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Brûlée du feu d’Hermione

Publié le 03 février 2022 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique d’Andromaque, de Jean Racine, vu le 20 janvier 2022 au Pavillon Villette
Avec Judith D’aleazzo, Marilyne Fontaine, Solenn Goix, Julien Léonelli, Sylvain Méallet, Patrick Palmero, Henri Payet, et Chani Sabaty, dans une mise en scène de Robin Renucci

J’avais vu l’année dernière son Bérénice « dans le simple appareil » comme le dit Robin Renucci lui-même, cette version épurée qu’il a choisie pour monter trois tragédies de Racine. J’aurais d’ailleurs souhaité voir le triptyque intégral mais je n’ai eu de place dans l’agenda que pour une autre des pièces montées dans le cadre de ce cycle Racine. J’ai choisi Andromaque, car j’ai gardé de l’étude faite au lycée un grand souvenir et que c’était l’occasion rêvée de voir, au théâtre, cette pièce finalement rarement montée.

Andromaque, c’est cette tragédie dont le résumé est une suite de sentiments unilatéraux : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort. Hector a été tué par Achille, et son fils, Pyrrhus, a fait de sa veuve Andromaque sa captive. Il l’aime, mais toutes les pensées de la prisonnière sont tournées vers son mari mort et son fils, Astyanax, qu’elle cherche à protéger de la fureur des grecs. Pyrrhus, quant à lui, est promis à Hermione, fille de Ménélas, et son amour pour la troyenne est mal vu et pourrait déclencher une guerre.

C’est étrange comme ce principe de mise en scène dépouillée qui fonctionnait tellement bien pour Bérénice semble soudainement perdre en intensité. Les deux pièces du tragédien peuvent pourtant sembler à première vue assez similaires, on y parle d’amour impossible, de droits et de devoirs, des contraintes du pouvoir. Mais Andromaque, contrairement à Bérénice, s’inscrit davantage dans une épopée. « C’est hollywoodien » m’a dit la personne qui m’accompagnait ce soir-là. Et comme elle a raison !

Là où Bérénice est un numéro de funambules qui se déroule sur un fil d’un bout à l’autre de la pièce, Andromaque est beaucoup plus agitée. Il y a du bruit, il y a de l’agitation, il y a cette guerre qui est presque un personnage latent qui prend de la place et qui échauffe les esprits. C’est une pièce fleuve qui aurait bien supporté quelques artifices théâtraux pour la mettre encore davantage en valeur. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : si l’effet n’est pas le même que pour Bérénice, où l’on ne respirait qu’au rythme du texte, la proposition de Robin Renucci reste évidemment intéressante et fait même ressortir des aspects inattendus de la pièce.

Je ne l’ai pas vu souvent jouée, mais je l’avais étudiée au lycée et j’en gardais l’image d’une pièce qui met en scène des puissants. Tous sont rois ou fils de rois, et une distance est mise immédiatement par cette distinction. En gommant tout ce qui est autour, en laissant le texte prendre toute la place, Robin Renucci rend la pièce plus accessible, ou en tout cas plus proche du spectateur. Ce n’est pas seulement l’affrontement des Grands de ce pays qui nous est donné à voir, c’est aussi une femme à qui l’homme dont le père a tué son époux lui demande de l’aimer. On entend les sentiments moins nobles, on voit les bassesses humaines exister même chez cette élite. Et cela donne soudain une autre dimension à la pièce. Pyrrhus n’est plus le haut dignitaire que je me représentais, mais le voilà presque simplement homme (peut-être un peu trop ?) qui dévoile ses sentiments : amour, chantage, blessure, orgueil, dépendance. Tous jouent de cette transparence qui les rend soudainement plus humains, qui dévoile presque une nouvelle lecture de la pièce, mais qui peut-être l’affadit aussi un peu.

Tous, sauf peut-être Marilyne Fontaine qui joue avec brio de cette ambivalence de princesse et de femme. En grande tragédienne, elle s’emporte avec maîtrise, elle crie sans forcer, elle brille avec pudeur. Son Hermione est plus vibrante, plus sincère, plus puissante que ce que mes pauvres qualificatifs souhaiteraient exprimer. Elle se détache sans le vouloir du reste de la distribution et l’absence de décor ou de lumière n’a soudain plus d’importance car sa manière d’habiter le plateau, à elle seule, fait spectacle.

Renucci nous donne à entendre les merveilleux vers de Racine dans leur simple appareil. Ils auraient pu être un peu plus habillés, mais on n’a quand même pas boudé notre plaisir.

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