Et si le glacier de la Plaine-Morte disparaissait?

Le glacier de la Plaine-Morte s'étend sur une dizaine de km carrés. L'eau qui s'en écoule descend côté bernois, essentiellement. A Crans-Montana, le glacier est surtout utilisé à des fins touristiques puisqu'on y skie. Quelles sont les conséquences de la fonte des glaciers pour les communes concernées, c'est l'objet d'une étude menée par la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage (FP). Pour parler plus particulièrement de Crans-Montana, dans l'émission Atlas de la RSR ce samedi, François Benedetti a rencontré Roman Hapka, responsable romand de la FP et le municipal de Lens Paul-Henri Emery.

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1000 km² glacés en Suisse
Malgré leur recul constant, les glaciers couvrent aujourd'hui encore en Suisse une surface de près de 1000 km² (soit la surface du canton de Thurgovie); ils exercent toujours une grande influence sur notre environnement et les habitants. On imagine difficilement qu'ils pourraient un jour disparaître, outre la question de l'approvisionnement en eau, cela entraînerait la perte d'une grande partie du pouvoir de fascination exercé par les montagnes. Cette problématique a poussé la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage à mener en 2007 une enquête sur la perception des glaciers suisses et la valeur qui leur est accordée par chacune des communes dont le territoire comporte un ou plusieurs glaciers.

Le 60% des 131 communes concernées - et interrogées - a participé à l'étude. En cas de recul des glaciers, celles-ci prévoient des problèmes surtout en matière de revenus liés à l'exploitation hydro-électrique et au tourisme, ainsi qu'en matière d'approvisionnement en eau potable et en électricité (voir graphique ci-après). Pour 39% des communes concernées par un glacier, celui-ci est manifestement à l'origine d'une part importante de l'offre du secteur touristique. Seulement 19,5% des communes interrogées redoutent cependant une diminution de leur clientèle touristique en cas de disparition des glaciers.
 

La Plaine-Morte, tout sauf morte
Sur les 131 communes suisses qui possèdent directement un glacier ou se situent sont en limite, 50 sont directement concernées par l'exploitation de leur glacier, dont les six communes de Crans-Montana: La Plaine-Morte est une des plus grandes plaines glaciaires des Alpes, qui est tout sauf morte: une activité sportive y règne autour des 3 téléskis et sur la piste de ski de fond. Rares sont ceux qui, de la terrasse du restaurant à côté de la station supérieure du Funitel, n'ont pas admiré le splendide panorama (on peut le voir aussi depuis internet, ici). Selon la légende, la Plaine-Morte était autrefois un riche alpage.

Des eaux qui partent à Berne

François Benedetti, de la RSR, a discuté avec Paul-Henri Emery de l'importance de ce glacier pour Crans-Montana, et des conséquences s'il venait à fondre comme neige au soleil... Le conseiller communal de Lens a rappelé que des trois glaciers des Alpes bernoises (Zanfleuron, Wildhorn et Plaine-Morte), seul ce dernier est accessible, via Crans-Montana. Si son exploitation touristique se fait de notre côté, ses eaux s'écoulent sur les pentes bernoises, à part une partie qui alimente la source de la Tièche et descend dans la Raspille, plus quelques autres sources qui alimentent le barrage hydroélectrique de Zeuzier, à l'ouest du territoire de Crans-Montana.

Une commission créée au niveau de l'ACCM

Un glacier, c'est une précieuse réserve d'eau. Une eau importante pour notre région. Paul-Henri Emery signale que la seule commune de Lens consomme 1 million de m³ d'eau par an. Parfois, cette commune, pour alimenter son territoire lorsque les sources privées ne suffisent plus, doit acheter au prix fort l'eau à la société qui exploite le barrage, Lienne SA. Prend-on des mesures concrètes pour sensibiliser les habitants et les touristes? On en parle régulièrement aux assemblées primaires, note Paul-Henri Emery, qui précise qu'une commission a été mise en place au niveau de l'Association des communes de Crans- Montana (ACCM) pour étudier la question de plus en plus cruciale. "Nous pensons devoir à l’avenir éventuellement construire des barrages permettant surtout de disposer de l’eau pour l’irrigation". Car dans une région sèche comme la nôtre, l'irrigation est essentielle. Le manque d'eau aurait-il des conséquences pour l'enneigement mécanique? Bien sûr, le robinet dans nos maisons primera toujours sur les canons à neige.

Énorme travail de sensibilisation à réaliser

Le municipal lensard ne pense pas qu'on puisse parler de prise de conscience réelle au niveau de la population, "pas tant que l'eau coule au robinet", même si les gens sont de plus en plus sensibles d'abord à la qualité de l'eau, ensuite à sa quantité. Il souligne que les politiques, eux, se sentent interpelés par la problématique. "Il y a un énorme travail d'information à faire", concède Paul-Henri Emery. C'est là, notamment, que la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage peut aider: "Les communes sont au courant de la problématique, mais sont relativement démunies sur les moyens à mettre en place, comment les développer. On a émis quelques propositions, notamment faire un peu de formation à l’environnement dans les communes auprès de la population, au niveau des classes, de la population touristique qui vient en séjour ici et ailleurs en Suisse", indique à la RSR Roman Hapka.

Rapatrier les eaux de la Plaine-Morte sur le Valais?

La Fondation propose aussi que les communes glacières se regroupent et parlent ensemble de la problématique. Roman Hapka prend le cas de Crans-Montana qui ne bénéficie pas des eaux s'écoulant du glacier de la Plaine-Morte: il imagine que des discussions pourraient avoir lieu avec la Commune de la Lenk pour qu'un pompage permette de faire revenir une partie des eaux sur notre versant où l'eau manque. "Il faut envisager des discussions politiques, administrative, de gestion de cette ressource naturelle, conseille Roman Hapka. L’étude est un premier pas dans ce sens. On espère l’année prochaine avoir une première réunion des communes glacières de Suisse".

Inquiétudes pour notre tourisme
L'enquête révèle une nette tendance contradictoire entre les opinions et les actes: la conscience des fonctions et de l’importance des glaciers ainsi que de leur fragilité est bien présente, mais elle n'amène manifestement pas à des actions spécifiques ni à un renforcement de l’information envers les hôtes et les habitants.
Les mesures entreprises à l'heure actuelle par les communes concernent avant tout la protection contre les dangers naturels (construction d'infrastructures, établissement de cartes des dangers, etc.). Seules 13% des communes interrogées ont élaboré des scénarios pour l’avenir.
Parmi celles-ci, on trouve avant tout les communes où les glaciers revêtent une grande importance économique ou représentent un danger potentiel certain. Les communes ne craignent pratiquement pas que la disparition de leur glacier entraîne une baisse du nombre de clients touristiques. Cela illustre que, outre les autorités, les représentants du secteur touristique ne se sont manifestement que peu préoccupés jusqu'ici de cette problématique, selon les auteurs de l'étude qui jugent cela plutôt étonnant, au vu de l’importance des glaciers dans l’imagerie esthétique des Alpes et des modifications du paysage auxquelles il faut s’attendre. L'étude suppose que cela est à mettre sur le compte d’un manque de collaboration et d’échanges d’expériences, ainsi que de l’absence de bases thématiques à l'échelon supérieur et de ressources le fait que seule une petite partie des communes se projette dans l’avenir et essaie d'évaluer les effets de la perte des glaciers. Il est d’autant plus important d'entreprendre des démarches concrètes, affirme en conclusion à son étude la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage.