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Sans filtre (Triangle of Sadness)

Par Kinopitheque12

Ruben Östlund, 2022 (Suède, France, Allemagne, Royaume Uni, États-Unis)

Sans filtre (Triangle of Sadness)

Sans filtre raconte une histoire avec des personnages détestables dans des situations détestables. The Square, le précédent film de Ruben Östlund en 2017, n'était déjà pas particulièrement aimable. Enfermé dans un univers bourgeois parfaitement hermétique à tout ce qui ne lui appartient pas, il se plaisait à malmener son personnage principal complaisant et sûr de sa position. Ruben Östlund faisait la morale à son conservateur de musée pour le pousser à la démission, puis à la fuite (le dernier plan).

Dans Sans filtre, c'est à peu près la même chose, mais dans un monde de milliardaires. Dans la première partie, un couple de top models, que l'on suivra jusqu'au bout, hésite sur la place à accorder à l'argent dans leur relation et finit par trouver un arrangement. À l'occasion d'une croisière de luxe avec ravitaillement en Nutella par hélicoptère (la seconde partie), le réalisateur rassemble autour des deux mannequins de vieux industriels, des marchands d'armes retraités et d'autres nantis internationaux rapidement esquissés. Östlund bouscule ces privilégiés sur leur paradis blanc comme il le faisait avec son conservateur de musée dans The Square. À cette différence près qu'il les couvre de tout ce que l'appareil digestif humain est capable d'expulser (séquence particulièrement pénible à supporter) et finalement en fait péter une bonne partie au large (le personnage de The Square baignait dans les ordures ménagères tandis que seule une petite fille explosait). Les rescapés du naufrage sont au rendez-vous d'une troisième partie du film que l'on n'espérait pas. Là, l'ordre social est renversé par une petite dame qui sur le yacht n'était rien, mais qui, au sein du groupe, étant la seule à savoir faire un feu et pêcher, s'empare du pouvoir et en profite. La dernière séquence ajoute un twist et le dernier plan se raccroche au mannequin fuyant à toute jambe pour on ne sait où.

Ruben Östlund fait une comédie. Mais cet humour d'une lourdeur à défier les lois de la physique n'est absolument pas le mien. En outre, rien n'est dit sur ces gens décrits qui ici ne sont que clichés. L'évocation des inégalités de classe, de sexe, d'origine et le malin plaisir du réalisateur à retourner ces situations contre les plus aisés n'amènent strictement rien. La forme même, si maîtrisée soit-elle, ne nous paraît pas particulièrement inventive non plus. Des films, comme Maps to the stars de David Cronenberg (2014) ou Parasite de Bong Joon-ho (2019), qui n'apportent pas non plus en soi de révélation sur les sujets qu'ils décrivent (la cruauté hollywoodienne pour l'un, la fracture sociale sud-coréenne pour l'autre), avaient un autre humour, une autre manière... Ces allégories, certes, versaient aussi dans l'outrance, mais elles créaient surtout des personnages malgré tout plus complexes, que le spectateur en tout cas ne pouvait rejeter absolument. Östlund se complaît quant à lui dans son jeu de massacre et ne conclut jamais ses récits que sur des exclusions. Il part d'idées reçues, les nourrit, crée le malaise sans jamais les contrarier, puis finit par vider ses films des quelques éléments agencés. Les personnages disparaissent, explosent ou quittent les lieux sans que leur vie ait jamais compté.

Quel sens par conséquent donner à ces deux Palmes d'or, The Square en 2017 et Sans filtre en 2022, qui n'ouvrent sur rien et ne s'ouvrent à rien ni personne ? Avec ces réalisations primées, la seule réussite de Ruben Östlund a été de partir du même pour n'arriver qu'au(x) même(s) : films semblables sur des sujets semblables pour des publics semblables, autrement dit de quoi peut-être former le seul véritable triangle de tristesse.

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