Magazine Journal intime

Téhéran : le retour.

Par Delphineminoui1974
Téhéran.jpg- Vous avez un accent… Cela doit faire longtemps que vous n’êtes pas revenue à Téhéran ?
- Non, seulement six mois…
- Vous avez bien de la chance de vivre à l’étranger ! Les prix n’arrêtent pas de flamber, l’Amérique menace de nous attaquer, dix millions d’Iraniens sont dépressifs… Rien ne fonctionne… Et la politique, n’en parlons pas…

Le chauffeur de taxi a les nerfs à fleur de peau. Je l’écoute en silence, en regardant défiler la ville par la vitre de son vieux taco digne d’une pièce de musée. Entre deux zig-zags à travers les embouteillages, il reprend son petit refrain.

- Vous avez bien de la chance…

Je hoche la tête en esquivant un sourire. C’est vrai qu’en six mois, la capitale a bien changé.
Les queues devant les stations essence ne cessent de s’allonger - la faute aux sanctions ou aux erreurs de gestion du gouvernement ? -. Du Nord au Sud, les mini-bus de la nouvelle brigade des mœurs arpentent les rues à l’affût des filles « mal voilées ». Les prix du kilo de tomates et des loyers ont doublé, voir triplé… Faute de supports pour s’exprimer - la censure sévit de plus en plus - les habitants de Téhéran souffrent en silence. 

Mais comme une vieille cousine qu’on prend plaisir à retrouver, avec ses rides supplémentaires, ses récits de crise familiales, ses lamentations sur le monde qui s’écroule autour d’elle, et bien, j’ose le dire : ça fait du bien de retrouver la capitale iranienne !

Car ce que le chauffeur ne sait pas, c’est qu’à l’inverse de ces milliers de jeunes qui prennent la route de l’exil, en quête d’une vie meilleure, je n’ai pas choisi de quitter Téhéran. C’est Téhéran qui m’a quitté.

Il y a plus d’un an, maintenant, les autorités iraniennes ont décidé, sans crier gare, de me retirer ma carte de presse permanente. La faute à un reportage de trop ? A une phrase déplacée ? Si seulement je le savais…

Alors, je suis partie. Mais sans véritable « au revoir », en nourrissant l’espoir de revenir. Au moins de temps en temps. Impossible, en effet, de se débarrasser du virus de « l’iranite ». Avec toutes ses contradictions, Téhéran reste une ville fascinante. Indomptable ! Pimbêche, arrogante, sournoise, elle sait également vous surprendre par sa douceur et sa poésie souterraine. Entre joie de vivre et répression, c’est une ville qui ne peut laisser le visiteur de passage indifférent. 

En France, certains opposants en exil m’accusent d’être l’attachée de presse des mollahs. En Iran, les fonctionnaires de la République islamique me reprochent d’écrire des articles et des livres anti-régime. C’est, d’un côté comme de l’autre, accorder trop d’importance au métier de reporter ! On ne fait pas du journalisme avec des slogans, mais avec des informations, qu’on glane sur le terrain, qu’on dissèque, qu’on décrypte.

Pour comprendre Téhéran, il faut la palper, la sentir. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, on ne peut l’ignorer. Surtout à l’heure du tourbillon géopolitique.

Je n’ai pas reçu de carton d’invitation. Mais j’ai décidé de lui rendre visite … Comme une vieille cousine… De ce tête-à-tête avec Téhéran suivront, dans les jours qui viennent, quelques impressions récoltées sur le vif, comme les cailloux du Petit Poucet…


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