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Ciné-Journal #14 : 2021 en 15 films

Publié le 31 décembre 2021 par Franck Lalieux @FranckLalieux

Le top de fin d'année, c'est toujours ce passage obligé un peu cliché qui peut susciter un sentiment de rejet lorsque vient le moment de faire des classements parmi ses films préférer. Je préfère y voir une manière ludique de hiérarchiser les oeuvres et de clarifier ses goûts, ça m'oblige aussi à repenser aux films et à ce qui m'a marqué dans la durée (pour les films sortir il y a plus de 2-3 mois).

Cette année 2021 fut évidemment particulière, elle n'aura en fait démarré, pour le cinéma, que le 19 mai, date de réouverture des salles après de longs mois de fermeture pour cause de pandémie. Une longue période qui obligea les distributeurs à chambouler tout leur calendrier de sortie, un véritable casse-tête pour tenter, tant bien que mal, de laisser une chance à un nombre incalculable de films (certains n'ont d'ailleurs finalement pu être exploités que sur des plateformes type Amazon ou Netflix, quand d'autres attendent l'année prochaine).

Il y eut donc beaucoup de films à voir, avec un temps d'exploitation raccourci pour certains d'entre eux. J'ai pu en voir un certain nombre, mais j'ai raté quelques films importants ( Memoria d'Apichatpong Weerasethakul, par exemple, ou Drive my car de Ryusuke Hamaguchi, deux films qui me passionnaient d'avance mais que je n'ai pu voir en salle pour diverses raisons, et que j'attends toujours de pouvoir rattraper).

Ce top 15 représente donc mon année cinéma, une sélection de ce que j'ai pu voir de mieux, selon moi, avec une place particulière dédiée au cinéma français. Ce n'était même pas intentionnel, je n'avais pas l'envie particulière de répondre à tous ces gens qui dénigrent notre cinéma sans vraiment le connaître, le réduisant lourdement aux comédies grasses qu'ils adorent détester chaque année, en leur opposant l'évidence de l'éclectisme de nos cinéastes.

Non, il s'avère que cette année beaucoup de mes films préférés sont français, qu'ils soient dirigés par un cinéaste international ( Benedetta de Paul Verhoeven) ou tournés au Cambodge en langue japonaise ( Onoda d'Arthur Harari).

Le choix est toujours difficile, et même avec une liste de 15 films il n'y a toujours pas assez de place pour tous les films que l'on aurait aimé distinguer. Je pense au très bon Old de M. Night Shyamalan, toujours très controversé, ou encore à la Palme d'Or Titane de Julia Ducournau, un film passionnant qui aurait mérité sa place.

15 films plutôt que 10, donc, puisqu'il y avait beaucoup à voir et à aimer :

15 : La Loi de Téhéran, de Saeed Roustayi

Thriller iranien suffocant sur la lutte contre la drogue, avec la mise en lumière du système bureaucratique et carcéral qui broie les êtres qui gravitent autour. La mise en scène qui se concentre sur les personnages donne un point de vue réaliste à l'ensemble, et ne se veut jamais moralisatrice.

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14 : Matrix Resurrections, de Lana Wachowski

À rebours des suites/reboot/univers cinématographiques qui tournent en rond, Lana Wachowski ré-investit la matrice pour s'en servir comme d'un puissant révélateur du monde qui l'entoure. Elle saisit mieux que personne les impasses dans lesquelles se sont jetés les cadres dirigeants de tous les gros studios hollywoodiens, et comment les fictions qu'ils inventent sont des produits ultra formatés pour endormir tout esprit de rébellion. Se faisant, elle prend le risque de ne jamais donner au public ce à quoi il s'attend, et raconte dans sa première heure à quel point il est vain de vouloir tout refaire. Mais ce commentaire acide et frondeur sur Hollywood n'est pas son seul désir de cinéma, elle raconte aussi une histoire d'amour d'une pureté désarmante, et rend hommage aux admirateurs les plus passionnés qui ont compris que le plus important, dans Matrix, c'est l'histoire humaine, celle de Néo et Trinity en lutte contre un système qui a tenté de les contenir.

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13 : The Card Counter, de Paul Schrader

Après le magnifique First Reformed, Paul Schrader continue de creuser la question de la rédemption, ici obscurcie par un désir parasite de vengeance. Oscar Isaac est impeccablement magnétique, Schrader assèche sa mise en scène et filme un fantôme qui prend corps à mesure qu'il se laisse contaminer par les sentiments des autres. Superbe.

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12 : Serre moi fort, de Mathieu Amalric

Quel film étonnant. L'histoire d'une mère de famille qui disparaît soudainement. Mais les lignes temporelles semblent perméables dans ce film, et l'on ne sait plus si on est dans le souvenir ou l'imagination. La photographie est sublime, tout est comme un rêve qui vire au tragique. Mathieu Amalric est décidément un artiste passionnant.

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11 : La Fièvre de Petrov, de Kirill Serebrennikov

Après Leto, le cinéaste russe offre un trip visuel déroutant - donc indispensable - dans les méandres de la conscience collective de son pays. La fièvre de son personnage est le prétexte d'un grand chaos des formes qui est celui de l'histoire Russe sans cesse heurtée, pleine de soubresauts.

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10 : West Side Story, de Steven Spielberg

Le West Side Story de Spielberg n'est pas vraiment un remake, plutôt une nouvelle adaptation du musical de Broadway qui viendrait compléter et réactualiser le film de Robert Wise. S'il en respecte la partition et le texte à la lettre, il parvient à en extraire un propos plus contemporain en en bousculant l'ordre des titres et des personnages qui les interprètent. Et puis, Spielberg déploie une virtuosité qui laisse pantois, lui qui aura toujours flirté avec le genre, d'une manière plus ou moins directe (l'intro d' Indiana Jones et le Temple Maudit, le ratage Hook, les séquences d'action à la caméra très chorégraphiée d'un grand nombre de ses films...).

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9 : Benedetta, de Paul Verhoeven

Longtemps attendu, ce film sur les amours saphiques d'une nonne qui grimpe les échelons de la hiérarchie monacale grâce aux visions qu'elle reçoit déploie toute l'ironie mordante que l'on pouvait attendre de Verhoeven. Pour son deuxième film français, il invite l'excellente Virginie Efira (qu'il avait déjà dirigé dans Elle) en tête d'affiche, dans un rôle plus subtil qu'il n'y paraît, qui joue sur les apparences et les faux-semblants. Cette veine ironique qu'il travaille depuis longtemps transparaît jusque dans les fameuses visions qu'il met ici en scène comme des adaptations nanardesques de comic-books sur la vie de Jésus. C'est jubilatoire.

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8 : Illusions Perdues, de Xavier Giannoli

Je n'ai toujours pas lu Balzac, et de Giannoli je n'ai vu que Quand j'étais chanteur, avec Gérard Depardieu et Cécile de France en têtes d'affiche, que l'on retrouve ici. J'ai cependant été soufflé par la puissance romanesque d' Illusions Perdues, qui semble prendre un malin plaisir à connecter toutes les problématiques du livre sur notre époque contemporaine. C'est réussi parce que c'est tout le temps organique, avec une vitesse d'exécution éblouissante qui arrive cependant à ne jamais laisser un personnage sur le bas-côté. Tous les interprètes y sont formidables, et notamment le trio Benjamin Voisin, Vincent Lacoste et Xavier Dolan. Un ami m'a dit : " c'est Les Affranchis dans la France du 19ème " et c'est loin d'être bête.

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7 : Le Dernier Duel, de Ridley Scott

Un même évènement vu sous trois angles différents, ce n'est pas nouveau. Ici il s'agit d'un viol, et ce point de départ permet au film d'explorer les affres d'une société patriarcale organisée pour sa propre sauvegarde, dans laquelle il existe plusieurs moyens pour étouffer les voix qui s'y opposent. Cela donne des séquences proprement hallucinantes, comme ce procès à charge contre la victime dans lequel chacune de ses accusations lui reviennent en pleine figure. Le film montre aussi comment le corps féminin n'est qu'un réceptacle du désir de l'homme, que ce soit pour sa satisfaction personnelle ou pour assurer sa descendance (on pense, ici, à Alien). À la mise en scène, Ridley Scott est en pleine forme, mû par une énergie que rien ne semble pouvoir arrêter.

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6 : The French Dispatch, de Wes Anderson

Un festival des formes d'Anderson, servi par un casting exceptionnel, dans un récit fragmenté en articles de magazine qui lui permet paradoxalement une grande cohérence visuelle et dramatique. C'est un régal absolu (j'en parlais ici).

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5 : Annette, de Leos Carax

En mai 2021 le retour dans les salles de cinéma correspondait avec l'ouverture du festival de Cannes qui mettait à l'honneur ce film, Annette, et son intro qui n'aurait pas pu mieux tomber. La musique des Sparks, Marion Cotillard et Adam Driver, la noirceur de la tragédie et la fantaisie des compositeurs... tout ici entre en collision pour un spectacle total dont on ressort étourdi. L'année commençait bien.

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4 : First Cow, de Kelly Reichardt

Un territoire, l'Oregon en 1820, des trappeurs, des indiens et des propriétaires terriens : tous les ingrédients d'un classique western américain. Mais chez Kelly Reichardt, il ne s'agit plus de grand spectacle, mais d'une contemplation, voire d'une méditation. Le cadre, très composé, n'existe que pour construire le point de vue idéal d'où observer la lutte de ces hommes pour la survie. Pas de gras, pas de fioritures. C'est l'histoire de l'Amérique, colosse aux pieds d'argile, un territoire colonisé en pleine transformation dans lequel on fait venir par bateau la première vache pour y répliquer son mode de vie de privilégié sur une terre confisquée. C'est déjà la libre entreprise, la concurrence de tous contre tous, et comment l'on s'associe pour s'en sortir. Un film magnifique.

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3 : Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, d'Arthur Harari

On a souvent entendu cette histoire légendaire du soldat japonais perdu, pendant la seconde Guerre Mondiale, sur une île des Philippines qui n'a jamais voulu croire à la fin de la guerre et à la reddition du Japon. De cette histoire, Arthur Harari en a tiré ce film, un monument de près de 3h sur l'aveuglement, la survie, l'aventure. Une épopée intime d'une ambition rare, et d'une rigueur esthétique qui force l'admiration.

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2 : À l'abordage, de Guillaume Brac

Je trouve toujours cela merveilleux quand un film réussit à donner l'illusion de captation du réel avec l'apparence de la simplicité. C'est le cas d' À l'abordage, qui embarque son spectateur avec son jeune héros qui vient tout juste de rencontrer une fille à Paris, et la suit sans la prévenir à l'autre bout de la France sur son lieu de vacances pour lui faire une surprise. Il y a des rencontres fortuites, des histoires d'amour éphémères et des déceptions. C'est le goût de l'été, des vacances en camping, des soirées karaoke et des sorties canyoning. Ce sont des mondes différents qui se rencontrent, comme si l'une des - nombreuses - vertus des congés payés, c'était aussi cela, l'abolition des barrières entre les classes, ne serait-ce que pour une semaine. Nous faire ressentir tout ça sans jamais le théoriser par de grands discours, juste par la mise en scène, est l'une des nombreuses réussites de ce très grand film.

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1 : France, de Bruno Dumont

France en numéro 1, c'est pour moi l'évidence. Dès la projection j'étais absolument conquis et fasciné par le travail du cinéaste sur cette figure sacralisée, qui comme Jeanne d'Arc dans son diptyque précédent absorbe tout le malheur du monde, ici à 20h chaque soir sur les plateaux de télé ou en reportage mise en scène au milieu des ruines. C'est une icône qui ploie, qui se perd. Léa Seydoux était le choix idéal pour incarner ce mystère. Chez Dumont il y a aussi un goût pour certaines formes cinématographiques - ici la satire -, qu'il dompte et malaxe pour servir son discours philosophique sur le contemporain. Mais le fond du film, c'est la part de sacré, ce qu'il nous reste comme icônes, celle que l'on mérite, qui pour illuminer le monde... Un film inépuisable.

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