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Touhfat Mouhtare : Le feu du Milieu

Par Gangoueus @lareus
Touhfat Mouhtare : Le feu du Milieu

Je reprends mes habitudes de lecture et d'écriture dans les transports en commun. Celles et ceux qui suivent mon blog savent qu'il s'agit d'espaces que j'affectionne particulièrement. Cet article consacré au troisième texte publié par Touhfat Mouhtare est écrit depuis mon carnet de notes en ligne, le temps de mes errances en Île-de-France...


J'aimerais vous faire part de ma lecture du roman Le feu du Milieu de Touhfat Mouhtare et d'échanges que j'ai pu avoir avec la romancière comorienne. Les bons textes vous renvoient à d'autres lectures intéressantes. C'est, du moins, mon point de vue. L'histoire de Gaillard, une jeune servante, dans une société qui ressemble aux Comores me fait cet effet. Gaillard vit avec Tamu, sa mère adoptive. On sait que sa naissance est entourée de mystères et de rejet. Tamu est là, elle, présente pour Gaillard. Elle couche avec Fundi, le maître coranique qui éveille sa fille à la lecture et à la spiritualité. Il y a déjà là un élément de rupture. Les talibés sont des jeunes femmes. Et Gaillard est la meilleure. Parmi les tâches domestiques auxquelles Gaillard s'adonne, il y a la collecte de fagots de bois. Elle y rencontre Halima, une fille de maître....

Halima ou la question du colorisme dans les sociétés post-esclavagiste.

Rien ne me saoule plus que le sujet du colorisme en littérature. C'est du même niveau que le phénomène de dédicaces "kobuaka libanga" dans la rumba congolaise. Ces problématique dans le monde des produits culturels sur lesquels les diagnostics ont dû mal être posés. Pour ce qui concerne la stratification dermique, on ressasse un complexe d'infériorité sans en saisir les causes profondes. Touhfat Mouhtare en a bien conscience. Aussi joue-t-elle de cela. C'est important d'analyser les choses sous cet angle. Halima fait partie de la caste des "élus", de celles et ceux qu'on suit dans la société. Elle est claire de peau et Gaillard, dans une inhabituelle altercation, lui rappelle ses ascendances arabo-perses. Elle évoque entre autres la communauté indienne qui refuse tout mélange au point d'enfermer les femmes dans des enclos protégés.
Ces questions de race et de caste font partie d'une sorte d'état des lieux réalisé par l'auteure. Je le dis après coup et suite à la préparation d'une rencontre littéraire avec Touhfat Mouhtare.

Halima ou l'emprise des pères

Si Touhfat Mouhtare use d'une tactique éculée d'analyse des travers d'une société par le biais de celles et ceux qui en sont méprisés, à savoir Gaillard dans notre contexte une servante (ce serait les Noirs pendant l'esclavage chez Faulkner, le canidé chez Nganang), la condition d'Halima n'a au final rien d'enviable pour la servante. Halima paie au prix fort, les mécaniques impitoyables d'un patriarcat qui n'aura que faire de penser l'épanouissement des femmes dans cette communauté. Halima est amoureuse d'un homme qu'elle  a choisi,  ce qui est déjà une gageure, un privilège, pour être livré à un maître coranique, à savoir Fundi. Dix ans plus tôt, lors de sa première rencontre avec Halima proposait déjà, trop lucide sur sa condition, d'obtenir les moyens de l'évasion de ce monde des pères particulièrement oppressif. Elle a une carte à jouer, elle va s'en servir avec Gaillard.

Halima ou la sororité pour s'affranchir

Nous faisons mal aux femmes. C'est un fait. On ne peut pas reprocher à des écrivaines afro-descendantes de penser des mondes excluant les hommes si on ignore leurs stratégies d'évasion par le moyen de la fiction qui traduisent un besoin vital. Un lien fort, complexe se construit entre Halima er Gaillard. Certains y voient de l'homosexualité, d'autres une amitié intense. J'ai envie de dire peu importe. L'écrasement de la société les unit, les rapproche. Touhfat Mouhtare raconte avec les facéties d'une belle écriture et la volonté d'embarque son lecteur ou sa lectrice dans des lieux inattendus, des corps différents. Parce que l'état des lieux des différentes hiérarchies sociales comoriennes n'est qu'une rampe de lancement du sujet fondamental de son roman qui est l'évasion. La plus beau cadeau qu'on puisse offrir, c'est une part de rêve. Je ne souhaite pas vous donner plus d'éléments. Je dirai juste que Touhfat Mouhtare appartient à une génération qui a été à la fois par une tradition orale forte, la fantasy, DC comics et Marvel. Elle réussit à nous embarquer dans un monde merveilleux où comme dans un carnaval, les rôles peuvent s'inverser, des corps autres peuvent être investis, l'évasion est le moyen d'expérimenter la différence, la tolérance, l'amour au sens le plus noble.
Je pense avoir réussi, pour une fois, à dire ce que je pense profondément d'un roman sans rien dire de celui. Tout est à découvrir. Faites-vous plaisir. 
Touhfat Mouhtare, Le feu du MilieuEditions Le Bruit du Monde, rentrée littéraire 2022

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