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Manet, de Georges Bataille

Publié le 17 août 2022 par Francisrichard @francisrichard
Manet, de Georges Bataille

Paru il y a deux tiers de siècle, cet essai de Georges Bataille était lumineux, le reste, le restera: manet, manebit. Tous ceux qui aiment l'art, apprécieront cette analyse subtile et convaincante de Manet.

Avec beaucoup de finesse, l'essayiste dessine les traits qui font d'Edouard Manet un peintre en rupture avec les conventions du passé et en opposition complète avec le goût du public de son époque.

Manet était une belle personne, élégante, effacée et tourmentée: un homme un peu superficiel, mais sur les nerfs, possédé par un but qui le débordait, qui le laissait insatisfait et l'épuisait, dit Bataille.

C'est ce tourment impersonnel qui aura été son guide et qui lui aura permis de se libérer et de libérer les autres des contraintes, de l'ennui, des mensonges que le temps révélait dans des formules mortes:

L'épuisement de la peinture éloquente, que rien de vrai n'animait plus, ouvrait les voies d'une forme nouvelle de peinture qui nous est familière aujourd'hui, mais que d'avance personne n'envisagea, que seules atteignirent les étranges réactions et la recherche hasardée, angoissée, d'Édouard Manet. Du peintre qui introduisait du désordre dans la pose.

Avec Manet, l'art n'est plus l'expression de formes souveraines. Les images ne tirent plus leur majesté d'une signification politique, mais de la place qu'il donne à l'art, devenu pour lui la valeur suprême.

Le scandale que produisit L'Olympia, ce chef-d'oeuvre, dont un détail figure en couverture du livre (les rires coléreux que le tableau suscita firent douter le peintre de lui-même) en illustre le dessein:

Ce qui domine si nous regardons l'Olympia est le sentiment d'une suppression, c'est la précision d'un charme à l'état pur, celui de l'existence, ayant souverainement, silencieusement, tranché le lien qui la rattachait aux mensonges que l'éloquence avait créés.

Le secret du changement opéré par Manet réside dans son indifférence au sujet, qui se traduit par la sobriété et l'effacement, i.e. par la négation d'un monde convenu, puis par la déception d'une attente.

Passé le doute, Manet parvient au sommet de son art, et a le goût de la pleine matité de l'accord. Ses aplats accusés, par leur nouveauté, l'aident à dégager la peinture du vieil enlisement de l'éloquence:

Ils aident à glisser au moment où l'objet attendu n'est plus rien, sinon cette sensation inattendue, cette vibration pure et suraiguë qui s'est rendue indépendante de la signification prêtée.

Il est un principe auquel tint Manet: Jamais il ne manqua de faire uniquement "ce qu'il voyait", d'où sa verdeur d'expression, au service de mises en page imprévues, et sa sensibilité d'homme authentique.

Francis Richard

Manet, Georges Bataille, 160 pages, L'Atelier contemporain (édition de 2021, illustrée de 44 reproductions en noir et blanc)


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