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"Premier sang", d'Amélie Nothomb, 2021

Publié le 23 septembre 2021 par Artemisia72

"Premier sang", d'Amélie Nothomb, 2021Amélie Nothomb en 2015 - Livre sur la place de Nancy. Domaine public via wikicommons

Le dernier roman d'Amélie Nothomb donne la parole à son père, récemment décédé ; nous découvrons celui-ci, tout jeune diplomate en Afrique, au Congo plus précisément : à peine nommé consul à Stanleyville, la future Kisangani, il est pris en otage par des rebelles dirigés par l'auto-proclamé Président Gbenye, et se retrouve devant un peloton d'exécution.

La situation pourrait être tragique, mais ce récit, au présent et à la 1 ère personne, ne l'est pas, car d'une part le lecteur averti sait bien que le futur père de l'écrivaine vivra bien des années encore et aura même une brillante carrière diplomatique, loin de l'Afrique ; et celui qui l'ignorerait se doute bien qu'on ne va pas à sa propre exécution muni d'un carnet et d'un crayon...

Puis le Narrateur se livre à un classique "flash back" : nous le retrouvons à l'âge de 6 ans, orphelin de père, impuissant à susciter l'intérêt de sa mère, choyé par ses grands-parents maternels ; le grand-père s'étant avisé que l'enfant risquait d'être trop couvé prend alors une décision radicale : il l'envoie, pour l'été, dans la tribu Nothomb pour l'endurcir.

Quelle étrange tribu ! Le grand-père, imbu de son titre et d'un prétendu talent de poète, laisse quasiment ses enfants mourir de faim, et s'élever tous seuls ; sa jeune épouse tente comme elle peut de compenser ce cruel régime... en cultivant de la rhubarbe. Les enfants se comportent comme des sauvages, mettant à sac les bagages et les vêtements du nouveau venu... mais ils lui révèlent en même temps la "vraie" poésie, celle des Surréalistes, et lui donnent une leçon de critique littéraire légèrement prématurée pour un enfant de 6 ans. L'une des fillettes, Donate, est une handicapée mentale qui ne dispose que d'un vocabulaire de deux ou trois mots... ce qui ne l'empêche nullement d'expliquer à l'enfant comment se protéger du froid... Car malgré ces conditions infernales, le jeune Patrick s'est mis à aimer cette famille atypique, plus même que celle, plus normale (mais plus ennuyeuse) où il a grandi, et il a voulu y retourner à Noël ! Un Noël où on lui offrira... les œuvres de Rimbaud !

Le récit va vite, saute parfois des étapes : on retrouve Patrick Nothomb adolescent, jeune homme, imposant son épouse à la tribu Nothomb qui la juge trop peu titrée... Puis, jeune papa, il est envoyé au Congo.

Retour à Stanleyville, transformée en véritable camp par les rebelles qui ont pris toute la population en otage. Et cette fois le tragique s'impose : le Narrateur parvient à sauver sa vie par la parole, le jeu des palabres qui lui permet parfois, mais pas toujours, d'éviter des exécutions. Parfois aussi, il doit assister à des assassinats, impuissant, en détournant les yeux pour cacher son handicap : la vue du sang le fait s'évanouir. Finalement conduit à son tour sur le lieu des exécutions, il est épargné in extremis par Gbenye... juste avant la sanglante intervention des parachutistes belges, le 24 novembre 1964, qui ne parvint pas à sauver tous les otages.

Ce court roman (172 p.) parvient à conserver un fragile équilibre entre une forme de légèreté, et même d'humour, et le tragique des situations décrites. La violence de la tribu Nothomb, avec ses enfants livrés à eux-mêmes et se comportant comme des barbares, est quasiment occultée ; l'horreur de la prise d'otage est comme mise à distance...


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