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Chemins obliques, de Marie-Hélène Miauton

Publié le 03 juin 2022 par Francisrichard @francisrichard
Chemins obliques, de Marie-Hélène Miauton

Dans ce recueil, je dis les choses "d'une vue oblique", pour reprendre Montaigne 1; mon vagabondage intellectuel prend des voies détournées, passe par des chemins de traverse, renonce parfois à toute rationalité pour appréhender les paraboles 2 du chemin, obliquement.

Marie-Hélène Miauton a pèleriné 3, semble-t-il, en 2018. Cette année-là, à partir de la Suisse, elle s'est rendue à Rome en suivant la Via Francigena, dans les pas de l'archevêque Sigéric de Canterbury, qui, en 990, y est allé pour recevoir son pallium des mains de Jean XV:

La voie [...] pénètre en Suisse à Vallorbe, passe par Lausanne, longe la rive du lac Léman, grimpe le Grand-Saint-Bernard pour dévaler sur Aoste, traverse le Piémont et la plaine du Pô avec ses rizières jusqu'à la joyeuse Pavie, coupe par les Apennins pour arriver à Lucques, croise Carrare, sinue dans l'inoubliable Toscane, parvient dans le Latium et rallie enfin la Ville éternelle.

Pourquoi entreprendre un tel périple? Dans son avant-propos, l'auteure répond:

- pour prendre de la distance;

- pour ralentir le temps;

- pour se tenir disponible [...] à un éveil spirituel

Marie-Hélène Miauton n'est pas partie seule. Sur un tiers du trajet, elle a marché avec Jean-Pierre, son infatigable compagnon de route, mais, à la suite d'un accident, celui-ci a dû poursuivre son chemin à vélo:

Autant j'ai aimé avoir mon compagnon auprès de moi, pour le plaisir de sa présence et le partage des moments importants, autant je me suis sentie libre et heureuse de marcher sans lui.

Car il y a un équilibre à être ensemble et un autre à être seul: il est bénéfique d'expérimenter les deux.

Ce livre, composé de chapitres qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, n'est pas un récit touristique - l'auteure ne se disperse pas en flâneries -, mais un recueil de réflexions qui lui sont venues en marchant, ces réflexions se nourrissant de paysages et de rencontres.

Ainsi établit-elle le lien entre civilisation et agriculture; se souvient-elle que, dans l'Égypte antique, le fait de nommer signifiait donner la vie; trouve-t-elle Dieu perspicace d'altérer la vue des hommes au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge; apprécie-t-elle que l'Italie témoigne de la justesse de s'éloigner de l'état de nature en ayant ajouté du plaisir et de la beauté à ce qui n'est que fonctionnalité; fait-elle l'éloge des routes qui ne se contentent pas de relier les hommes entre eux, mais leur parlent aussi de vie et d'aventure...

Marie-Hélène Miauton a limité l'emploi de ses compagnons électroniques au strict nécessaire: la localisation réciproque avec Jean-Pierre, la visualisation du trajet précis de chaque étape, la prise de photos:

Les appareils ne sont jamais responsables de l'usage qui en est fait, nous seuls le sommes!

Marie-Hélène Miauton n'a emporté avec elle qu'un livre - ce qui ne veut pas dire qu'elle soit la femme d'un seul livre (la crainte de Thomas d'Aquin) -, L'Anthologie de la poésie française, de Georges Pompidou. Cette lecture lui a confirmé que l'âme humaine ne change pas au cours des siècles, en dépit de l'alternance des modes et des conditions de vie...


Cette dilection pour la poésie lui a en tout cas évité de devenir seulement [une rêveuse] ou uniquement [une] pragmatique:

La poésie tente d'éclairer les choses de l'intérieur, à l'inverse d'un projecteur qui ne met en lumière que leur matérialité.

Certains poètes lui parlent plus que d'autres, tels Rimbaud, Hugo, Baudelaire, Péguy, Mallarmé, Apollinaire ou, plus proches dans le temps, Gustave Roud, Philippe Jaccottet, ou encore, aujourd'hui, Anne Perrier:

Seuls les poètes posent les questions qui importent vraiment!

Francis Richard

Chemins obliques, Marie-Hélène Miauton, 152 pages, Éditions de l'Aire

1 - "Mes fantaisies se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique."

2 - Le chemin est une source incessante de réflexions et sans doute est-il lui-même une parabole de la vie. Étymologiquement, la parabole correspond [...] à la trajectoire d'un projectile lancé et tombant à terre...

3 - Ma relation avec Dieu est [...] restée intellectuelle au lieu de l'amour véritable que lui portent les mystiques et de nombreux fidèles fervents.

Livre de l'auteure précédemment chroniqué:

Criminalité en Suisse - La vérité en face, 216 pages, Favre (2013)


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