Magazine Culture

Pablo Neruda – Valse

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Pablo Neruda – ValseJe touche la haine comme une poitrine diurne,
moi sans arrêt, de vêtement en vêtement j’arrive
de loin endormi.

Je ne suis, ne sers, ne connais personne,
je n’ai pas d’armes de mer ni de bois,
je ne vis pas dans cette maison.

De nuit et d’eau ma bouche est pleine.
La durable lune détermine
ce que je n’ai pas.

Ce que j’ai est au milieu des vagues.
Un rayon d’eau, un jour pour moi :
un horizon ferré.

Il n’y a pas de ressac, il n’y a pas de bouclier, il n’y a pas de costume,
il n’y a pas d’insondable solution particulière,
ni de vicieuse paupière.

Je vis par à-coups et d’autres fois je continue.
Je touche tout à coup un visage et il m’assassine.
Je n’ai pas le temps.

Ne me cherchez pas alors en remontant
l’habituel fil sauvage ou la
sanglante plante grimpante.

Ne m’appelez pas : ma mission est celle-là.
Ne demandez pas mon nom ni mon état.
Laissez-moi au milieu de ma propre lune,
sur mon terrain blessé.

*

Vals

Yo toco el odio como pecho diurno,
yo sin cesar, de ropa en ropa vengo
durmiendo lejos.

No soy, no sirvo, no conozco a nadie,
no tengo armas de mar ni de madera,
no vivo en esta casa.

De noche y agua está mi boca llena.
La duradera luna determina
lo que no tengo.

Lo que tengo está en medio de las olas.
Un rayo de agua, un día para mí:
un fondo férreo.

No hay contramar, no hay escudo, no hay traje,
no hay especial solución insondable,
ni párpado vicioso.

Vivo de pronto y otras veces sigo.
Toco de pronto un rostro y me asesina.
No tengo tiempo.

No me busquéis entonces descorriendo
el habitual hilo salvaje o la
sangrienta enredadera.

No me llaméis: mi ocupación es ésa.
No preguntéis mi nombre ni mi estado.
Dejadme en medio de mi propia luna,
en mi terreno herido.

*

Waltz

I touch hatred like a covered breast;
I without stopping go from garment to garment,
sleeping at a distance.

I am not, I’m of no use, I do not know
anyone; I have no weapons of ocean or wood,
I do not live in this house.

My mouth is full of night and water.
The abiding moon determines
what I do not have.

What I have is in the midst of the waves,
a ray of water, a day for myself,
an iron depth.

There is no cross-tide, there is no shield, no costume,
there is no special solution too deep to be sounded,
no vicious eyelid.

I live suddenly and other times I follow.
I touch a face suddenly and it murders me.
I have no time.

Do not look for me when drawing
the usual wild thread or the
bleeding net.

Do not call me: that is my occupation.
Do not ask my name or my condition.
Leave me in the middle of my own moon
in my wounded ground.

***

Pablo Neruda (1904-1973) – Troisième résidence 1935-1945Résidence sur la terre (Gallimard, 1969) – Traduit de l’espagnol (Chili) par Guy Suarès – Translated by ?


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Stéphane Chabrières 13365 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines