Magazine Société

Bernard Pons, dinosaure du chiraquisme primordial

Publié le 27 avril 2022 par Sylvainrakotoarison

" La disparition de Bernard Pons marque la fin d'une époque. Celle des grands moments du compagnonnage, de la politique épique, du gaullisme triomphant. J'aimais beaucoup cet homme qui a tant donné à sa famille politique. " (Nicolas Sarkozy, le 27 avril 2022 sur Twitter).
Bernard Pons, dinosaure du chiraquisme primordial
C'est une peine très sincère qu'a exprimée l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy en hommage au "chiraquien forcené" Bernard Pons à l'annonce de sa disparition ce mercredi 27 avril 2022 à son domicile du Gard, s'approchant, à trois mois près, de ses 96 ans. Il y a quelques mois, j'avais évoqué assez précisément sa trajectoire. La trajectoire d'un ancien ami de Jacques Chirac, plus exactement.
C'est étonnant mais compréhensible de voir Nicolas Sarkozy parmi les premiers à exprimer sa peine. Après tout, l'ancien Président est le dépositaire du parti gaulliste, ou du moins, son meilleur représentant historique à ce jour. Bernard Pons, qui a bâti toute sa carrière dans l'ombre de Jacques Chirac, l'avait activement soutenu à l'élection présidentielle de 2007. On pourrait même dire que Bernard Pons a commencé et fini sa carrière en contraposition de Jacques Chirac même si elle fut (sa carrière) pleinement chiraquienne au point d'avoir dû endosser une responsabilité qui était bien trop lourde pour lui, à savoir le massacre de la grotte d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988.
Les " grands moments de compagnonnage ", c'étaient ceux du RPR, pas du " gaullisme triomphant " comme a semblé l'indiquer Nicolas Sarkozy (il s'est juste trompé d'une décennie), c'était sans doute le RPR tant idéalisé par Éric Zemmour (qui n'a toutefois jamais rien eu à voir avec ses idées et son programme), celui de Charles Pasqua, de Claude Labbé, de Robert Pandraud. Le RPR des caciques, fidèles au parti, au point d'en oublier l'intérêt général.
Bernard Pons a commencé plutôt chabaniste. Ancien résistant (très jeune), il a commencé sa vie active comme médecin généraliste dans le Lot, à Cahors, dont il fut élu adjoint en 1965. En mars 1967, il s'est fait élire député du Lot (la circonscription de Figeac-Souillac, là où s'est rendu Emmanuel Macron entre les deux tours) dans une opération supervisée par Pierre Juillet en décembre 1966 pour faire élire de jeunes pompidoliens sur les terres "arides" du radicalisme (Centre-Ouest). Il fut élu dans la même "promo" (législature) que Jacques Chirac, les autres "jeunes loups" furent battus, en particulier Pierre Mazeaud, Jacques Limouzy (qui est mort il y a cinq mois) et aussi Jean Charbonnel, pourtant bien implant, jeune député sortant et maire de Brive, battu par Roland Dumas, un candidat de la FGDS soutenu activement par François Mitterrand.
Bernard Pons avait aussi un privilège dans sa relation avec le Premier Ministre de l'époque : il s'est fait élire également, d'octobre 1967 à mars 1978, conseiller général sur le canton de Cajarc, où se trouvait la résidence secondaire de Georges Pompidou. Lorsque ce dernier fut élu Président de la République, Bernard Pons fut bombardé membre du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas puis de Pierre Messmer comme Secrétaire d'État chargé de seconder le Ministre de l'Agriculture du 22 juin 1969 au 28 mars 1973.
Sa carrière parlementaire a été très longue puisqu'il a été élu et réélu député sans discontinuer (sauf nomination au gouvernement) de 1967 à 2002, d'abord dans le Lot (1967-1978), puis dans l'Essonne à Étampes (1978-1981), enfin à Paris dans le 17 e arrondissement (1981-2002). Il fut d'ailleurs le seul candidat de droite élu dès le premier tour en juin 1997 (avec 53,6%). Il fut également élu député européen en juin 1984 en tant que numéro deux de la liste d'union menée par Simone Veil, aux côtés de Jean Lecanuet.
Son "transfert" à Paris avait aussi pour but de se mêler de la politique parisienne auprès de Jacques Chirac, élu maire de Paris en mars 1977 : Bernard Pons fut ainsi élu conseiller de Paris de 1983 à 2008 et en 2001, il nourrissait quelques ambitions cachées (et injustifiées) de se présenter à la mairie de Paris. Ainsi, il a pris toutes les étiquettes gaullistes de cette longue période : UNR, UDR, RPR et UMP.
Bernard Pons, dinosaure du chiraquisme primordial
Écarté du pouvoir lors du septennat de Valéry Giscard d'Estaing, ce fut à ce moment-là que Bernard Pons a "plongé" dans le chiraquisme fidèle et loyal, lors de la création du RPR en décembre 1976 : il fut en particulier désigné secrétaire général du RPR de 1979 à 1984 et président du groupe RPR à l'Assemblée Nationale de 1988 à 1995. En d'autres termes, il fut une sorte de Christian Jacob avant l'heure, capable de tenir la boutique (RPR) quand le navire tanguait mais sans énorme densité politique.
Dans le sillage de Jacques Chirac, Bernard Pons est retourné au pouvoir deux fois, la première fois en cohabitation comme Ministre des DOM-TOM du 20 mars 1986 au 9 mai 1988, après la victoire de la droite et la nomination de Jacques Chirac à Matignon, puis comme Ministre de l'Équipement, du Logement, des Transports et du Tourisme du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, après la victoire de Jacques Chirac à l'élection présidentielle et la nomination de son fidèle Alain Juppé à Matignon. Au total, près de huit ans au gouvernement, ce qui est assez exceptionnel.
Malgré cette rareté du soutien à Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 1995 (la plupart des élus RPR avaient soutenu Édouard Balladur), Bernard Pons faisait partie de la "vieille garde" qui n'appréciait pas beaucoup Alain Juppé, lui préférant Philippe Séguin en 1996. Il se voyait même Premier Ministre, mais il devait être le seul à l'imaginer vraiment.
Sa carrière parisienne s'est terminée dans la Berezina avec un échec cinglant aux législatives en juin 2002 : François de Panafieu, qui était menacée par la gauche dans sa circonscription du 17 e arrondissement nord, s'est présentée en dissidente dans la circonscription du 17 e arrondissement sud, celle de Bernard Pons qui n'a obtenu que 22,3% alors que la future candidate à la mairie de Paris en 2008 a eu 40,8% et a été réélue au second tour sans adversaire (Bernard Pons s'étant désisté). Patrick Stefanini, celui qui a été le récent directeur de campagne de Valérie Pécresse, a été le candidat au 17 e arrondissement nord et a été battu par la candidate socialiste Annick Lepetit.(au premier tour, Annick Lepetit a eu 33,4% et Patrick Stefanini 32,5% ; au second tour, respectivement 50,3% et 49,7%).
Bernard Pons, dinosaure du chiraquisme primordial
Dans une interview au journal "Le Parisien" le 4 octobre 2005, le "bon docteur Pons" s'inquiétait de la santé de son ami Jacques après son AVC du mois d'août 2005 : " Ce n'est jamais anodin. Compte tenu de son âge, de ses antécédents tabagiques, de son alimentation et du fait qu'il n'a jamais fait de sport, c'est même à prendre au sérieux. (...) L'image de "l'homme indestructible" est atteinte. Il va devoir vivre sous contrôle médical (...). En tout cas, la perspective d'une nouvelle candidature paraît aujourd'hui bien improbable. " (propos recueillis par Laurent Valdiguié).
Car Bernard Pons en était persuadé, Jacques Chirac, avant son pépin de santé, voulait se représenter en 2007 car il n'aurait pas su quoi faire en dehors de la politique : " Tel que je le connais, il avait en tête d'être à nouveau candidat. Que voulez qu'il fasse ensuite ? (...) Cela fait quarante ans que je le pratique, et il n'a jamais rien fait d'autre que de la politique. Même le dimanche, il est toujours resté dans son bureau à passer des coups de fil ! Contrairement à François Mitterrand, il ne s'est jamais beaucoup promené dans Paris. Pour lui, il est impensable de s'arrêter. ".
Comme l'expliquent les nombreuses dépêches annonçant sa disparition en citant un extrait de cette interview, Bernard Pons a exprimé sa déception voire sa tristesse au sujet du Président Jacques Chirac en confiant : " Je ne suis ni amer ni aigri, je suis triste et déçu. (...) On a assisté à un immobilisme absolu. Que restera-t-il du septennat : une absurde dissolution. Que restera-t-il du quinquennat : un funeste référendum. (...) Je l'ai cru longtemps ouvert, attentif, généreux, fidèle en amitié. Je constate aujourd'hui qu'il en est autrement. Il a une idée bien personnelle du pouvoir. Tout est compartimenté, pesé, calculé. Il n'a jamais aimé, ni voulu, conduire un travail d'équipe, tous les hommes proches de lui ont été mis dans des cases et il les a utilisés en fonction de l'étiquette qu'il y avait sur la boîte. Beaucoup de ceux qui, dans son entourage, ont été corvéables à merci ont été rejetés comme des Kleenex. ". Cela ressemble à du vécu !
Eh oui, le fidèle d'entre les fidèles s'est rebellé : le divorce date de la campagne présidentielle de 2002. En tant que président des amis de Jacques Chirac, Bernard Pons avait demandé à Nicolas Sarkozy d'être son invité d'honneur à Nice, mais à cause de cela, Jacques Chirac l'a " excommunié " : " Aujourd'hui, je ressens une responsabilité vis-à-vis de tous ceux que j'ai entraînés et qui ont cru en tout cela... Cela fait beaucoup de monde, de quoi faire... une association des anciens amis de Jacques Chirac ! ".
On comprend donc mieux pourquoi Nicolas Sarkozy a autant de peine : Bernard Pons fut de ces chiraquiens qui ont cru en Nicolas Sarkozy dès 2005, voire dès 2002. Et cela, le "grand Jacques" ne pouvait l'admettre...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La main de Chirac.
Bernard Pons.
Élysée 2022 (45) : le naufrage du parti Les Républicains.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
Bernard Pons, dinosaure du chiraquisme primordial
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220427-bernard-pons.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/04/27/39453219.html


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvainrakotoarison 1208 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine