine aux pleins chants des cœurs et des mers
cesser d’emboire sa plume dans un sang d’encre
et jouer la danse de l’aigle dans les airs
Le poëte enfin salue l’aïeul, déférent,
car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand !

Ainsi, je peux avoir un sonnet tout en rimes masculines :

Réveil

Quelle femme verra dans mes yeux la douceur ?
Au goût l’amertume qu’y laissent les amours
Allées (Une jeune fille a voulu mon corps
Mais s’est enfuie lorsque j’ai mis à nu mon cœur

Son visage et son nom disparus dans la nuit
Que reste-t-il de la fille qui m’a séduit ?
Un animal blessé qui ne sait pas soigner
Sa douleur et sa plaie qui n’a plus qu’à saigner
Et son sang et ses pleurs, versés dans un grand cri).
Éternel ingénu d’une chimère épris
Je rouvre les yeux comme on sort d’un cauchemar
Pour découvrir le vide où je voyais l’amour
La femme de mes jours - fugace vision -
Pure et idéale, se nomme ... Illusion

ou le composer en alignant des distyques :

Vœux
J’envisage demain et je reste sans force
Mais la sève encore afflue sous ma rude écorce
Je lutterai sans relâche, obstiné, têtu...
Je me sens comme un chien abandonné, battu
Dont la clameur ambiante étouffe la plainte
Qui ne réussit plus à observer sans crainte
Les hommes d’aujourd’hui, leur monde sans chaleur
(Qu’ils ne croient pourtant pas que ma peur est la leur !...)
Comme qui n’en peut plus d’avoir souffert longtemps
Comme un hère épuisé allant la tête vide
Le cœur bouleversé mais toujours palpitant
Promenant autour de lui un regard lucide
Altérant le désir d’être aimé et d’aimer
L’Inconnue qui me réapprendra à chanter...
Et ainsi de suite... Lorsque vous écrivez 184 sonnets (pour l'instant, car j'en composerai sûrement d'autres), il faut varier, changer les dosages, l'alternance des rimes (féminines, masculines), échapper aux règles au gré des humeurs, des inspirations ! Inspirer, expirer, respirer, sous peine d'infinie monotonie...
En créant ce corpus, je me suis demandé quel était le plus beau, mais je n'arrive pas à trancher. Il y en a de nombreux que je trouve très beaux, modestement parlant, que ce soit ceux sur les métiers (Du Travail) ou ceux de L'Île, dont le premier, qui introduit le recueil :
Jaillissement
Naisse… de la terre et l’eau la vie, la sculpture
La première gicle des doigts du Créateur
Qui d’un bloc de glaise plasme un corps et un cœur
Soufflant à travers l’homme une âme à la nature

La seconde jaillit de la main du sculpteur
Qui incarne le désir à la pierre dure
Insufflant toute son âme à sa créature
– La force d’un esprit dépend de la hauteur

À laquelle il puise sa source : Michel-Ange
Voyant un jour la fantasmagorie étrange
Des nues moutonnantes déployées par le vent

La puissance inspirée de son génie fébrile
Lui fit peindre au ciel la création d’Adam
Puis il prit un nuage et y sculpta… une île !
Il peut également sembler anachronique d'écrire encore des sonnets au XXIe siècle, sauf pour quelqu'un comme moi, qui a sa langue pour patrie :
L’Air du temps

Pourquoi m’entêter à composer des poèmes
À l’heure où l’art croupit au fond d’un débarras
Où trop de créateurs fort satisfaits d’eux-mêmes
N’ont pour seul objectif que l’œil des caméras ?

Pourquoi rimer encor sur les pas de Racine
Des vers de Hugo, des sonnets de Heredia
Des odes de Musset, Vigny ou Lamartine
À l’âge virtuel et l’ère hypermédia ?

Car la langue est forêt ! pleine de folles herbes
Où les jeunes plants poussent au flanc des vieux arbres
Dont ils tirent leur sève et puisent leurs substrats

Avant d’épanouir, de croître et, autonomes
De séduire enfin les plus subtils odorats
Par les notes de cœur de leurs riches arômes…
En fait, lorsque s'épousent le fond et la forme pour accoucher du sens, quoi de plus moderne ?
Allez, un dernier pour la route :
L’Enfant
Rêve ou réalité, je vois mes grands-parents
Me raconter de jolies et tendres histoires
Leurs amours leurs départs leurs échecs leurs victoires
Les idéaux jamais perdus de leurs vingt ans

Avec dans leur cœur une très grande sagesse
Et des mots plein les yeux, des rayons plein la voix
Je me souviens si fort que j’étais - je le crois -
Sous l’immense pouvoir de l’immense tendresse

De mes aïeuls Le Ray, de mes aïeuls Durand
Ils accompagneront toute sa vie durant
De leur invisible et chaleureuse présence

Leur petit-fils qui porte sur son front le sceau
Indélébile et doux, de leur céleste absence
Du loin de leur tombe, penchée sur son berceau !
Un sonnet qui n'est qu'un rêve, puisqu'en réalité je n'ai connu aucun de mes 4 grands-parents...Par contre, allez comprendre, dans les années 60, je me souviens avoir rendu visite, avec ma mère, à mon arrière-grand-père maternel, dont le portrait orne fièrement un mur de mon appart en France !
175 sonnets
La photo n'est pas de qualité, mais pour l'instant je n'ai rien d'autre sous la main. Je la remplacerai le moment venu...
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