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Gaëlle Bélem : Un monstre est là, derrière la porte

Par Gangoueus @lareus
Gaëlle Bélem : Un monstre est là, derrière la porte

Il est une règle constante quand tu lis un roman publié dans la collection Continents noirs de Gallimard. C’est la question du style de l’écriture. Une approche très classique, cadrée que l’on reconnait. J’ai souvent l’impression qu’être publié dans cette collection, c’est s’inscrire dans une tradition, une histoire de l’écriture…


A ce jeu, le roman de la réunionnaise Gaëlle Bélem, Le monstre est là derrière la porte, est parfait. Pour une fois, j’ai envie de parler d’écriture. Même si l’exercice n’est pas aisé. On l’évite parce qu’il exige une certaine expertise. Je suis un lecteur. Il n’y a quasiment pas de dialogue. Très peu de dialogue, une description continue d'une petite fille qui survit en décodant le monde qui l'entoure, celui des Dessaintes. On est dans la tête d’une petite fille qui grandit. Elle évoque la forme d'un monde que l’on pourrait penser être celui des Sartoris, ces aristocrates du Mississippi défait par la guerre de sécession, et ses yankees que conte William Faulkner. L’écriture est élégante, flamboyante, grandiloquente, snob. En particulier en début de roman. Il est question d’approche éducative, avec une scène qui m’a marqué, quand toute petite fille, la narratrice monte sur la table au grand dam de ses parents. La réaction de ces derniers ne passent pas par la violence physique, mais une manipulation verbale traumatisante du père, validée par sa mère. 
« Bien sûr, ils attachaient une certaine importance au fait de nourrir, habiller et coiffer l’unique enfant qu’ils avaient mis  au monde, mais jamais, absolument jamais, ils ne forcèrent le zèle jusqu’à l’instruire, pire, l’éduquer. »  (p.13)

Elle va raconter la rencontre de ses parents. Le profil du père, celui de la mère. Elle va nous dire le mariage complètement loufoque de ses parents. Elle va nous décrire … 
« la Réunion des années 80, tas de gravats du bord  du monde où les pires superstitions humaines, chassées par les courants du scepticisme européen, trouvaient  enfin un rivage assez poreux où s’échouer, prendre racine et couvrir  de leur ombre d’épouvante un peuple borné et crédule jusqu’aux viscères » (p.14). 
Portrait au vitriol. Le ton est donné. Je vais faire dans le cliché mais de la Réunion, j’ai l’idée des images magnifiques de grandes randonnées dans ces zones montagneuses où, à une époque se cachaient les marrons, les plages où rodent des requins affamés, le canyoning pour touristes venus de la Métropole, le métissage… Gaëlle Bélem envoie valser tout cela. «Va là-bas!»  L’an dernier, j’ai lu un roman de Mickaël Joron qui présentait déjà la Réunion sous son côté "destroy", ses quartiers sensibles, ses gangs, loin des plages sablonneuses. La première des violences que décrit Gaëlle Bélem, c’est la violence au sein de la famille, celle qui est derrière la porte d'une modeste demeure. Dans la cellule nucléaire. Pour dire cette violence, elle ne borne pas le propos de la narratrice. Elle ne caresse pas le lecteur. Un roman de plus où le monde est vu à partir du regard d’un enfant. Une fille unique en quête d’amour, de reconnaissance, rejetée par ses parents, otage des frasques de ces derniers.

Mémoire de l’esclavage / S'en défaire ou en être l’otage ?

Nous sommes dans les années 80. L’esclavage a fait des ravages une centaine d’années plus tôt sur l’Île de Réunion. Elle convoque la mémoire de ces captifs venus du continent africain dont les Dessaintes sont les héritiers. 
« Ils dormaient, ils rêvaient, ils se réveillaient et le rêve continuait. Et ce bonheur, pensaient-ils, n’était qu’un juste dédommagement des enfers passés : la grisaille de l’enfance, la misère tenace, l’adolescence solitaire et cette histoire, cette histoire de chiendent c’est-à-dire de chaîne et de servage qui, de génération en génération, enserrait leur orgueil dans sa gaine et faisait d’eux des êtres violents. Tout cela était maintenant derrière eux.     Fils d’Afrique, fils d’esclaves, fils tout court, ils n’en avaient que faire ! Plus rien ne pèserait jamais sur eux. Le présent était pleine merveille et l’amour le gouvernait. »  (p.61)
On pourrait l'oublier mais la Réunion a été une terre d'esclavage avec la particularité de ne pas être loin des côtes africaines
« Étrillés par la liberté et la soif de l'inconnu, certains étaient tout de même parvenus à s'enfuir. A vrai dire, au milieu des nuits tièdes et bleue, personne ne se souvenait du chemin par lequel ils étaient passés. Personne ne souvenait même d'être parti. Courir, ne pas regarder en arrière, il n'y avait que cela qui comptait. »  (p.65) 

La voix de l'enfant

Gaëlle Belem est juge pour enfants. J'ai le sentiment que dans la voix de sa narratrice, elle a concentré plusieurs paroles, plusieurs témoignages de l'enfant unique, rejeté, non attendu, objet de violences psychologiques, aux premiers postes d'observation des violences conjugales qui prennent une tournure animale. Cet enfant, néanmoins, progresse, avance, déconstruit. Elle tente de se faire accepter par tous les moyens, en particulier par ses résultats scolaires. Quand son père disparaît, s'évapore, c'est auprès de ses beaux pères qu'elle quête une approbation. La violence de son regard sur l'environnement qui est le sien est à la hauteur de celle qu'elle subit. Une approche mêlant lyrisme et ironie.Alors qu'elle est en voie de pouvoir s'émanciper de cette réalité, après avoir réussi son baccalauréat et avoir monté une commerce avec sa mère dysfonctionnelle, elle est rattrapée par la violence de ses pères.

Mon avis

C'est un propos délicat que délivre Gaëlle Belem. Difficile, car en première lecture, il est une charge contre ses parents, contre son environnement, contre l'héritage familial, contre la Réunion. Une charge qui semble dire un profond désamour. Il est une dénonciation de méthodes éducatives peu reluisantes et le constat de l'absence d’amour pour la narratrice. En seconde lecture, il me semble que nous évoluons dans des sociétés, les maux dits par l'enfant sont minorés pour ne pas dire ignorés. Il n'y a qu'à voir les sujets de société touchant à l'enfance… Gaëlle Bélem donne donc la place à une parole cinglante, dérangeante qui semble crachée dans la soupe sans trouver un bout par lequel ces parents pourraient trouver grâce. Sans trop en dire sur la fin, j'ai un souci avec déterminisme qui ponctue cette oeuvre littéraire qui enferme son personnage. Peut-être est-ce le moyen pour elle de dire l'immuabilité d'une condition, des décrochages.
Gaëlle Bélem : Un monstre est là, derrière la porteEditions Gallimard, Continents noirs, 2020, 210 pages 

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