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Le fond de l'encrier, de Bertrand Baumann

Publié le 24 avril 2022 par Francisrichard @francisrichard
Le fond de l'encrier, de Bertrand Baumann

À force de lire des romans, il me prend parfois l'envie d'imaginer des vies aussi. Mais la tentation de la fiction ne dure pas, je sais que je suis peu capable d'en écrire. D'ailleurs, au fond, cela ne m'intéresse pas.

Alors Bertrand Baumann écrit des notules. Il suit en cela l'exemple du peintre Eugène Delacroix qui écrivait, dans son journal, à la date du mardi 7 mai 1850, ces mots qui [lui] conviennent bien:

Pourquoi ne pas faire un petit recueil d'idées détachées qui me viennent toutes moulées et auxquelles il serait difficile d'en coudre d'autres?

Ainsi n'est-il pas tendre avec les médias; ils propagent une pseudo-information, abreuvée aux mêmes sources, répondant à une psychologie obsessionnelle et provoquant l'addiction du consommateur:

Bref, [...] elle désinforme quant au monde, mais formate et déforme ses clients pour en faire des copies de citoyens conformes aux voeux des Systèmes.

S'il vit dans une démocratie, il n'est pas démocrate: il me suffit de savoir qu'un livre, un film, a un grand succès pour ne pas avoir envie de le lire, de le voir. C'est au point, incorrect, qu'il ose écrire:

J'irais presque jusqu'à me féliciter, après une votation, que le peuple suisse qui fait les majorités n'ait pas voté comme moi (ce qui arrive généralement).

Plus haut, il écrit, au sujet des élections, que tout le monde sait depuis toujours que les politiciens ne s'intéressent qu'au pouvoir - et à l'argent qui le matérialise -, mais on n'a pas réussi à se passer d'eux:

En face du gouvernement, je me sens anarchiste; mais s'il n'y avait plus de gouvernement, quelle serait ma position?

Dans ce troisième volume de notules, il se fait également greffier des saisons, parle de ses relations avec ses parents, avec ses proches, femmes et enfants, de ce qu'il aime et de ce qu'il déteste.

Ainsi, par exemple, aime-t-il Georges Brassens, qu'il dit réécouter pour la millième fois:

Voilà le Bon Sens, la Modestie personnifiés, avec un Courage trop peu remarqué, avec un sens de la Langue Française qui attendait depuis François Villon d'être réincarné.

Ainsi, par exemple, déteste-t-il Jean-Jacques Rousseau, à l'exception de sa Cinquième Promenade des Rêveries du promeneur solitaire, pour son style1qui [en] épouse si parfaitement le thème:

Beaucoup plus sûrement que Voltaire, il est le père de la Révolution, du Chaos, de la Dictature du plus grand nombre. Rousseau fut prolifique d'idées et d'enfants: que n'eût-il plutôt abandonné ses idées et élevé ses enfants.

Dans ces notules, il est beaucoup question de rêves: ils lui reviennent dès qu'il se réveille et il écrit sous leur dictée. Quand il ne rêve pas, il se laisse aller à la rêverie que ses lectures sécrètent en lui. 

La lecture de Jules Verne, qui lui a offert des voyages imaginaires dans des mondes parallèles, lui est plus profitable que celle de Hegel qui s'efforce de réduire la totalité du réel à des schémas rationnels.

Bien qu'il s'en défende, il philosophe, l'âge aidant, ou pas - il est né en 1941 -, dans ce livre qu'il a écrit de septembre 2014 à février 2020, soit juste avant que ne se développe la pandémie de Covid-19:

- Oui, la vie a un sens, un sens unique: de la naissance à la mort. Impossible de faire demi-tour, même de s'arrêter. À cela un seul remède, vivre dans l'instant.

- Je me console d'une mémoire très ordinaire en me disant que l'érudition est une arme à double tranchant: trop d'érudits se dispensent de réfléchir; ils entassent des faits, dans l'attente que cette accumulation produise du sens.

Le lecteur n'est donc pas surpris que l'auteur s'interroge sur ce à quoi le mènent toutes ces notules, détachées les unes des autres, mais qui pourtant ont le grand mérite de donner matière à réflexion:

Chaque notule est un pas pour sortir du labyrinthe, mais maintenant, suis-je dedans ou dehors?

Francis Richard

1 - L'auteur considère d'ailleurs que la langue française est à son apogée à la fin du XVIIIe siècle, quand toute l'Europe parlait cette langue merveilleuse.

Le fond de l'encrier, Bertrand Baumann, 192 pages, Éditions de l'Aire

Livres précédents:

Écrit dans le vent (2013)

De rien, c'est-à-dire de tout (2017)

Collectif:

La Suisse est un village (2016)


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