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Molière et le roi, formidable duo politique et artistique !

Par Plumehistoire

En cette année particulière, nous célébrons les 400 ans de Molière ! Une occasion rêvée pour moi de compléter ce mois de mars consacré au théâtre dans le Cabinet Secret de Plume d’histoire par un article gratuit entièrement dédié à cette grande figure de l’art dramatique, et plus particulièrement aux relations étroites qu’entretenaient Molière et le roi Louis XIV. C’est le moment aussi de vous parler de la belle exposition montée à l’Espace Richaud Versailles, qui retrace avec originalité la vie de notre célèbre auteur et comédien, et s’intéresse ensuite à son étonnante gloire « post-mortem ». Une exposition organisée par la Mairie de la ville de Versailles avec la collaboration des équipes du musée Lambinet, sous la direction de Martial Poirson, professeur à l’université de Paris 8 et spécialiste de Molière. Célébrer le quatre centième anniversaire de Molière à Versailles m’est apparu comme une évidence […]  Dénonciateur des vices de son temps, d’une médecine balbutiante, d’une religion sclérosée, d’ambitions nobiliaires et culturelles ridicules, l’oeuvre de Molière ne peut se comprendre sans l’éclairage et la connaissance des moeurs de la Cour de Versailles. Et c’est dans cette même ville que […] sa rencontre avec le jeune Louis XIV, ce tout-puissant monarque, lui permit d’établir un fort lien personnel, le génie de l’un servant la gloire de l’autre et réciproquement.  François de Mazières, maire de Versailles – Catalogue de l’exposition Molière : La fabrique d’une gloire nationale) De Jean-Baptiste Poquelin à Molière Jean Poquelin (Baptiste sera accolé plus tard) naît le 15 janvier 1622 à Paris dans une famille de tapissiers. Dès sa naissance, son destin semble lié à la Cour : son père exerce la charge très prestigieuse de « tapissier valet de chambre du roi » Louis XIII, un titre qui donne un accès direct au monarque et ne demande que trois mois de travail par an : il veille à l’entretien des meubles, tissus et tapisseries de la chambre royale. Le fils Poquelin grandit entre le Louvre et les Halles. Il bénéficie d’une éducation soignée, sans doute la meilleure du temps, dispensée chez les jésuites du Collège de Clermont, aujourd’hui Lycée Louis-le-Grand. C’est là qu’il se frotte pour la première fois à l’art théâtral, vu comme un entraînement à la rhétorique.  Pourtant, l’Église catholique […] condamne toute pratique profane du théâtre et jette l’anathème sur les comédiens, leur imposant l’excommunication, au nom de la morale : ces derniers, en exprimant contre rémunération, par leur corps et leur voix, une situation feinte, n’entrent-ils pas en concurrence avec le Créateur ?  Molière : La fabrique d’une gloire nationale Alors qu’il a déjà un pied à l’étrier pour devenir un homme de Cour cultivé et en jouer pour monter dans la hiérarchie, c’est un autre type de jeu qui intéresse Jean-Baptiste. « Au mépris de toute stratégie de réussite sociale », il choisit d’embrasser la carrière d’acteur. Un nouveau statut qui lui donne aussi peu de droits… qu’une prostituée ! Le 30 juin 1632, âgé de 21 ans, le jeune Poquelin signe un contrat d’association avec dix comédiens, dont trois frères et soeurs, Joseph, Geneviève et Madeleine Béjart, qui donneront naissance à une véritable « dynastie » d’acteurs. La jeune troupe talentueuse, baptisée l’Illustre-Théâtre, se lance avec ambition dans des représentations parisiennes de « pièces sérieuses » qui connaissent un réel succès. La troupe attire l’attention de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, qui la prend sous sa protection et ouvre aux acteurs les portes des plus prestigieuses demeures aristocratiques.  Malheureusement, la troupe de Jean-Baptiste Poquelin (qui prend à cette époque le nom de Molière, fictive seigneurie de son lieu de naissance) connaît ses premiers déboires. En dépit de ce brillant lancement et de cette reconnaissance immédiate, la troupe connaît des difficultés financières. Les lourds investissements d’équipement de deux salles de spectacle en à peine deux ans (le Jeu de paume des Métayer, puis le Jeu de paume de la Coix-Noire), les frais engagés pour de somptueuses représentations, le remboursement des dettes contractées et la faiblesse des recettes de billetterie entraînent une inéluctable banqueroute. Molière : La fabrique d’une gloire nationale Trop audacieuse dans une capitale où la concurrence est rude (les théâtres de l’Hôtel de Bourgogne et de l’Hôtel du Marais ont le privilège royal), la troupe de l’Illustre-Théâtre fait faillite deux ans après sa création. Molière assume l’entière responsabilité financière et passe deux mois à la prison du Châtelet au début du mois d’août 1645. Son père l’en tire en acceptant de payer les dettes colossales de son fils, qu’il mettra de nombreuses années à rembourser.  Théâtre itinérant puis triomphe à Paris ! Désillusionné par ces débuts parisiens décevants, Molière part sillonner la province avec Joseph, Geneviève et surtout Madeleine Béjart), protégée par de puissants seigneurs et déjà célèbre pour son jeu exceptionnel. Et pendant ces treize années de représentations et de voyages à travers toute la France, le succès est au rendez-vous ! Jouissant de solides soutiens de famille, d’appuis nombreux parmi les élites régionales, d’un réseau dense de diffusion dans les châteaux, demeures et métropoles comme Lyon […], les comédiens de la troupe vivent dans une certaine opulence. Molière occupe rapidement les premiers rôles du répertoire, y compris tragiques. Molière : La fabrique d’une gloire nationale Le plus puissant protecteur de la troupe, avec lequel Molière entretient personnellement d’excellentes relations, est Armand de Bourbon-Conti qui « règne » sur une grande partie du sud de la France. Le prince ouvre très largement les cordons de sa bourse à Molière et aux Béjart, les invitant à assurer les divertissements des grands évènements publics et des séjours aristocratiques provinciaux, notamment dans son château de la Grange-des-Prés. En 1656, le prince de Conti se convertit au catholicisme. Le voilà obligé de se détacher totalement du théâtre. L’argent, de nouveau, va être difficile à trouver. Mais la troupe est désormais réputée dans toute la France. Molière, surtout, s’est illustré plus que les autres. Sans avoir un plan précis de lutte en tête, Molière sent désormais que pour acquérir une certaine liberté dans l’exercice de son génie, il lui faut des appuis en haut lieu. Bouillonnant d’ardeur, de projets et de talents, il revient à Paris. Au diable les catholiques qui lui ont ravi Conti ! Il trouve d’autres protecteurs, à commencer par Philippe d’Anjou, futur Philippe Ier d’Orléans. Le prince donne accès gratuitement à Molière et à sa troupe au théâtre du Petit-Bourbon qui lui appartient. Nous sommes en 1658 et Molière est âgé de 36 ans. C’est là que commence sa fulgurante carrière d’auteur. S’il n’a écrit que deux comédies depuis ses débuts en 1632, pendant les quinze prochaines (et quinze dernières) années de sa vie, il monte 95 pièces et écrit une trentaine de comédies ! Des oeuvres souvent ambitieuses qui conquièrent rapidement le public parisien après avoir séduit la province. Les Précieuses ridicules (1659) est un immense succès ! Forçant le trait d’une forme de snobisme, il s’assure le rire de connivence de l’élite lettrée, prompte à se désolidariser de cette affectation de préciosité. Se démarquant de la recette à succès de la farce, Molière opère une véritable révolution littéraire qui stupéfie ses contemporains : il invente un comique burlesque fondé sur le choc des registres de langue, le décalage entre le geste et la parole, tout en puisant dans la culture galante un vaste champ métaphorique sur lequel il renchérit, multipliant les néologismes incongrus et les périphrases grandiloquentes afin de rendre ridicules les fausses prétentions et faux-semblants. Molière : La fabrique d’une gloire nationale La troupe est désormais invitée à produire les pièces de Molière dans les hôtels particuliers des ministres, des financiers et des artistes à la mode. Prémices de la faveur royale, le dramaturge est demandé par Nicolas Fouquet à Vaux-le-Vicomte en 1661. Pour la grande soirée donnée en l’honneur du monarque par le Surintendant des Finances (qui est proche de la disgrâce), Molière imagine Les Fâcheux, une « critique mordante des courtisans » écrite et montée en quinze jours ! Molière devient maître des festivités royales Dès l’année 1660, Molière récupère sa charge de « tapissier de la chambre du roi ». Le roi, c’est Louis XIV, un monarque jeune et fougueux avide de faire ses preuves. Comme le souligne à merveille l’historien Pascal Torres, Louis XIV connaît, durant les premières années de son règne personnel, « un véritable complexe d’Alexandre le Grand. » Il veut imposer son autorité en émerveillant la Cour par des festivités et des divertissements grandioses dont on parlera dans le monde entier. Au coeur de cette « esthétique du grand spectacle visant la sidération du public », le théâtre tient une place prépondérante. Soumis à la tutelle du monarque qui s’en sert pour faire passer des messages en cohérence avec sa stratégie politique, c’est un art indispensable au rayonnement du Roi-Soleil. L’entente entre Louis XIV et Molière est instinctive. Le roi en quête de légitimité trouve chez le dramaturge (qu’il pensionne avec générosité) toute l’imagination et l’audace nécessaires à sa politique de grandeur. Il ne tarde pas à faire de Jean-Baptiste son nouveau maître des cérémonies des fêtes royales. Molière invente ainsi, en connivence avec Lully, le concept de comédie-ballet ! Cet assemblage de théâtre, de danse et de musique permet au roi de déployer ses talents (Louis XIV est un excellent danseur) et de moduler à l’envie la mise en scène et les chorégraphies en fonction des messages qu’il souhaite faire passer pour éblouir les courtisans et les ambassadeurs. Au fil des années, les créations « moliéresques » s’enchaînent : Le Mariage forcé (1664), La Princesse d’Élide (1664), Les Amants magnifiques (1670), Le Bourgeois gentilhomme (1670), Psyché (1671), La Comtesse d’Escarbagnas (1672)… Ce monde « mêlant merveilleux mythologique, féerie biblique, intrigue galante, péripéties romanesques, machines et effets spéciaux » offre l’opportunité unique à Molière de déployer son génie créatif tout en comblant la soif d’extraordinaire qui tenaille de plus en plus intensément Louis XIV au cours des décennies 1660 et 1670.  Protégé par ce monarque en passe de devenir le plus puissant roi du monde, Molière est habité par un intense sentiment de délivrance. Une forme d’apaisement… qui s’apparente à la liberté ! Louis XIV, dont la sincère sensibilité aux arts le rapproche personnellement de son artiste, ne lui offre-t-il pas le droit de rester lui-même, avec toute la franchise de ton qui le caractérise ?  La protection du Roi-Soleil devient déterminante lorsque Molière doit subitement combattre « les cuistres, les pédants, les précieux et les cafards ». En somme, quand il doit s’élever contre « la puissante cohorte de ses détracteurs » ! L’École des Femmes (1662) lance les hostilités  Au premier rang des détracteurs les plus virulents de Jean-Baptiste Poquelin figurent les dévots. Ce sont eux, d’ailleurs, que le dramaturge prend le plus de plaisir à humilier. Ne manifestant pas trop ouvertement sa jubilation, Louis XIV se délecte pourtant des coups portés à ces insupportables parasites qui s’opposent à sa volonté de magnificence et de sensualité !  Car dans le théâtre qu’est la Cour, deux conceptions du pouvoir s’affrontent. La rigidité morale du parti des dévots, qui s’agrippe à la reine mère Anne d’Autriche de plus en plus tournée vers Dieu, heurte de front la personnalité du jeune Louis XIV, ses goûts artistiques, ses envies de grandeur et ses désirs de jouissance personnelle.  Au lendemain de l’École des Femmes (1662), les vraies hostilités s’engagent. La grande réussite de cette comédie en cinq actes auprès du roi et du public allume des inquiétudes. « Des spectres noirs commencent à palpiter dans la pénombre », s’indignant de cette critique à peine voilée de l’éducation que les dévots prodiguent aux femmes et à la morale rigoriste à outrance qu’ils imposent à tout mariage chrétien. La Critique de l’École des Femmes que Molière rédige en août 1663 pour sa défense est dédiée à la reine mère Anne d’Autriche. Il espère la convaincre de l’innocence de ses pièces et la ranger dans son camp :  Je me réjouis de pouvoir encore obtenir l’honneur de divertir Votre Majesté ; Elle, Madame, qui...


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