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Pâques sans lapin

Publié le 05 novembre 2021 par Nicolas Esse @nicolasesse

Nous allons manquer de tout il paraît.

Noël sera triste, tellement triste, sous le sapin, les cadeaux rares, nous restera-t-il encore des pulls trop moches à échanger ? Des livres qu’on ne lira jamais ? Des bougies aux odeurs de caramel mouillé ? Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir revendre le jour d’après ?
Et on bouffera quoi si la dinde ne vient pas ? Du poulet ? Et pourquoi pas du pigeon tant qu’on y est.

Noël sans dinde, c’est comme Pâques sans chocolat. D’ailleurs, faudrait y penser, au chocolat. Imagine un peu, tu sors du carême, hâve, décharné, la glycémie en berne, l’estomac, je te raconte pas, c’est à peine si tu arrives encore à franchir la porte du supermarché. Tes dernières forces te poussent jusqu’à la section léporidés chocolatés. Et là, sidération, horreur et consternation, plus aucun lapin sur toute la longueur du linéaire, un étal vide et blanc piqué d’un message que tu déchiffres dans le brouillard : RUPTURE DE STOCK.
Tu as un éblouissement. Tes jambes se dérobent et tu d’assieds à même le sol indifférent aux regards surpris du chaland. Un employé en uniforme s’approche, se penche vers toi.

_  Monsieur, monsieur ! Ça  ne va pas ?

_  Je veux mon lapin en chocolat.

_  Malheureusement, nous avons tout vendu.

_  Même ceux en chocolat blanc ?

_  Même ceux en chocolat blanc.

_  Et ceux en chocolat noir ?

_  Pareil, y en a plus. C’est la PÉNURIE !

_  La pénurie ? Mais alors moi, qu’est-ce que je vais devenir ?

_  Je sais pas Monsieur. Vous voulez que je vous conduise au rayon chocolats ? Il nous reste de très beaux assortiments.

_  Des assortiments de Pâques, vous dites vraiment n’importe quoi. Et des œufs, il vous en reste des œufs ? Avec un beau ruban ?

_  Nous avons vendu tous les articles de Pâques, y compris les œufs, avec ou sans ruban.

_  Mais alors, qu’est-ce que je vais faire moi, sans lapins et sans œufs ?

_  Je peux vous proposer nos boites de pralinés.

_  Pralinés de Pâques. Haha.

_  Nos tablettes grand cru.

_  Et puis quoi encore ? Bourgogne de Pâques ?

_  Allons allons, monsieur, relevez-vous. Venez avec moi, je vous emmène au rayon chocolats.

_  Non, je veux pas.

_  Vous n’allez pas rester assis comme ça au milieu de l’allée.

_  Si.

_  Mais…

_  Pas de mais. Je suis bien ici. J’attends.

_  Vous attendez quoi ?

_  Mon lapin en chocolat. Emballé dans du papier doré. Avec la petite clochette et le petit ruban. Sinon ce sera le début de la fin. Pas de lapin. Pas de Pâques. Effondrement du cacao. Effet papillon. Crash boursier. Crise mondiale. Guerre nucléaire. Explosion de la terre.

_  On va tous mourir alors.

_  Oui.

_  Et pourtant on a encore plein de chocolat. On pourrait le manger en fermant les yeux. Le goût y est. Il suffirait d’imaginer qu’on mange les oreilles, ou le nez, ou les pattes.

_  Les lois du marché n’ont pas d’imagination.

_  Et si on laissait tomber pour cette année.

_  Que dirons-nous à nos enfants ? Leurs grands yeux humides et leurs petites mains qui se tendent vers un dimanche de Pâques sans lapin.

_  On pourrait…

_  Rien. On ne peut plus rien faire. RUPTURE DE STOCK. Le petit lapin est mort et nous, nous sommes arrivés au bout du chemin.


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