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Qu’est-ce qu’un corps ?

Publié le 31 décembre 1969 par Argoul

What a body is? If you believe to know it, you are wrong. In other civilisations, the body is only a relationship image. In this Parisian exhibition in the newly opened Musée du Quai Branly, you will understand how the body can be a part of a lineage in Africa, image in Europe, build by the society of men in New-Guinea and only a look in Amazonia.

Vous croyez savoir ce qu’est un corps, et notamment le vôtre ? Quelle présomption ! Allez donc voir l’exposition « Qu’est-ce qu’un corps ? » au musée Branly, à Paris, et vous serez comme moi : confiant à l’entrée, désorienté à la sortie. Il n’y a pas à dire, Branly ébranle. Et c’est bien ainsi, nous avons trop de certitudes, de questions réglées « une fois pour toutes » dans la tête. Un corps n’est donc pas ce qu’on croit, pas plus que le « moi » dont se gargarisent les Occidentaux n’existe. C’est la vertu de l’anthropologie que de ne pas considérer les objets mais les relations, de ne pas s’extasier devant « l’Art », fût-il « primitif », mais de chercher à comprendre pourquoi il a été créé et ce qu’il signifie.

Au cœur du Labyrinthe de ce musée compliqué, en mezzanine, s’étend l’exposition de centaines d’objets mis en ordre sur ce propos du corps. L’Afrique montre que le corps a des doubles, l’Europe que la chair est image, la Nouvelle-Guinée qu’on ne naît pas homme mais qu’on le devient, enfin l’Amazonie que le corps n’est fait que de regards. Partout, le corps n’est pas un « donné » mais une fabrication sociale.

En effet, l’Afrique voit le corps présent comme la confrontation du vivant et du non-vivant, le corps n’est qu’un passage du « génie » des ancêtres ; les morts reviennent parmi les vifs pour transmettre l’énergie, la passion, l’intelligence ; et les vivants leur rendent un culte. L’ancêtre donne au corps sa place dans l’histoire de la lignée, le génie de la brousse sa place dans le lieu où il vit.

L’Europe confronte le corps physique à la ressemblance au modèle divin et à l’exemplaire conforme du code génétique. L’homme est à l’image de Dieu et le Verbe s’est fait chair en Christ. Le corps est alors le signe et l’instrument de l’Imitation. Le monde moderne est déchristianisé mais garde cette relation entre le sujet et son principe génératif, vieil idéalisme qui remonte au débat de Platon et d’Aristote. Le code génétique est le nouveau Dieu-matrice qui « oblige » à l’idéal de beauté, nouvelle transcendance véhiculée par la culture comme par la publicité. Le Modèle, hier divin, est aujourd’hui biologique, mais le corps se doit de s’y conformer.

En Nouvelle-Guinée, le corps féminin va de soi - mais le masculin doit rééquilibrer le féminin dans l’existence du garçon, d’où l’importance des rites d’initiation. L’être humain, formé de sperme paternel et de sang maternel est fondamentalement androgyne. Si le corps féminin est complet « naturellement », le corps masculin est englobé par la femme et doit être réduit par les rites d’initiation masculine. Il lui faut se débarrasser, par le rituel, des éléments maternels pour être vraiment “fils de son père”.

En Amazonie, l’humain s’oppose au non-humain, le corps n’est que l’apparence prise par les êtres qui vivent ensemble, en guerre avec ceux qui ont appétit à le dévorer. Le corps présent est produit par les regards des autres êtres, relation liée au régime alimentaire. Si l’autre mange comme moi et avec moi, il est congénère, donc « humain » ; s’il peut être mangé par moi ou me manger, il n’est pas humain mais « proie » (jaguar) ou « prédateur » (pécari). C’est ainsi que le guerrier doit se « transformer » en jaguar pour abattre ses ennemis trop humains. Le corps n’est vraiment qu’une relation symbolique, construite par la société dans laquelle on vit.

La personne ne peut se construire qu’en résolvant par étape les contradictions présentes dans la psyché sociale. L’exposition n’est donc pas un catalogue d’objets, mais se veut un argument illustré par les représentations conservées : statues, parures, postures, discours, rites… Le « moi » n’existe que comme construction collective, le « corps » n’est que relation au monde. Cela paraît compliqué à lire comme ça, mais s’éclaire vitrine après vitrine, panneau après panneau. Une heure suffit largement à voir cette exposition qui fait penser. Ensuite, vous pouvez vous perdre dans le fatras apparent du grand paquebot des civilisations « premières ».

Qu’est-ce qu’un corps ? Exposition au musée du Quai Branly à Paris, ouverte du mardi au dimanche 10h-18h30, galerie suspendue Ouest.

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