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Création munichoise de la Cendrillon de Christopher Wheeldon au Bayerisches Staatsballett

Publié le 22 novembre 2021 par Luc-Henri Roger @munichandco

Création munichoise de la Cendrillon de Christopher Wheeldon au Bayerisches Staatsballett

Jinhao Zhang en prince Guillaume © Katja Lotter

   Suite au succès du ballet  Roméo et Juliette de Serge Prokofiev, le théâtre Mariinsky de Leningrad lui avait passé commande d'une musique pour Cendrillon . Le compositeur se mit à l'ouvrage en 1941 mais ne termina sa partition qu'en 1944. La progression de sa musique de ballet suit de près le conte de Perrault. La première eut lieu le 21 novembre 1945 au théâtre Bolchoï avant d'être interprété au théâtre Mariinsky de Leningrad.    Prokofiev dédia son ballet à Tchaïkovsky et le présenta "comme un ballet classique avec des variations, des adagios, pas de deux, etc." Il présenta " Cendrillon non seulement comme un personnage de conte de fées mais également comme une personne en chair et en os qui ressent et vit parmi nous " et annonça exprimer par sa musique " l'amour poétique de Cendrillon et du Prince, la naissance et l'éclosion de cet amour, les obstacles dressés sur son chemin et, finalement, l'accomplissement d'un rêve." Le ballet connut ensuite un grand succès et de nombreuses chorégraphies.    Celle de Christopher Wheeldon, coproduite par le Ballet de San Francisco et le Dutch national Ballet fut créée en 2012 en Californie et aux Pays-Bas. Elle vient de rentrer au répertoire du Bayerisches Staatsballet, qui avait déjà produit Alice's adventure in Wonderland du même chorégraphe en 2017.   Le travail de Christopher Wheeldon correspond à l'esprit que Prokofiev a voulu exprimer dans sa musique. Sa chorégraphie rend fort bien l'atmosphère poétique de l'oeuvre en proposant un ballet à la magie féerique et joyeuse, un ballet souvent marqué au coin de l'humour dans lequel les décors et les costumes de Julian Crouch jouent un rôle essentiel, presque aussi important que la danse. Si Prokofiev avait travaillé sur base du seul conte de Perrault, Wheeldon et son librettiste Craig Lucas ont voulu remodeler le scénario en empruntant également des éléments narratifs à la version des frères Grimm. et surtout en donnant leur propre version de l'histoire. Le ballet commence au moment de la mort de la mère de Cendrillon, un décès certes déchirant mais accompagné d'une Assomption aérienne de la défunte qui ne laissera pas sa petite fille à l'abandon : près de sa tombe s'élève bientôt un arbre dont le houppier magnifique va au cours du ballet s'illuminer des couleurs variées des saisons. L'animation de l'arbre est l'oeuvre du marionnettiste Basil Twist, qui a également conçu le carrosse. Des abords de la tombe surgiront quatre puissants génies aux visages dorés qui protégeront la croissance de la petite fille et qui l'accompagneront tout au long de ses épreuves. Aussi voit-on Cendrillon interprétée par une ballerine enfant puis dans les scènes suivantes par une jeune danseuse. Il en va de même pour le rôle du prince Guillaume que l'on voit d'abord en gamin jouant de l'épée de bois avec un petit compagnon de jeu, son ami Benjamin, avant de les retrouver en jeunes adultes.

Création munichoise de la Cendrillon de Christopher Wheeldon au Bayerisches Staatsballett

Madison Young et Jinhao Zhang © Serghei Gherciu

    La Cendrillon de Wheeldon n'est pas aussi malheureuse que dans les contes : elle n'est pas la toute-soumise et peut être provocante, on la voit jeter par terre les fleurs que sa belle-mère veut lui offrir après que le père de Cendrillon se soit remarié. Les deux filles de la marâtre se crêpent volontiers le chignon quand elles ne persécutent pas Cendrillon, mais la plus jeune, Clémentine, celle qui porte de grandes lunettes, n'a pas la méchanceté de l'aînée et protège à diverses reprises la jeune fille lorsque sa soeur se montre par trop virulente. Il n'y a pas de fée marraine, ce rôle est dévolu aux quatre génies et à l'arbre qui à un moment ouvre son écorce pour accueillir en son sein la jeune Cendrillon qui en ressortira métamorphosée. Comme dans la Cenerentola de Rossini, le prince Guillaume et son ami intervertissent leurs rôles et leurs habits pour aller remettre les invitations au bal et comme dans l'opéra la rencontre donne lieu au coup de foudre amoureux. La formation du carosse est l'une des plus belles scènes du ballet : les quatre génies se transforment en chevaux, des parasols de verdure forment les quatre roues et ce carrosse féerique transporte vers le palais une Cendrillon à la robe dorée avec un long voile de traîne de la même couleur. Lors du bal, la danse maladroite des deux soeurs et leurs chamailleries les disqualifient aussitôt, la marâtre abuse du champagne et se livre à une danse chancelante qui se termine en vomissements. La plus jeune des soeurs voit cependant sa moindre méchanceté et son bon coeur récompensé, elle se trouve un compagnon en la personne de l'ami du prince. La scène de l'essayage du chausson perdu par Cendrillon se déroule sur un alignement de seize fauteuils cabriolets et de chaises Louis XVI joliment damassés de rouge, qui s'envoleront bientôt dans les airs pour former un arc aérien. Toute une série de personnages fantastiques aux masques de têtes d'oiseaux ou de châtaignes y prennent place pour disparaître bientôt et laisser place aux candidates au mariage, que leur pointure élimine les unes après les autres. La marâtre essaye bien de forcer l'essayage de son aînée en forçant le chausson sur le pied au moyen d'un vigoureux maillet. La dernière scène est celle d'un double mariage qui voit le prince Guillaume s'unir à Cendrillon après que Benjamin ait disparu en compagnie de Clémentine.

Création munichoise de la Cendrillon de Christopher Wheeldon au Bayerisches Staatsballett

Ensemble, Jinhao Zhang et Madison Young © Serghei-Gherciu


    Cette excellente scénographie et les 400 costumes très réussis de la production sont dus au talent de Julian Crouch, assisté de Sebastian Dietrich pour les vidéos. Si le bleu domine pour l'habillage des ensembles, c'est en blanc et or que se déroule la scène finale. Les lumières de Jürgen Schock et de Natascha Werber participent de la même réussite, soulignons la multitude des lustres qui ajoutent à la magie de l'ensemble.    La chorégraphie de Christopher Wheeldon  est essentiellement classique et typique du ballet narratif traditionnel, elle se surpasse dans l'inventivité des détails et l'audace de certaines voltiges qui font voler en éclat ce que le ballet traditionnel peut parfois avoir d'un peu rigide. Il faut de superbes danseurs et danseuses pour répondre aux exigences du chorégraphe. Et le ballet d'État de Bavière n'en manque pas : la jeune Américaine Madison Young, — elle a 21 ans, — première soliste du Bayerisches Staatsballett depuis la saison dernière, interprète Cendrillon avec une légèreté lumineuse et aérienne, une délicatesse et une noblesse qui soulèvent l'émotion ; le Chinois Jinhao Zhang, qui appartient à la troupe bavaroise depuis la saison 2017/2018 et est passé soliste principal cette saison, domine la scène par ses sauts prodigieux et une musculature impressionnante, un danseur fougeux et solaire qui sait se montrer tendre et délicat avec sa partenaire. Prisca Zeisel excelle dans le contre-rôle de la marâtre Hortensia, sa danse de l'ivresse honteuse lors du bal de la cour est un travail d'orfèvre ; la Clémentine de Bianca Texeira est de la même venue, la danseuse parvient à exprimer l'ambiguité de ce personnage dont le bon coeur l'emporte sur la méchanceté au contraire de sa soeur Edwina, fort bien dansée par Elvina Ibraimova, qui joue les petites pestes d'un bout à l'autre du ballet et cherche sans doute encore chaussure à son pied à l'heure qu'il est. Jonah Cook, bien connu des habitués de la maison, a depuis ses débuts munichois en 2012 gravi tous les échelons, aujourd'hui soliste principal, donne un superbe Benjamin, l'ami du prince.     La féerie du ballet ne saurait exister sans celle de la musique. C'est à Gavin Sutherland, l'actuel directeur musical de l'English National Ballet, l'un des plus grands spécialistes de la direction de musiques de ballet, qu'est confiée la baguette et sa direction toujours attentive à la scène entraîne l'excellent orchestre bavarois vers des perfections sonores dans l'expression d'une des plus belles musiques pour ballet que le 20ème siècle nous ait laissées, avec ses multiples variations et son côté parfois un peu sombre.   La soirée passe comme dans un rêve et le public enchanté par la qualité de la danse, la beauté des décors et l'extraordinaire variété des costumes ne se rend sans doute pas compte de la rapidité et de la précision du travail des habilleurs qui s'affairent en coulisse.     Un spectacle qui devrait ravir petits et grands.
Renseignements et réservations : vu la situation pandémique qui évolue de jour en jour, il n'est plus possible de préciser l'agenda ou la jauge des spectacles. Toutes les réservations ont été annulées du 24 novembre au 15 décembre. Consulter le site du théâtre national de Bavière.

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