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L’aube s’est levée sur un mort. Violence armée et culture du pavot au Mexique. Entretien avec Adèle Blazquez

Publié le 11 novembre 2022 par Antropologia
L’aube s’est levée sur un mort. Violence armée et culture du pavot au Mexique. Entretien avec Adèle Blazquez

CNRS, 2022.

Comment avez-vous choisi ce lieu d’enquête ?

La commune de Badiraguato occupe une place singulière dans le traitement médiatique et institutionnel du narcotrafic et de la violence au Mexique, en grande partie parce que les ‘capos’ les plus médiatiques sont nés là-bas. L’entrée sur le terrain et le choix de cette commune s’est en partie faite par le hasard des rencontres et grâce à la générosité notamment d’une chercheuse de la région, originaire de Badiraguato. Mais il me semblait pertinent de m’intéresser à cet endroit décrit dans les médias comme « berceau du narcotrafic » et « genèse de la violence nationale ». La démarche d’enquête ethnographique allait sans aucun doute me permettre de décentrer le regard sur les enjeux sociaux de la violence, à partir du lieu où étaient apposés les discours dominants sur cette violence.

Comment avez-vous élaboré votre démarche ?

De manière assez classique en ethnographie. Il s’agissait de m’installer dans la commune et de partager le quotidien des habitant·es. Je m’intéressais aux personnes qui tâchent de vivre leur vie dans un contexte de violence et qui n’appartiennent pas à l’élite. A travers l’insertion dans des réseaux d’interconnaissance du chef-lieu, la participation au travail administratif sous la forme d’une sorte de « travail social » à la mairie, et le partage du quotidien de familles dans la zone montagneuse, j’ai essayé « d’amener » l’ethnographie dans une variété de lieux pour y observer de quoi étaient faites les différentes expériences ordinaires de ce contexte souvent considéré comme « extraordinaire ».

Pourquoi accorder une telle place aux paroles ?

En premier lieu, parce que nous avons exclusivement à faire à des discours et des actes dans l’enquête ! Je m’appuie sur les travaux de Jean Bazin et de Michel Naepels, notamment – mais pas seulement – sur les questions de production du matériau ethnographique. En ce sens, il était très important pour moi de mettre en évidence ces conditions d’enquête comme étant partie prenantes de ce que je peux dire des expériences des Badiraguatenses que j’ai rencontré·es. Dès lors, une grande partie du « matériau » est avant tout des situations d’interlocution entre moi et mes interlocuteur·ices, des moments où des personnes disent certaines choses dans une situation donnée. Si j’observe évidemment aussi des pratiques matérielles, les pratiques discursives tiennent une place centrale. C’est donc beaucoup à partir d’un travail de description de ces situations d’interlocution, d’une explicitation des implicites contenus dans les paroles que j’ai essayé de comprendre et de rendre compte du contexte plus large, des contraintes qui pesaient sur les habitant·es – à cause de la violence et de la répression du mode de subsistance, le pavot -, de la manière dont ils et elles y naviguent et y font face.

Avez-vous eu peur parfois ?

Comme souvent je pense, le début de l’enquête était plus délicat que la suite, le temps de savoir où nous mettons les pieds… J’ai essayé de raconter mon enquête et les enjeux particuliers qu’elle rencontrait du fait de la violence et de l’illégalité dans un court article publié dans le premier numéro de la revue Monde Commun (« Violence partout, justice nulle part »). Je le signale parce c’est toujours difficile de répondre à cette question de manière concise sans risquer soit de minimiser les difficultés et la violence à l’œuvre dans cet endroit (alors que je n’ai jamais été exposée aux mêmes menaces que les jeunes femmes de Badiraguato), soit d’activer une forme d’héroïsation de l’ethnographe…

Envisagez-vous de revenir ?

Oui, bien sûr ! J’y suis retournée deux fois pour des courts séjours depuis la fin de ma thèse et je compte continuer à y travailler, en parallèle avec d’autres terrains. Depuis mon enquête, de nombreux changements ont eu lieu et en particulier une transformation de l’économie locale à la suite de la crise des opioïdes et de la chute du prix du pavot. Ces transformations ont des implications fortes dans les vies quotidiennes de mes interlocuteur·ices à Badiraguato et je souhaite poursuivre les relations que nous avons entamées pendant ma thèse en suivant ces transformations.


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