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Civilisation et libre arbitre, de Jean-Philippe Delsol

Publié le 28 juillet 2022 par Francisrichard @francisrichard
Civilisation et libre arbitre, de Jean-Philippe Delsol

Le libre arbitre, comme Dieu, ne se prouve pas, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Il bénéficie en tout cas de solides présomptions d'existence et peut se définir ainsi:

Le libre arbitre est la capacité de l'homme à choisir ce qu'il veut penser, dire ou faire, à retenir une option quand il aurait pu se décider pour une autre. Mais il n'est pas la liberté, il en est le prélude, la matrice, la condition.

LIBRE ARBITRE OU DÉTERMINISME EN RELIGION

Le libre arbitre et le déterminisme se disputent l'existence tout au long de l'histoire des hommes. Jean-Philippe Delsol rappelle que, dans l'antiquité, si le libre arbitre des hommes n'est pas totalement exclu, le destin plane sur leur tête, celle des Grecs, quoi qu'en dise Aristote, et celle des Romains, chez qui seuls les stoïciens ne s'y résolvent pas.

Le judaïsme a peut-être rendu l'homme conscient de son libre arbitre, mais c'est le christianisme qui en a fait la pierre angulaire de son édifice jusqu'à ce qu'advienne la Réforme, qui l'abandonna pour la prédestination, laissant le seul catholicisme se fonder sur lui, la prescience de Dieu ne le contredisant pas, le temps divin étant différent du temps humain.

L'histoire de l'islam est édifiante. Pendant les premiers siècles de l'Hégire (622), le libre arbitre des mu'tazilites est proche de l'aristotélisme, mais, après, il est remis en cause par les ash'arites qui s'abandonnent à une sorte de prédestination, minimisant les oeuvres au profit de la foi, comme le fera à son tour le protestantisme de Luther ainsi que celui de Calvin.

LIBRE ARBITRE OU DÉTERMINISME EN PHILOSOPHIE

À l'époque moderne, du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, le débat entre libre arbitre et déterminisme se poursuit. Au XVIIe siècle Spinoza est le chantre du déterminisme de la nature; Descartes, qui y est opposé, est plus ambigu à son égard avec sa vue mécaniste du monde, qui réduit la liberté humaine; jésuites et jansénistes s'opposent sur la prédestination.

Sont déterministes Hobbes, qui ne croit ni au libre arbitre ni à la liberté des individus sinon au travers de la liberté de l'État, Hume, pour qui l'homme est une machine améliorée, un infime rouage d'une immense ingénierie. Locke a du mal à concilier son déterminisme mécaniste avec l'omniscience en Dieu dont il est persuadé autant que de la liberté...

Pour Schopenhauer l'homme se croit libre mais ne l'est pas. Constant et Tocqueville ne glosent pas sur le libre arbitre, tant pour eux il est naturel sans doute. Kant ne récuse pas le déterminisme,développe l'idée de la causalité par la liberté, sacralise la raison qui la permet. Pour Hegel, la liberté n'existe qu'en étant dissoute dans l'universel et seul l'État est universel...

William James croit au libre arbitre sans pouvoir le démontrer. Bergson et son disciple Jankélévitch considèrent le libre arbitre comme une partie essentielle de l'homme conçu comme le devenir incarné. Les rebelles catholiques tels Ernest Naville ou Lacordaire s'en font les ardents défenseurs, tandis que Montalembert parle davantage de liberté de conscience.

Parmi les économistes libéraux qu'analyse l'auteur, Frédéric Bastiat est le plus convaincu que le libre arbitre est la pierre angulaire sur laquelle repose la prospérité des sociétés. Les écoles autrichienne et ordolibérale, qui suivent, ont le même souci de la liberté intérieure et de son caractère déterminant pour équilibrer les moyens et les besoins.

L'auteur poursuit son tour d'horizon des philosophies, avec celles de la liberté comme une fin en soi, tels l'existentialisme de Jean-Paul Sartre, qui conduit au néant ou à la révolution permanente, ou l'objectivisme d'Ayn Rand, qui propose que chacun définisse ses fins et trouve le sens de sa vie. Et le termine avec le compatibilisme et ceux qui s'y opposent aujourd'hui.

LIBRE ARBITRE OU DÉTERMINISME EN LEURS FRUITS

C'est peut-être dans les fruits du libre arbitre ou du déterminisme que les présomptions de l'existence du premier et de l'inexistence du second se confirment le mieux:

- l'islam des premiers siècles de l'Hégire (du VIIIe au XIe siècle de notre ère), où le libre arbitre est reconnu, est celui où la civilisation musulmane, permettant ses conquêtes, resplendit avant que son rejet, pour le remplacer par la prédestination (avec pour conséquence une religion totalisante), ne le fasse tomber dans la pauvreté d'aujourd'hui (les chiffres à l'échelle mondiale parlent d'eux-mêmes);

- le protestantisme aurait dû se traduire par le même dépérissement puisqu'il se fondait comme l'islam sur la prédestination, mais c'était compter sans un ensemble de mécanismes correcteurs qui ont rétabli et optimisé le rôle de l'individu et sans la distinction qu'il a maintenue entre la cité spirituelle et la cité temporelle;

- le catholicisme, paradoxalement, qui est pourtant fondé sur la séparation du spirituel et du temporel (rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu) et sur le libre arbitre, a vu celui-ci se réduire avec le renforcement de l'alliance du pouvoir politique et de la religion, voire de sa domination: la France d'aujourd'hui a ainsi hérité du centralisme monarchique et en a poursuivi l'extension sans fin de l'État sous les régimes suivants.

Il n'empêche: Malgré les obstacles qu'il a rencontrés dans la manifestation des libertés, l'Occident a créé vraisemblablement la civilisation la plus libre de toutes celles qui ont existé et c'est l'attachement de ces peuples occidentaux à leur libre arbitre et à leurs libertés qui ont permis l'essor exceptionnel de ce continent, qui a ensuite bénéficié au monde entier.

LA PERSONNE OU LA FIGURE DU LIBRE ARBITRE

L'homme contribue par lui-même à sa propre personne. Le libre arbitre apparaît dès lors comme un facteur nécessaire d'individuation. [...] Dans sa recherche ontologique, l'homme découvre son libre arbitre qui lui permet de s'interroger sur lui-même, de se différencier des autres et par là de libérer sa créativité dans toute sa richesse inattendue.

De même qu'il a retracé l'histoire du libre arbitre versus le déterminisme, Jean-Philippe Delsol retrace celle de la notion de personne qui lui est fondamentalement liée, depuis la tradition juive, en passant par l'antiquité grecque, jusqu'à aujourd'hui.

Chaque individu est singulier et pourtant appartient à une communauté universelle, celle de la nature humaine. Ce qui fait la singularité d'un homme par rapport aux autres et de l'homme par rapport aux autres êtres vivants, c'est sa liberté intérieure (le libre arbitre), dont la liberté (extérieure) est le complément indispensable, la réalisation:

Le succès de l'Occident repose principalement sur la valorisation de la responsabilité individuelle qui n'a été possible que parce que l'individu a été reconnu et que l'échange entre individus a été tout à la fois ouvert et organisé par le droit de façon à le valoriser au bénéfice de toutes les parties dans leur respect réciproque, ce qui a été nommé la république ou la démocratie, et/ou l'état de droit.

L'homme peut commettre le mal, mais il ne le sait que parce qu'il dispose de son libre arbitre, alors qu'un animal connaît la souffrance, pas le mal. Mais qu'est-ce que le bien? Il est difficile de le déterminer, de le pratiquer, de le faire advenir; le bien est surtout impossible sans le libre arbitre, qui permet de s'élever moralement:

Ceux qui prétendent posséder le monopole du bien récusent nécessairement le libre arbitre.

Le lecteur lira avec profit les pages que l'auteur consacre au cerveau par lequel l'homme n'est pas déterminé, à l'intelligence artificielle, qui n'est pas intelligente et relève de la copie, au mystère des origines, qui ne s'expliquent ni par le hasard ni par la nécessité. 

CONCLUSION

Nous sommes le fruit de nos gènes, de notre éducation et de notre environnement, mais nous faisons plus ou moins usage de nos capacités, de ce à quoi notre éducation nous a ouverts, des contraintes et des opportunités de notre environnement. Au croisement de ces données qui elles-mêmes évoluent en permanence, chaque être est unique et nouveau, donc capable de nouveauté, de créativité. Les possibles sont infinis, imprévisibles. La plus grande richesse du monde, c'est l'homme parce qu'il recèle une immense inventivité. Le libre arbitre a balisé l'histoire de la liberté pour favoriser l'émergence du processus d'individuation et en assurer la consolidation. Il a permis aux hommes de devenir des personnes en agissant de leur plein gré, en ayant des pensées qui soient les leurs.

Francis Richard

Civilisation et libre arbitre, Jean-Philippe Delsol, 384 pages, Desclée de Brouwer

Livres précédents de Jean-Philippe Delsol:

Pourquoi je vais quitter la France Tatamis (2013)

L'injustice fiscale ou l'abus de bien commun Desclée de Brouwer (2016)

Éloge de l'inégalité Manitoba (2019)

Livre précédent de Jean-Philippe Delsol et Nicolas Lecaussin:

A quoi servent les riches JC Lattès (2012)

Échec de l'État Éditions du Rocher (2017)


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