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Pourquoi les 35 heures sont-elles si peu populaires?

Publié le 31 juillet 2008 par Bernard Girard
Interrogé à la télévision sur la disparition des 35 heures, Jean-François Coppé faisait remarquer que jamais, dans aucun dîner, aucune réunion publique, il n'avait entendu quelqu'un les défendre. Propos qui sonne juste. Pour les avoir moi-même souvent défendues en public, je peux témoigner que je me suis toujours trouvé bien seul. Ce qui invite à faire une remarque et à poser une question :
- si les Français avaient mieux défendu les 35 heures au quotidien, si J.F.Coppé et ses collègues s'étaient vu opposer des arguments lorsqu'ils les critiquaient, y compris en privé, peut-être ne les aurait-il pas attaquées comme ils l'ont fait ;
- pourquoi cette avancée sociale, la première depuis le passage de la retraite à 60 ans et probablement la dernière avant longtemps est-elle si peu populaire?
On comprend que les retraités, les propriétaires-rentiers, comme on disait autrefois, les professions libérales, les artisans… y soient hostiles : ils n'en bénéficient pas pour ceux qui continuent de travailler, et n'en ont pas bénéficié pour ceux qui ont cessé de le faire. Ils ont pu critiquer les 35 heures comme on critique les fonctionnaires, les agents de la fonction publique et tous ceux dont on a le sentiment qu'ils profitent du système. Mais les salariés?
Tous n'ont pas été concernés les 35 heures, pas ceux des plus petites entreprises, or ils représentent les gros bataillons de la classe salariale en France. Que ces exclus des 35 heures aient été critiques ne doit donc pas surprendre. Mais les autres?
On a beaucoup dit que les salariés avaient souffert des 35 heures. La réduction du temps de travail a coïncidé avec une augmentation de la productivité et, donc, des efforts pour un certain nombre de travailleurs. Est-ce à dire qu'ils ont perdu au change? qu'ils en ont le sentiment? Les sondages dont on dispose disent le contraire. Le seul secteur dans lequel les salariés disent, de manière massive, que les 35 heures ont désorganisé et compliqué leur travail est le monde hospitalier. Chacun sait que la réforme du temps de travail y a été conduite de manière particulièrement maladroite sans création d'emplois. Partout ailleurs, la réforme s'est faite sans que les salariés se plaignent de dégradation de leurs conditions de travail.
Plus surprenant est le silence de ceux qui en ont profité, des 300 à 400 000 personnes embauchées à la suite de cette mesure et des salariés des grandes entreprises. Pour les premiers, ce n'est pas très étonnant : on leur a rarement dit qu'on les recrutait pour compenser la diminution du temps de travail. Pour les autres, ce l'est un peu plus.
Les cadres des grandes entreprises, ce sont eux que l'on rencontre dans les dîners en ville dont parle Jean-François Coppé, profitent pleinement de cette réduction du temps de travail et ne perdent jamais un jour de RTT. Et pourtant, aucun ne prend jamais la parole pour les défendre. Il aurait suffi qu'ils disent leur satisfaction pour que l'opinion médiane évolue dans un sens plus favorable. Ils ne l'ont pas fait. Alors même qu'ils savaient, d'expérience, que la mesure n'a désorganisé ni affecté durablement les comptes d'aucune entreprise (à l'exception, encore une fois, du monde hospitalier). Pourquoi?
Il me semble qu'une explication peut être à trouver du coté de l'opposition entre deux système de valeurs : le culte de la performance qui règne dans le monde des entreprises et l'hédonisme qui règle nos vies privées dès qu'il s'agit de loisirs.
Il était sans doute difficile à tous ces cadres de défendre, au nom du culte de la performance, du travailler toujours plus, une mesure qui satisfait leur hédonisme, dans des conversations portant sur l'état de l'économie. Cela aurait été apparaître sous un jour déplaisant, se comporter de manière égoïste, un peu comme de dire : "mon bon plaisir prime l'intérêt général". Ils ont d'autant plus fait abstraction de leur attachement à ces mesures qu'ils avaient (et ont toujours) le sentiment qu'elles ne disparaîtraient pas, quoique puissent dire les politiques : leur renégociation dans les grandes entreprises parait si complexe, si périlleuse, que l'on imagine mal celles-ci s'y engager sans contrainte forte.
Les 35 heures se sont donc heurtées à un double obstacle : la jalousie de ceux qui n'en profitaient pas et l'hypocrisie de ceux qui, trop heureux de bénéficier d'une dizaine de jours de congé supplémentaires, ne souhaitaient cependant pas passer pour des égoïstes. Situation qui leur laissaient effectivement très peu de chance de trouver des défenseurs.
Ceci explique également, que le PS et les syndicats ne les aient pas mieux défendues. Eux aussi dînent en ville…

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