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Chronique douce d'un été au bord de la mer

Publié le 06 août 2008 par Rafaele

tgv0017jn1. Le train. 22 juillet. Gare du Nord. 18h58. Le compartiment de la 1ère classe dans lequel je m'engouffre est presque vide. Le Nord n'est pas la destination de vacance idéale des Parisiens. Je m'assois et pose romans et revues achetés à la librairie sur la un siège vacant. Je ne sais pas pourquoi je m'évertue à acheter de la lecture : je sais pertinemment que je ne lirai par pendant le voyage et que je finirai le regard perdu dans le vide, la tête dans les pensées. Bientôt deux voyageurs se joignent à moi. Lui, plus consciencieux, lira plus tard le roman qu'il a pris soin de ranger dans sa valise. Pour le moment, il sort son casque stéréo, le pose sur la tête et ferme les yeux. Elle se débarrasse de la plante verte qui l'encombre et installe son ordinateur portable sur la tablette centrale. Tout en chaussant ses lunettes, elle jette un rapide coup d'oeil en direction de ses voisins. Je l'observe et trouve que cela lui donne un air d'intellectuelle très à la mode. Nous attendons le départ quand entre, presque à la dernière minute, une jeune maman tenant fermement dans ses bras un nouveau-né. Chacun d'entre nous la regarde enlever avec précaution les sangles du corset qui retient l'enfant sur le ventre maternel. Prenant sa place à nos côtés et sans se soucier de ses voisins, elle adresse quelques risettes à l'enfant qui, à son tour, lui sourit. Mais bientôt le visage de celui-ci se tord et la bonne humeur cède la place aux cris et aux larmes : il faut nourrir l'enfant ! Alors, délicatement, la jeune femme relève son chandail rose et laisse apparaître, sous le regard à la fois incrédule et émerveillé de ses voisins, le sein qui, presque instantanément, délivre bébé des tourments de la faim.

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2. La plage. 23 juillet. 16h30. La plage s'étend sur une quinzaine de kilomètres depuis l'embouchure du fleuve jusqu'aux rives de la ville voisine. Sur la grève dorée, les vacanciers s'entassent, les uns prêtant leur corps aux rayons ardents du soleil, les autres protégés par de larges parasols aux couleurs océanes. Assis sur la digue, Juliette et Pierre tournent le dos à la mer et regardent les estivants partir à la conquête du grand vaisseau de sable. Ils pensent ne plus avoir l'âge de s'étaler ainsi à la vue du premier quidam venu. Moi, face à la mer, j'offre mon visage à l'astre solaire et tente de matifier ce teint de Parisien cadavérique. Paupières closes, esprit reposé, j'écoute les bruits de la plage : ici un ballon de volley rebondit sur des mains expertes, là deux frères se disputent, ailleurs une jeune fille compte le nombre de sauts effectués sur un trampoline. Mais bientôt l'heure n'est plus au farniente et nous devons poursuivre la remontée de la digue. Sous nos pas, parsemé de milliers d'éclats de verre poli, le goudron rose scintille. La promenade est propice aux confidences et Pierre raconte ses souvenirs d'enfant. Ainsi nous faisons la nique au temps qui passe : la figure paternelle transmettant une part de son histoire au fiston déjà grand qui l'écoute bien sagement.

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3. La forêt. 24 juillet. 15h45. C'est animés d'une volonté farouche que Juliette, Pierre et moi-même avons emprunté le petit chemin qui nous mènerait au sommet de la haute dune. Ce long ruban d'arène - semblable au chemin de briques jaunes conduisant à la cité d'Émeraude du royaume d'Oz - a rapidement fait de nous des Dorothy aux pieds alertes. Dans l'épaisse forêt, la joie nous guettait et tous nos sens étaient en éveil : les pins embaumaient l'air d'une douce odeur de résine ; argousiers, mûriers, pruniers sauvages tendaient à nos mains curieuses leurs baies colorées mais acides ; et nos oreilles bruissaient des stridulations des grillons. Pour un peu nous pensions être, dans ce lieu tout emprunt de quiétude, les derniers maillons d'une longue chaîne humaine. Las ! d'autres représentants de notre espèce avaient décidé de tenter semblable aventure et notre parc naturel prit rapidement les allures d'une autoroute des vacances. Nous assistions maintenant à un chassé-croisé de conquérants ayant déjà conquis et de conquistadores partant à la conquête, les premiers saluant les seconds d'un amical "Bonjour !" ou d'un "Ça grimpe !" quasi compassionnel. Parvenu au sommet et contemplant la vue qui s'offrait à lui, Pierre ne put s'empêcher de lancer à deux randonneurs exténués : "Pour qui cherche la plénitude, les réserves ne sont plus ce qu'elles étaient !". Nous ne fûmes pas étonnés, Juliette et moi, de voir que ces pauvres marcheurs le regardant d'un air ahuri ne l'avaient pas compris.

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4. Le dîner. 25 juillet. Dîner dans la famille de Caroline, la compagne de mon frère Hugo. Solène et Cyprien, des amis sont également conviés : la curiosité les pousse à faire la connaissance du Parisien dont on vient d'apprendre l'existence ; jusqu'alors on croyait Hugo fils unique... Le couple d'amis se fait désirer mais finit par arriver avec 30 minutes de retard. Les présentations sont faites par la maîtresse de maison et, rapidement, le dialogue s'engage : "Alors comme ça c'est toi le frère d'Hugo ?" me lance la ronde Solène. "Tu es le Parigot !" ajoute, un peu bravache, Cyprien, aussi brun que sa compagne est blonde. Ne sachant que répondre, un simple "Oui !" finit par sortir de ma bouche. "Alors nous allons pouvoir te parler en patois, tu ne comprendras pas !" continue le jeune garçon. "Je suis natif de la Région et ne suis qu'à Paris depuis 6 ans, je ne suis loin d'être un étranger !" ai-je répondu un peu sèchement. "Oui, bien sûr !" a-t-il répliqué, se demandant s'il n'avait pas commis là une quelconque bévue. Puis se détournant de notre conversation, Solène et Cyprien ont poursuivi l'échange avec Caroline, préférant crucifier de leurs mots acides une parente de la famille. C'est à ce moment précis que, perdant tout intérêt pour le couple, je suis devenu un objet d'incuriosité : assis à la table du repas, j'écoutais de manière distraite le dialogue d'où s'échappaient de temps à autre des qualificatifs peu élogieux pour la suppliciée. Je n'avais pas d'avis pertinent à exprimer, la congruence de mes pensées sur de tels propos envieux risquant de sceller davantage la chape de plomb dans laquelle, espèce nouvellement apparue, on m'avait aussitôt coulé.


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