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Le lavement des pieds à la cour impériale d'Autriche — Le jeudi saint

Publié le 17 avril 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

 Le lavement des pieds à la cour impériale d'Autriche — Le jeudi saint

Cérémonie du lavement des pieds par l'empereur. L'illustration 1866
LE LAVEMENT DES PIEDS À LA COUR D'AUTRICHELE JEUDI SAINT.
Un article de la Revue politique et littéraire (1892)
    Avec Rome et Séville, Vienne est restée une des rares villes où la tradition de la Semaine Sainte se soit conservée à peu près intacte.    La plus curieuse de ces cérémonies est sans contredit celle du lavement des pieds, qui a lieu le Jeudi saint à la cour de l'empereur. Le pape le pratique au Vatican l'empereur n'a pas voulu rester en arrière, il a même fait mieux, car tandis qu'à Rome douze vieillards bénéficient de cette ablution honorifique, à Vienne douze vieilles femmes viennent s'ajouter aux douze vieillards. Mais l'impératrice Élisabeth, qui devrait laver les pieds des douze vieilles femmes, se soucie fort peu de la tradition; aussi, chaque année, aux environs de Pâques, elle quitte Vienne sous quelque vague prétexte que les journaux enregistrent avec conviction, et échappe ainsi aux exigences de la tradition. L'empereur, lui, qui en a vu bien d'autres en ses quarante-quatre années de règne, y demeure fidèle. Toute la cour est convoquée à cette occasion au château impérial. Pendant une heure, c'est un défilé ininterrompu de carrosses de gala, qui amènent tous les princes, les hauts dignitaires de l'Empire et le corps diplomatique. Dans la grande salle des cérémonies sont réunis les douze vieillards envers lesquels le souverain va accomplir son acte d'humilité. Au milieu des hautes colonnes de marbre, des lustres étincelants, entourée de dorures et de tentures, se dresse sur une estrade très peu élevée une longue table toute simple, recouverte d'une nappe blanche. Sur l'un des côtés en longueur, ainsi que la Cène est représentée dans la plupart des tableaux des maîtres de la Renaissance, sont assis les douze figurants sur lesquels le temps a laissé tomber sa neige. Légèrement voûtés, le regard éteint, ils sont vêtus d'une sorte de costume moyen âge, se composant d'un long manteau noir, puis, tombant du cou sur les épaules, un large rabat blanc.    Au pied de l'estrade, formant le contraste le plus violent par ses uniformes aussi riches que bariolés, la fine fleur de l'aristocratie et du monde officiel. Ici des magnats hongrois aux costumes éblouissants, aux brandebourgs d'or ou d'argent, dont les boutons sont formés par des pierres précieuses de grosseur rare. Hussards jaunes, verts, écartâtes, coiffés de kalpaks de fourrure dans lesquels sont plantées de hardies aigrettes. Chevaliers de Malte, tout de blanc vêtus, avec d'immenses croix noires de leur ordre plaquées sur la poitrine ou sur les pans de leurs larges manteaux. Dans les intervalles de la colonnade de marbre qui court autour de la table, de petites tribunes sont dressées, où prennent place les dames de la cour et les spectateurs privilégiés.    Précédé du clergé et entouré des membres de la famille impériale, l'empereur apparaît; il est en grand uniforme, dolman blanc et pantalon rouge à bande or, éperonné, le sabre au côté. L'aumônier de la cour commence la lecture de l'Évangile du jour, et, en de petits nuages bleus, l'encens se répand dans la salle tout imprégnée encore'des parfums qu'y ont laissés les bals de l'hiver.    Cela débute par un banquet qui ne compte pas moins de treize services, plus maigres les uns que les autres ! L'empereur remplit auprès des vieillards l'office du maître d'hôtel. Successivement il place devant eux les divers plats que lui apportent et lui tendent sur des plateaux les plus hauts dignitaires de l'Empire.    Les convives ne touchent pas aux mets, pas même pour la forme. On les leur donnera la cérémonie terminée, et ils les emporteront ainsi que leurs couverts, un gobelet, un pot en étain, les assiettes et les plats, le tout marqué aux armes impériales. Ces divers ustensiles sont très recherchés, et ils sont vendus fort cher aux collectionneurs. L'empereur sert les douze vieillards. Pour desservir, il est aidé par onze membres de la famille impériale, ses frères, neveux ou cousins. Ce simulacre de festin terminé, on emporte la table le lavement des pieds va commencer. Des officiers chamarrés s'approchent de l'estrade et ôtent aux convives leurs souliers et leurs bas, puis leur tendent sur les. genoux un lourd drap blanc qui va du premier au douzième. Le prêtre n'a cessé de lire l'Évangile du jour; au moment où il arrive aux mots: Et coepit lavare pedes discipulorum, l'empereur s'approche du premier vieillard et s'agenouille devant lui. Pendant tout le service, quoique visiblement oppressé et nerveux, le souverain n'avait pas trop laissé percer son impatience. Mais à ce moment critique, il ne peut dissimuler une grimace. Un prêtre, à sa gauche, laisse tomber d'une aiguière d'or quelques gouttes d'eau sur les pieds du premier vieillard; un autre prêtre tend au-dessous un bassin précieux lui-même, rapidement, brusquement même, passe aux environs de l'orteil un linge que lui tend un page agenouillé à sa droite, tandis qu'un autre, derrière lui, agite un encensoir.    Après être passé devant le douzième vieillard, l'empereur se lave les mains à son tour.    Le comte Hunyady, grand-maître des cérémonies, s'avance alors vers lui avec un plateau sur lequel se trouvent douze bourses renfermant chacune trente deniers d'argent. Le souverain les passe autour du cou des vieillards, qui saluent et se retirent successivement. La cérémonie est terminée; maintenant la figure de l'empereur exprime la satisfaction et ses traits quelque peu crispés se sont adoucis.

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