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Interview de Matthieu Ricard

Publié le 09 octobre 2021 par Eric Acouphene

 Sa "naissance", écrit Matthieu Ricard dans ses mémoires, remonte à sa rencontre avec son maître, Kangyour Rinpoché, le 12 juin 1967, à l'âge de 21 ans : "J'ai compris que ce qui me manquait en fait dans l'existence. J'ai été très privilégié dans ma jeunesse. J'ai été entouré de grands philosophes, mon père et tous ses amis, ma mère, Yahne Le Toumelin, le peintre Pierre Soulages, Georges Mathieu, Zao Wou-Ki, mon oncle Jacques-Yves Le Toumelin. Tous les explorateurs, je les connaissais. Cocteau, etc... Ce n'était pas un modèle de vie. Une distribution formidable de gens exécrables, heureux, malheureux, égoïstes, altruistes. C'était très déconcertant pour un jeune qui cherche une inspiration, un modèle de vie."

"J'aurais bien voulu jouer aux échecs comme Bobby Fischer, mais pas être Bobby Fischer. Donc là, c'est quelque chose qui dont je n'étais pas satisfait. Donc, quand j'ai vu des documentaires faits par Arnaud Desjardins, à la télévision française sur tous les grands maîtres tibétains qui avaient fui l'invasion chinoise vers l'Inde. Je me suis dit il y a 20 Socrate, 20 Saint-François-d'Assise, j'y vais. J'avais six mois de vacances avant de rentrer à l'Institut Pasteur. Et là, brusquement, je ne connaissais rien au bouddhisme, mais la qualité des êtres humains, la cohérence, la bienveillance, la résilience, toutes ces qualités humaines m'a fait me dire que si je pouvais devenir un 100ème de ces qualités humaines là, je serais bon."

"J'étais mûr pour faire cette décision"

Mais il n'a pas franchi le pas immédiatement à 21 ans. Ce n'est qu'à 26-27 ans qu'il retourne en Inde, car avant ses parents auraient été "terriblement déçus". Il ajoute : "J'aurais un peu cassé quelque chose. Ainsi, je suis allé à Pasteur, j'ai fait tout ce que j'avais à faire. J'ai publié les travaux de ma thèse. Tout le monde était content. J'allais partir en post-doctorat aux Etats-Unis et j'ai pris la poudre d'escampette. J'ai fait mon post-doc dans l'Himalaya et tout le monde était content. J'étais mûr pour faire cette décision."

Interview de Matthieu Ricard

En 1979, il prononce ses vœux monastiques. Il s'engage à respecter quatre règles importantes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir sur son chemin intérieur et ne pas avoir de relations sexuelles. "De l'extérieur, ça peut paraître un grand pas si on n'est pas prêt. Encore une fois, le fruit était mûr. J'avais une vie plus ou moins célibataire depuis quelques années. Et puis, je me suis dit une chose : si je veux vraiment mener à fond cette existence, partir dans les ermitages dans la montagne, vous imaginez ? Moi, je sais ce qu'est le sens des responsabilités. Vous avez une famille, deux enfants... 'Mes chéris, je reviens dans trois ans, je vais faire une retraite'. C'est pas possible, donc je n'aurais jamais mené cette vie, 50 ans dans l'Himalaya, au Bhoutan, 20 fois au Tibet, si j'avais eu une famille à charge. Alors je n'ai pas eu d'enfant, certes, mais j'en ai 30 000 dans les écoles qu'on a fondé avec Karouna-Shechen. Je ne les ai pas enfantés, mais je les aime beaucoup. Je suis très proche des enfants. J'ai des amies très chères parmi les femmes. Dans le bouddhisme, la femme était éminemment respectée. On dit même qu'un moine doit se prosterner intérieurement devant une femme parce qu'elle symbolise la sagesse."

"On est dans le règne de l'inconnaissance"

Sur la période dans laquelle nous vivons, Matthieu Ricard écrit que "l'épidémie du narcissisme gagne du terrain, tout comme la démagogie, le populisme et l'exacerbation des divisions." Il pointe également "la volatilité des réseaux sociaux, l'absence d'esprit critique et de rigueur, l'asservissement à un imaginaire malsain qui engendre un tsunami de confusion".

"On est dans le règne de l'inconnaissance. On a l'impression que avec trois clics sur Internet, on va remplacer dix ans, vingt ans de formation, de recherche et qu'on est aussi compétent que quelqu'un qui a consacré sa vie à un sujet de recherche particulier. C'est très nouveau, ce phénomène. Le monde est plein d'incertitudes, notamment la recherche scientifique change parce qu'on doit s'adapter à ce qu'on découvre. Les gens ont besoin de certitudes dans ces moments difficiles. Quand quelqu'un arrive avec un dogme qui est béton parce que ça ne repose pas sur des faits, ça a un côté rassurant pour les gens qui ne savent pas trop, qui ne sont pas forcément éduqués dans ce domaine. C'est un phénomène très troublant."

Ecouter l'interview

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source : France Inter


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