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Die Fledermaus — Une Chauve-Souris de haut vol au Theater-am-Gärtnerplatz

Publié le 08 avril 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

Die Fledermaus  — Une Chauve-Souris de haut vol au Theater-am-Gärtnerplatz

Daniel Gutmann (Dr. Falke), Emma Sventelius (Prinz Orlofsky)© Christian POGO Zach

 Première hier soir d'une nouvelle mise en scène de la Fledermaus de Johann Strauss au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich, pour laquelle le directeur du théâtre a conçu une nouvelle version du texte. La célèbre opérette a été coproduite avec le Teatro del Maggio Musicale Fiorentino où l'oeuvre a déjà été jouée en janvier avec au pupitre florentin rien moins que le grand Zubin Mehta. 
Johann Strauss fils avait fait fortune avec Die Fledermaus (La chauve-souris), une opérette inspirée du Réveillon de Meilhac et Halévy et montée au Theater an der Wien le 5 avril 1874. On y retrouve le triangle amoureux classique, avec les tromperies et les scènes de jalousie qui en découlent, dans le cadre joyeux de la fête masquée du deuxième acte où le déguisement garantit aux protagonistes une liberté qui leur serait ailleurs interdite. Les vapeurs de champagne qui égayent la fête permettent un oubli momentané d'un mariage raté, d'une condition sociale défavorisée, de la fragilité des façades sociales ou du crash financier qui vient de secouer Vienne en 1873. La légèreté et le désenchantement de l'histoire se traduisent musicalement par un montage fantasmagorique d'éléments musicaux hétéroclites. Le rythme ternaire des valses forme bien évidemment le coeur de la composition, mais le pot-pourri musical créé par Strauss comprend également des polkas, des extraits d'arias d'opéras italiens, des citations des succès du moment (les opérettes d'Offenbach) et des pièces folkloriques, comme le csárdás chanté par Rosalinde lors de la fête.
L'action de la Chauve-Souris est plutôt alambiquée, un chat y retrouverait à peine ses petits. Dans cette opérette, tout le monde trompe tout le monde, on change d'identité, on se travestit. Eisenstein doit aller en prison pour outrage à magistrat. Son ami, le docteur Falke, lui conseille de se rendre au bal du prince Orlofsky pour faire la bamboche avant de se livrer. En secret, Falke prépare sa vengeance pour un méchant tour que lui a joué Eisenstein qui l'avait laissé rentrer chez lui en titubant, déguisé en chauve-souris, à la grande joie de toute la ville. La femme d'Eisenstein, Rosalinde, profite de l'absence de son mari pour rencontrer son amant Alfred ,qui sera emprisonné à la place d'Eisenstein. Elle donne congé à sa servante Adèle qui a  prétendu devoir se rendre chez une tante malade, pour en fait aller au bal où la plupart des protagonistes se cachent derrière une fausse identité. On y flirte sans retenue - jusqu'à ce que tout le monde se retrouve le lendemain matin à la prison. 
La brillante mise  en scène de Josef E. Köpplinger  mêle ingénieusement la tradition à la modernité et donne une grande lisibilité à cette oeuvre complexe tout en laissant toute sa place au divertissement. On retrouve ici cet art du tableau et cette vivacité dans les placements et les déplacements des protagonistes et des choeurs caractéristiques du travail d'un grand metteur en scène. Il organisé une fête visuelle permanente agrémentée des costumes somptueux d'Alfred Mayerhofer et des néons colorés de Valerio Tiberi qui encadrent le découpage de la scène. Le scénographe Rainer Sinell a inséré le le salon de la villa Eisenstein dans le polyèdre d'un parallélépipède aussi déformé que la psyché des personnages, une idée qu'on retrouvera au troisième acte où la triste prison encombrée de paperasses empoussiérées a pour cadre un parallélépipède à la perspective cavalière. Le deuxième acte se déroule dans le parc enneigé de la villa du prince Orlofsky, entouré de colonnes de verdure qui font haie, à la manière des bosquets du parc de Versailles, et au centre duquel se dresse la statue d'un blanc éclatant de Strauss violoniste, qui reproduit la célèbre statue viennoise en bronze doré, ici recouverte de givre et de neige. La fête bat son plein, le champagne coule à flot. Orlofsky, tout de blanc vêtu, divertit ses invités par un ballet endiablé de chauves-souris dansé par l'excellent ballet du théâtre de la Gärtnerplatz dans la chorégraphie de Karl Alfred Schreiner, ce qui rappelle le bon tour joué par Eisenstein à son ami Falke, qui lui rend bien la pareille au cours de cette nuit chaotique. Le troisième acte dans la prison est plus théâtral que musical avec de beaux numéros d'acteurs.
Die Fledermaus  — Une Chauve-Souris de haut vol au Theater-am-Gärtnerplatz
Michael Dangl (Frosch), Reinhard Mayr (Frank), Ilia Staple (Adèle), Florine Schnitzel (Ida),Photo © Christian POGO Zach
Le ténor autrichien Daniel Prohaska apporte son expertise de l'opérette viennoise au rôle de Gabriel von Eisenstein et la soprano Jennifer O' Loughlin interprète  l'astucieuse Rosalinde avec brio  et un jeu de scène soigné, teinté d'humour. Son " Czardas " est un des beaux moments de la soirée. L'énergique Lucian Krasznec donne un Alfred débordant de sève, exagérant à souhait les phrases d'airs populaires d'opéras italiens chantés en off. Reinhard Mayr réussit une remarquable composition du directeur de prison, nuancé dans le chant pour souligner les diverses facettes de son personnage, avec un jeu de scène des plus réussis au troisième acte : ses trébuchements acrobatiques en cascades ont entraîné des acclamations méritées. La merveilleuse Ilia Staple qui interprète Adèle remporte la palme des vocalises et des pics vocaux. La fascinante mezzo suédoise Emma Sventalius chante le rôle en pantalon d'Orlofsky, un prince désabusé et suicidaire, amateur de roulette russe et d'amours masculines. La chaleur ardente des couleurs de son mezzo, les modulations d'une expression émotionnelle très convaincante, des variations nuancées et précises, tout séduit chez cette chanteuse qui fait preuve d'une superbe technique. Son récent Octavian viennois (Volksoper) avait remporté tous les suffrages. Une des révélations de la soirée qui a l'étoffe d'une grande chanteuse. Sur le plan du jeu scénique, le Frosch de Michael Dangl est d'une drôlerie absolue. 
On sort enchanté de cette soirée qui apporte un peu de répit, de drôlerie et de rêve, en décalage avec la brutalité du monde. Un des événements de la saison munichoise.
Prochaines représentations les 10, 14, 23 et 29 avril, et les 10,13 et 15 juin 2022.

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