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Entretien avec Françoise Hardy

Publié le 25 juillet 2022 par Eric Acouphene

 ENTRETIEN AVEC FRANÇOISE HARDY AUTOUR DE L'ASTROLOGIE ET DU SENS (1989-90)

Cet entretien paru dans Nouvelles Clés date de plus de  trente ans (fin des années 80). Françoise et moi nous rencontrions alors très  régulièrement. Mes pensées vont vers elle aujourd'hui affectée par la maladie (elle ne s'en cache pas) . 

L’astre chantant

Entretien avec Françoise Hardy

Gilles Farcet : Vous avez consacré une bonne part de votre énergie à étudier les mécanismes et déterminismes humains. On connaît votre intérêt pour la graphologie et l’astrologie. Comment en êtes-vous venue à vous passionner pour ces disciplines ?

François Hardy: A l’âge de dix-huit ans, sur les conseils de mon médecin, je suis allée voir un astrologue, André Barbault. Je n’y connaissais rien et m’attendais à me faire prédire mon avenir. Lorsque j’ai entendu ce monsieur, que je rencontrais pour la première fois, me parler de mes problèmes personnels, me dire des choses intimes à partir de mon thème, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’étonnant. Cela fut le point de départ. Plus tard, lorsque j’ai cessé de faire de la scène, j’ai profité de mes loisirs pour suivre des cours d’astrologie. De fil en aiguille, j’ai rencontré Jean-Pierre Nicolas qui m’a proposé de collaborer à une revue qu’il fondait. Par la suite, nous avons animé ensemble une émission astrologique sur RMC. Cette collaboration m’a conduit à étudier son approche de l’astrologie, très différente de celles qui ont cours par ailleurs.

Gilles Farcet : Vous considérez-vous aujourd’hui comme astrologue ?

Françoise Hardy : Oui, tout de même…

Gilles Farcet : Que cherchez-vous à travers l’astrologie?

Françoise Hardy : Au départ, je voulais comprendre un peu plus à qui j’avais à faire, lorsque je rencontrais quelqu’un. C’était un moyen de connaître les autres et aussi, bien sûr, de me connaître moi-même. Avec le temps, je me suis aperçue que les informations astrologiques étaient très limitées : elles n’indiquent en effet que des prédispositions, sans dire ce que le sujet va en faire. Chaque être humain est conditionné par beaucoup d’autres choses que son ciel de naissance. Prenant conscience de ces limites, j’ai eu envie de compléter l’astrologie par autre chose. J’avais songé à la morphopsychologie, puis un heureux concours de circonstances m’a fait rencontrer Christian Dulcy qui m’a convaincu de m’initier à la graphologie. Je continue aujourd’hui de suivre des cours dans cette dernière discipline, qui me paraît être une science extrêmement complexe. Il est, à mon avis, plus difficile d’analyser une écriture que d’analyser un ciel de naissance dans lequel il n’y a guère que les douze signes, les neuf planètes et le soleil. Les combinaisons varient, bien entendu, mais on retrouve toujours un peu les mêmes configurations. Les informations dispensées par le thème restent beaucoup moins précises que celles données par l’analyse graphologique dans laquelle entrent en jeu davantage de paramètres. En contrepartie, le thème est plus facile à manier. La graphologie exige, me semble-t-il, beaucoup plus de compétences, de dons, ou d’années de travail que l’astrologie. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt de cette dernière. 

Gilles Farcet : L’astrologie est aujourd’hui un business et un milieu dans lequel abondent les querelles d’école, les disputes de chapelle…

Françoise Hardy : Il en a toujours été ainsi. Ces querelles ne m’intéressent guère, mais il est vrai que je suis parfois un peu gênée que l’on connaisse mon intérêt pour l’astrologie dans la mesure où celle-ci n’a pas toujours bonne presse. Nombre de gens se sont, de l’extérieur, fait de cette discipline une idée souvent peu flatteuse. Cela tient sans doute au fait que l’astrologie la plus répandue est assez stupide. Et là, on est bien obligé de se situer, de se réclamer d’une école plutôt que d’une autre, quitte à devoir se montrer très critique à l’égard de certaines approches. Pour ma part, je me rattache donc à l'astrologie dite conditionaliste et suis assez agacée, par exemple, lorsque j’entends des astrologues affiliés à d’autres écoles parler de la lune noire. 

Gilles Farcet : Pourquoi?

Françoise Hardy : Parce que la lune noire n’a aucune existence physique ! Jean-Pierre Nicolas promulgue une astrologie sérieuse, fondée sur les réalités astrophysiques du système solaire, cependant que d’autres mettent sur le même plan des planètes qui ont une existence physique et des points fictifs tels que la lune noire. Comment peut-on accorder la même importance, attribuer les mêmes effets à un point fictif et à une planète ? Cela m’apparaît comme une aberration, qui contribue à donner de l’astrologie une image fumeuse, tout à fait fantaisiste. Certaines écoles portent ainsi un tort considérable à l’astrologie car elles mélangent tout et n’ont pas encore saisi la réalité physique des signes du zodiaque. 

Gilles Farcet : Que pensez-vous de l’astrologie dite karmique?

Françoise Hardy : Voilà à mon sens un exemple de confusion totale. Le karma est une chose, l’astrologie en est une autre. Tout cela est on ne peut plus flou, approximatif, et il ne saurait en être autrement dans la mesure où l’on ne peut mélanger l’inconnaissable et l’inconnu. C’est à Castaneda que je suis redevable de cette distinction qui me paraît très précieuse. Pour moi, le karma relève et relèvera toujours du domaine de l’inconnaissable, alors que l’astrologie relève encore en partie du domaine de l’inconnu. Par ailleurs, on ne peut parler d’astrologie karmique, puisque des tas de gens naissent en même temps et ont le même ciel de naissance sans avoir pour autant le même karma. Il suffit de considérer le déroulement de leur vie pour s’en apercevoir. Tous les gens qui partagent le même thème que Picasso n'ont pas connu le même destin que lui. Il me semble donc aberrant que l'astrologie, qui est une discipline fondée sur l’observation et l’interprétation de phénomènes physiques, concrets, puisse fournir des renseignements sur ce qui relève de l’inconnaissable.

Gilles Farcet : La pratique de l’astrologie s’inscrit-elle, pour vous, dans le cadre, plus vaste, de ce que l’on pourrait appeler une quête spirituelle ?

Françoise Hardy : Non, mon intérêt pour l’astrologie satisfait plutôt une curiosité quant au fonctionnement de l’être humain. J’aurais, par exemple, tout aussi bien pu faire des études de psychologie. Graphologie, psychologie, astrologie sont des disciplines qui permettent de se mieux comprendre et de mieux comprendre l’autre. Elles aident à cerner le fonctionnement de l'être humain, les règles de ses jeux relationnels. Pour moi, cela n’a rien à voir avec la spiritualité en tant que telle. D’un côté on trouve des sciences ou des approches qui posent la question du “comment ?”, cependant que, de l’autre, la spiritualité soulève l’interrogation plus fondamentale du “pourquoi ?” Non pas “comment fonctionnons-nous dans l’existence ?” mais “pourquoi existons-nous ?” Il s’agit là, me semble-t-il, de deux questions tout à fait différentes.

Gilles Farcet : Qui toutes deux vous intéressent…

Françoise Hardy : Oui, mais s’il est possible d’obtenir des réponses précises dans le domaine du “comment ?”, il n’en va pas de même sur le plan du “pourquoi ?”. Là, les réponses, si réponses il y a, sont toujours aléatoires et font entrer en jeu la croyance, la foi…

Gilles Farcet : Le “comment ?” ne peut-il pas constituer un premier pas vers le "pourquoi ?" Toutes les spiritualités et sagesses préconisent l’étude de nos propres mécanismes. “Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux”... 

Françoise Hardy : Au-delà du je, j’éprouve un attrait pour les expériences mystiques, pour tous les témoignages qui pointent vers une autre réalité, c’est ainsi que j’ai été très touchée par Les Dialogues avec l’Ange, pour citer un ouvrage connu et typique de ce dont je parle.

Gilles Farcet : Tout à l’heure, vous n’avez cessé de me parler du désir et de la peur ; or, vous êtes tout de même interpellée par une dimension située au-delà du désir et de la peur…

Françoise Hardy : Oui, mais si cette dimension m’intéresse, elle demeure pour moi abstraite. Je n’en ai pas, jusqu’à présent, une expérience concrète. 

Gilles Farcet : Cependant vous croyez à son existence ?

Françoise Hardy : Oui et non. En fait, j’ai la foi sur le plan des sentiments mais pas sur le plan intellectuel. Ma raison a toujours besoin de rencontrer des témoignages de ce dont mon cœur est convaincu. En même temps, ma raison livre bataille à mon cœur, elle le taquine en lui disant qu’il n’a cette intuition de Dieu ou de l’au-delà que parce que ça l’arrange, qu’il en a quelque part besoin. J’aimerais être en mesure de prouver à mon intellect que mon cœur est dans le vrai…

Gilles Farcet : Êtes-vous touchée par l’art sacré, le chant grégorien, les icônes ?

Françoise Hardy : En fait, tout ce qui a un relent de religion m’ennuie profondément.

Gilles Farcet : Et si vous alliez séjourner dans un ashram où ont cours certains rites ? 

Françoise Hardy : Cela m’ennuierait, à moins que l’on puisse me les justifier d’une manière suffisamment attrayante.

Gilles Farcet : Vous craignez de retomber dans la religiosité de votre enfance ?

Françoise Hardy : Oui, dans la répétition mécanique, les rites auxquels on se soumet sans savoir pourquoi, les prières marmonnées comme un automate… Toutes ces pratiques vides de sens. En fait, vous avez raison quand vous affirmez que l’étude du “comment ?” peut préparer celle du "pourquoi ?" Une grande part de la religion courante frise, me semble-t-il, la débilité mentale et je crois qu’on devrait d’abord étudier la psychologie avant d’en arriver à la religion proprement dite. Beaucoup de gens se tournent vers la religion parce qu’ils ne vont pas bien ; or la psychologie leur serait d’une aide bien plus efficace.

Gilles Farcet : La spiritualité authentique n’est pas destinée aux personnes qui ont déjà bien du mal à faire face à l’existence ordinaire. Elle concerne ceux qui possèdent déjà une certaine structure intérieure. Le maître d’Arnaud Desjardins, Swami Prajnanpad, disait: ” On ne peut pas sauter de l’anormal au supranormal”...

Françoise Hardy : Eh bien, je suis tout à fait d’accord ! Pour les gens qui souffrent, la spiritualité n’est qu’une évasion, une façon d’éluder leurs problèmes.

Gilles Farcet : Vous vous étudiez vous-même, vous décortiquez les mécanismes du quotidien… Qu’en est-il de la politique, d’une autre forme d’engagement en direction de l’extérieur ?

Françoise Hardy : J’admire nombre de chanteurs qui par générosité s’engagent politiquement. Mais pour ma part, je crois que, pour prendre des positions et avoir une action politique, il convient de savoir ce qu’est la politique. Or, j’avoue mon ignorance en cette matière. La politique m’apparaît comme un domaine très complexe, et je trouve aberrant que chacun se mêle de politique sans en avoir les compétences. Les gens, moi la première, discourent, bavardent, sans vraiment savoir de quoi ils parlent. Quelle valeur cela a-t-il ? Sans réelle compétence, on peut se faire piéger par des tas de choses, se faire utiliser, surtout lorsqu’on jouit d’une certaine notoriété. Enfin, j’ai la conviction, qu'en politique comme ailleurs, l’affectif brouille les cartes. Cela est vrai dans tous les domaines, mais cela me paraît particulièrement dangereux sur le plan politique. Nous prenons telle position pour des raisons que nous croyons objectives, alors que notre attitude est entièrement déterminée par l’affectif. C’est un piège très pernicieux. Cet écueil est pratiquement impossible à éviter et ce, même si l’on fait preuve de vigilance. Cela m’incite à la réserve. 

Gilles Farcet : L’aisance matérielle, une certaine réussite vous rend-elle plus disponible ?

Françoise Hardy : Bien sûr ! Je suis souvent tourmentée de constater que c’est l’argent qui donne accès à certaines choses : une personne matériellement défavorisée ne pourra guère se permettre de faire une analyse, une thérapie, de s’intéresser à la psychologie et ainsi d’élargir son horizon. L’argent donne aussi du temps, une latitude… Idem pour la spiritualité : aurais-je pu lire Krisnamurti si j’avais dû travailler sans relâche comme ma femme de ménage? J’en doute… Cela dit, chacun a son destin et des personnes bien moins favorisées que d’autres sur le plan matériel peuvent parfois aller beaucoup plus loin… J’ai été bouleversée par les livres de Carlos Castaneda et entre autres par une scène qui se déroule entre l’auteur et Don Juan. Tous deux se trouvent dans une ville mexicain où des enfants affamés se jettent sur des restes de nourriture. Castaneda tient à leur sujet un discours proche de celui que je viens tout juste de tenir. De mon point de vue, sans doute superficiel, ces enfants misérables auront plus de mal à accéder à certains domaines. Quand Castaneda lui parle en ces termes, Don Juan s'insurge et lui renvoie ses propos à la figure en lui expliquant que c’est précisément lui qui est défavorisé, et que ces jeunes gens dépourvus de culture connaissent un accès plus aisé à l’expérience spirituelle concrète. De fait, Don Juan ne se prive jamais de signifier à Castaneda qu’il est particulièrement lent, “bouché”, à cause d’un excès de cérébralisation et de l’influence d’une culture qui tend à raidir, à rigidifier le réel. 

Gilles Farcet : Quel est votre désir profond, au-delà des désirs immédiats, même très importants ? 

Françoise Hardy : Je souhaite aller vers davantage de disponibilité et davantage de sérénité, les deux étant à mon sens indissociables.

Gilles Farcet : Si vous regardez en arrière, la portion de votre existence qui s’est déjà écoulée a-t-elle pour vous un sens ?

Françoise Hardy : Durant plus de vingt ans, j’ai fait des chansons et je ne le regrette pas. Cela a-t-il un sens ? De toute manière, je n'étais sans doute pas capable de faire autre chose. Certaines de mes chansons sont plutôt bonnes, d’autres sont plus critiquables. En tout cas, ne sachant faire que cela, et dans la mesure où cela me procurait certaines satisfactions, j’ai fait de mon mieux. Au fur et à mesure que je souffrais, des interrogations se sont levées, qui m’ont permis avec l’aide de l’astrologie et de la graphologie, de croître en compréhension. J’espère être un jour en mesure de synthétiser tout ce que j’ai pu entrevoir. Je souhaite pouvoir en faire usage pour moi -même et pour les autres. A différentes époques de ma vie, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont vraiment aidée. Je me souviens ainsi de Mme Godefroy, qui m’a initiée à l’astrologie alors qu’elle était déjà âgée. J’aime à envisager pour moi une vieillesse utile, dans laquelle l’expérience accumulée me permettrait à mon tour, de venir en aide aux autres. Peut-être n’est-ce qu’un idéal… mais j’y tiens.

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