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Chevreuse de Patrick Modiano

Par Etcetera
Chevreuse de Patrick ModianoCouverture chez Gallimard

Note pratique sur le livre

Editeur : Gallimard
Date de publication : 2021
Genre : roman
Nombre de pages : 159

Petit résumé de l’histoire (vue par moi)

Un jeune homme d’une vingtaine d’années se remémore des événements qui lui sont arrivés une quinzaine d’années plus tôt, à l’époque de son enfance, et dont il se souvient très mal. En effet, des personnes qu’il côtoyait en ce temps-là réapparaissent brutalement dans sa vie et semblent avoir vis-à-vis de lui des intentions peu claires et agissent avec lui d’une manière ambiguë, parfois inquiétante. Nous partons donc sur les traces de ce jeune homme, Jean Bosmans, et tentons de reconstituer avec lui cet arrière-plan de souvenirs touffus, dont beaucoup de choses semblent avoir disparu sans laisser de trace. (…)

Mon humble avis :

Avant d’écrire cette chronique je suis allée regarder sur Internet les diverses et nombreuses critiques qui lui ont été consacrées et j’ai été très étonnée de constater que la plupart des commentateurs parlent de ce livre comme si c’était une stricte autobiographie, un épisode réel de la vie de Patrick Modiano. Je suis peut-être à côté de la plaque mais j’ai lu ce livre comme un véritable roman, une fiction tout à fait imaginaire, même si on sent que certains petits détails pourraient être tirés du vrai, même si le héros est écrivain (mais il s’appelle Jean Bosmans et non pas Patrick Modiano), et on se fait plusieurs fois la réflexion, au cours de la lecture, qu’ici la réalité est tellement imbriquée avec l’imaginaire qu’on aurait beaucoup de mal à les démêler et qu’il n’y aurait, en plus, pas tellement d’intérêt à le faire.
Dans ce roman, on retrouve beaucoup d’éléments typiquement modianesques : l’importance primordiale des lieux (quartiers de Paris et de sa banlieue sud, certaines rues et certains appartements), des personnages plus ou moins fantomatiques dont on ne sait pas grand-chose (et le peu de choses qu’on en sait est incertain et sujet à caution), le héros lui-même nous apparaît en quête de ses souvenirs, perdu dans une enquête sur son passé et cherchant finalement à reconstituer sa propre identité à travers des bribes de mémoire, des traces de personnages qui ont disparu et qu’il n’a peut-être même jamais vraiment connus profondément.
Ici, de larges zones de l’histoire sont passées sous silence et demeurent inexpliquées : nous ne comprenons pas pourquoi ce Jean Bosmans, vers l’âge de cinq ans, vivait sans ses parents et sans aucun adulte de sa famille, avec des personnes inconnues et louches (plus ou moins, des repris de justice) : pourquoi, pendant combien de temps et quel était leur mode de vie, nous l’ignorons. Les relations des personnages les uns avec les autres nous apparaissent mystérieuses et nous sentons que nous n’avons pas tous les éléments pour établir les causes, les conséquences des événements, les buts et les motifs des personnages – ce qui trouvera effectivement son explication à la fin mais pas totalement.
C’est essentiellement un roman sur le thème du temps qui passe, du temps qui efface les gens, les choses ,les événements, les souvenirs et où le mot « disparition » s’inscrit en filigrane tout au long des pages.
Un très beau livre, où les amateurs de Modiano retrouveront tout ce qui fait le charme et l’atmosphère de l’œuvre de cet écrivain.

Un Extrait page 49

Il éprouvait un sentiment de légèreté à se promener cet après-midi là, au hasard dans les rues d’Auteuil. Il pensait à cet appartement si différent le jour et la nuit, au point d’appartenir à deux mondes parallèles. Mais pourquoi s’en serait-il inquiété, lui qui depuis des années avait l’habitude de vivre sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve, et de les laisser s’éclairer l’un l’autre, et quelquefois se mêler, tandis qu’il poursuivait son chemin d’un pas ferme, sans dévier d’un centimètre, car il savait bien que cela aurait rompu un équilibre précaire ? A plusieurs reprises, on l’avait traité de « somnambule », et le mot lui avait semblé, dans une certaine mesure, un compliment. Jadis, on consultait des somnambules pour leur don de voyance. Il ne se sentait pas si différent d’eux. Le tout était de ne pas glisser de la ligne de crête et de savoir jusqu’à quelle limite on peut rêver sa vie.(…)

Un Extrait page 60

Il dut attendre encore de nombreuses années avant d’en savoir un peu plus long sur l’hôtel Chatham et « le groupe » auquel Camille avait fait allusion, un cercle d’individus assez inquiétants. Mais cette nouvelle perspective ne changea rien aux souvenirs qu’il gardait de cette période de sa vie. Au contraire, elle confirmait certaines impressions qu’il avait eues, et il les retrouvait intactes et aussi fortes, comme si le temps était aboli.
A cette époque, il n’avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu’il croisait et aux rues une très vive phosphorescence. Puis, peu à peu, en vieillissant, il avait remarqué que la lumière s’était appauvrie ; elle rendait désormais aux gens et aux choses leurs vrais aspects et leurs vraies couleurs – les couleurs ternes de la vie courante. Il se disait que son attention de spectateur nocturne avait faibli elle aussi. Mais peut-être qu’après tant d’années ce monde et ces rues avaient changé au point de ne plus rien évoquer pour lui.


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