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Le nouveau Ring de Bayreuth — Le Rheingold de Valentin Schwarz continue d'alimenter la polémique

Publié le 11 août 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

 Le nouveau Ring de Bayreuth — Le Rheingold de Valentin Schwarz continue d'alimenter la polémique

Olafur Sigurdarson (Albérich)
Le point de vue du metteur en scène 
Toutes les enfances heureuses se ressemblent, toutes les enfances malheureuses sont malheureuses à leur manière. 
Tolstoï

Le metteur en scène autrichien Valentin Schwarz a voulu relever le défi de porter à la scène L'Anneau du Nibelung comme  une histoire continue et très actuelle en tentant d'en faire une série au potentiel addictif, dans laquelle on suit d'épisode en épisode les membres et les invités non invités d'une grande famille. Il a tenté de mettre leur passé en lumière mettant l'accent sur le thème de l'enfance et plus particulièrement sur la maltraitance coercitive ou sexuelle de l'enfance, soulignant que (peut-être) un jour ou l'autre, le néant, l'oubli arrivent pour chacun. Contre les abondantes scories sulfureuses laissées par l'enfance,  chacun des personnages essaie de lutter à sa manière — à l'aide du pouvoir, des biens, de la richesse, de la violence, de la beauté ou de la descendance.
Valentin Schwarz a voulu aussi tendre un miroir au public, espérant que peut-être le public, éprouvant de l'empathie pour chacun des personnages, qu'il soit en apparence bon ou secrètement mauvais, qu'il soit proche et sympathique ou lointain et fascinant, il puisse mieux comprendre l'être humain tel qu'il est au 21ème siècle avec ses défauts et les dangers qu'il se crée lui-même. Il considère que d'un point de vue moral, nous sommes composés de nuances de gris ; même les soi-disant méchants ont leurs problèmes à résoudre. 
Il a tenté de présenter ce grand récit dans une esthétique homogène — sans pour autant vouloir affirmer une conception fermée du monde, qui considérerait les destins comme un simple drame d'idées, comme à travers un télescope retourné. Il voit le Ring comme une épopée familiale en quatre parties, veut nous faire suivre et regarder vieillir les personnages, chacun avec sa biographie différente, à travers le temps. Un monde passe, un autre naît. Valentin Schwarz veut nous faire rencontrer des gens dans leur tragédie et leur comédie, avec leurs peurs et leurs rêves qui se brisent sur la réalité.
Voir aussi notre interview du metteur en scène. (Cliquer sur le lien)
Le nouveau Ring de Bayreuth — Le Rheingold de Valentin Schwarz continue d'alimenter la polémiqueMime (Arnold Bezuyen) et les fillettes
Compte-rendu
Après qu'aux premières mesures de l'ouverture la salle est plongée dans les ténèbres, une vidéo de Luis August Krawen est projetée sur une immense toile d'avant-scène avec le miroitement du clapotis des eaux qu'on peut penser celles du fleuve dans lesquelles viennent cependant bientôt flotter deux cordons ombilicaux entremêlés reliés à deux foetus à la gemellité supposée. Les foetus se montrent bientôt agressifs et vindicatifs et l'on assiste à un combat in utero avec des yeux encore aveugles pochés, des ongles bleuis et quelques effusions de sang. L'enfance, le grand thème de la soirée est lancé : seraient-ce déjà les frères ennemis, l'Albe blanc Wotan et l'Albe noir Albérich, qui se livrent à un premier combat dans cette lutte haineuse dont aucun ne sortira vainqueur ?
La toile se lève sur la scène présentant un long pédiluve où pataugent les filles du Rhin et bientôt Albérich. Des petites filles entourent cette "piscine" munies de bouées et de ballons de plage, et un petit garçon isolé porteur de vêtements et d'une casquette jaune foncé. Les trois filles du Rhin semblent les monitrices d'un camp de vacances pour ces jeunes enfants qui vont assister impassibles à la scène profondément immorale au cours de laquelle Albérich renonce à jamais à l'amour au profit de la puissance et de la fortune. Mais voilà, dans la mise en scène de Valentin Schwarz, Albérich ne s'empare pas de l'or, mais du petit garçon qu'il va bientôt mettre en cage. À noter que si en français, on parle peu d'un enfant en or  mais plutôt d'un petit trésor, l'allemand utilise l'adjectif goldisch pour désigner un enfant adorable. Das Kind ist so süß, es ist so goldisch (Cet enfant est si mignon, il est en or.) 
Cette première scène nous introduit d'emblée à deux éléments clés de la mise en scène qui va systématiquement oblitérer la mythologie wagnérienne, au grand dam de nombreux spectateurs, et mettre en exergue le thème de l'enfance. Ce n'est plus l'or et l'anneau qui seront l'objet de toutes les convoitises et passeront de main en main, mais un petit golden boy. Cet enfant, encagé et maltraité (Valentin Schwarz a-t-il voulu représenter Hagen jeune?), se vengera à sa manière de sa condition : on le verra au fil des scènes rebelle, destructeur et vandale. En gommant tout élément mythique, Valentin Schwarz va insister sur l'abjection des relations familiales que le mythe, par la distance qu'il introduit, permettait d'enrober d'une aura lointaine  les relations incestueuses dont le Ring est farci (Wotan incestueux avec sa mère Erda, la mère de tous les dieux et des Walkyries, avec sa soeur et épouse Fricka, Siegmund et Sieglinge, frère et soeur et amants, Brünnhilde et Siegfried (tante et neveu). En faisant des dieux de grands bourgeois arrivistes et des nains du royaume du dessous de simples humains, des enfants forcés au travail, il les rend proches de nous, et nous tend le miroir de nos vices et de nos turpitudes. Il n'est dès lors pas étonnant que cette incessante piqûre ne soit pas du goût du public. La maltraitance des enfants, leur travail forcé et la pédophilie sont trop souvent des réalités sociales et familiales que nous préférons  ignorer et occulter et sur lesquelles la mise en scène nous paraît insister.

Le nouveau Ring de Bayreuth — Le Rheingold de Valentin Schwarz continue d'alimenter la polémique

Freia (Elisabeth Teige), Froh (Attilio Glaser), Fricka (Christa Mayer)


Les décors d'Andrea Cozzi donnent à voir l'intérieur d'une vaste demeure bourgeoise au luxe prononcé : boiseries, riche parquet, mobilier rupin. Fafner et Fasolt sont des entrepreneurs qui se déplacent en SUV de grosse cylindrée et ne sont géants que par leurs portefeuilles. Albérich est habillé en rockeur et on n'assiste à aucune des transformations ou disparitions que permettent l'anneau ou le magique Tarnhelm. Les nains de la mine ne sont que des enfants, des fillettes esclaves qui sont utilisées à fabriquer des jouets en forme de chevaux. Du coup, dans l'évocation musicale des scènes de la mine d'or, on n'entendra pas la tonitruance des marteaux et des pics mais le simple petit cliquetis de petits marteaux utilisés par des petites filles. À la fin du prologue, pas davantage de magie : le pont arc-en-ciel et le fastueux Walhalla sont évoqués a minima par la maquette lumineuse d'une petite pyramide enfermée dans un cube de plexiglas.
Les nombreuses personnes qui n'adhèrent pas aux points de vue de cette mise en scène auront sans doute trouvé consolation dans la  prestation des interprètes.
Réactions du public
On peut souvent constater qu'une fois la première passée, aussi tumultueuse fût-elle, le public s'assagit quelque peu, et, le metteur en scène n'étant plus présent au moment des salutations, le public ne manifeste plus, ou bien moins, son mécontentement. Ce ne fut pas le cas hier soir où dès la fermeture du rideau, une nouvelle bronca de grande ampleur s'éleva, les huées couvrant rapidement les bravi et autres applaudissements. Cette lapidation accompagnée de bruit et de fureur était surtout dirigée contre la mise en scène. Les chanteurs furent pour la plupart fort acclamés, toutes les chanteuses sans exception, et plus particulièrement encore Elisabeth Teige (Freia), Christa Mayer (Fricka) et sans aucun doute davantage s'il est possible Okka von der Damerau, admirable Erda, tous les chanteurs aussi à l'exception notable d'Egils Silins apprécié des uns, vilipendé par les autres, à combat égal. Daniel Kirch fut très applaudi, mais ce fut surtout l'Albérich d'Olafut Sigurdason qui remporta une ovation trépignante et une ola admirative.  L'excellent orchestre ne reçut pas l'hommage habituel, le chef Cornelius Meister récoltant une volée de protestations. À la sortie, on pouvait observer de nombreuses  mines désappointées et des propos horrifiés : "En quarante ans de Bayreuth, je n'ai jamais subi une pareille soirée !" ou recueillir de plus rares commentaires admiratifs, tels : " Je craignais le pire ce soir : j’ai trouvé ce Rheingold passionnant et bouleversant… C’est normal ???! " 
Il n'y avait pas de normalité hier soir....
Distribution de la représentation du 10 août 2022
Direction d'orchestre : Cornelius MeisterDécors Andrea Cozzi
Costumes Andy Besuch
Dramaturgie Konrad Kuhn
Lumières Reinhard Traub
Video Luis August Krawen
Wotan Egils Silins
Donner Raimund Nolte
Froh Attilio Glaser
Loge Daniel Kirch
Fricka Christa Mayer
Freia Elisabeth Teige
Erda Okka von der Damerau
Alberich Olafur Sigurdarson
Mime Arnold Bezuyen
Fasolt Jens-Erik Aasbø
Fafner Wilhelm Schwinghammer
Woglinde Lea-ann Dunbar
Wellgunde Stephanie Houtzeel
Floßhilde Katie Stevenson
Crédit des photos © Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

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