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La folie comme refuge

Par Damien Barthel

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Spoilers ! Tout le film est raconté !

Dans la filmographie de John Carpenter, il y à trois films que le réalisateur qualifie lui-même de 'trilogie de l'Apocalypse'. Trois films qu'il relie entre eux par leurs ambiances nihilistes, mais qui sont, mis à part ça, totalement différents les uns des autres (aucun personnage récurrent, aucune allusion à l'un de ces films dans les autres...). Le premier de ces films est The Thing, de 1982, son remake d'un film de SF des années 50, un film avec Kurt Russell, monumental film d'horreur bien gore qui, à sa sortie, sera un bide commercial, n'étant devenu culte que bien plus tard. Le deuxième de ces films est Prince Des Ténèbres de 1988, quasiment métaphysique, un film avec Donald Pleasence, monumental film d'épouvante bien flippant qui, à sa sortie, sera un bide commercial, n'étant devenu culte que bien plus tard. Et le troisième de ces films est L'Antre De La Folie, de 1995, inspiré par les oeuvres de Lovecraft et Stephen King, un film avec Sam Neill, monumental film d'angoisse bien prenant qui, à sa sortie, sera un bide commercial, n'étant devenu culte que bien plus tard. Vous vous demandez peut-être quels films de Carpenter ont bien marché à leur sortie, vu que ces trois films ont été des échecs commerciaux, et que l'on peut en citer d'autres (Ghosts Of Mars, Les Aventures De Jack Burton Dans Les Griffes Du Mandarin, Vampires) ? Hé bien, La Nuit Des Masques a cartonné, et je crois que Christine, Fog et Starman ont bien marché. Mais il est vrai que dans l'ensemble, la filmographie de Carpenter, peu commune et assez 'indépendante' (jamais aucune grosse production blockbuster ne lui sera confiée), est synonyme de bides commerciaux.

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Mais la majeure partie de ses films sont, vraiment, réussis. Celui-ci, de 1995, sorti la même année qu'un autre film de Carpenter (le remake, bien raté, du Village Des Damnés), est donc interprété par Sam Neill, mondialement connu pour avoir joué le rôle d'Alan Grant dans Jurassic Park et Jurassic Park III. On y trouve aussi Julie Carmen, David Warner, Jürgen Prochnow (acteur allemand loin d'être médiocre, mais ayant eu la malchance de jouer dans plusieurs films ayant été de bons gros bides commerciaux : Dune, La Forteresse Noire, ainsi que l'épouvantable Terminus avec Johnny Hallyday ; il a aussi joué un rôle secondaire dans le très sous-estimé Da Vinci Code de Ron Howard), Charlton Heston (dans un rôle secondaire, l'acteur se faisait déjà rare à l'époque), Bernie Casey et, dans un petit rôle, et ce fut son premier, Hayden Christensen, futur Anakin Skywalker dans deux Star Wars. Si Sam Neill est, comme je l'ai dit, mondialement connu pour avoir joué dans deux des Jurassic Park (clairement le rôle qui l'a popularisé), il ne faut pas non plus oublier qu'il a aussi joué dans La Malédiction Finale (troisième volet de la série horrifique), où il jouait l'Antéchrist adulte, ou bien dans Possession de Zulawski, Calme Blanc de Noyce, La Leçon De Piano de Jane Campion ou A La Poursuite D'Octobre Rouge de McTiernan. Cet acteur néo-zélandais sait clairement se diversifier. 

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Le film, court (90 minutes générique de fin inclus), est un des plus flippants que je connaisse, il possède une atmosphère totalement monstrueuse à la Lovecraft ou Stephen King, mais surtout Lovecraft, les fans de cet auteur culte reconnaîtront certaines de ses obsessions. L'action démarre dans le vif du sujet : un homme est amené dans un asile psychiatrique, encamisolé, il se débat et va même filer un méchant coup de pied dans les couilles d'un des infirmiers avant qu'on ne l'enferme dans une cellule capitonnée. Il clame qu'il n'est pas fou. Cet homme s'appelle John Trent (Sam Neill). Peu de temps après qu'il soit arrivé à l'asile, un psychiatre, Wrenn (David Warner), vient le voir, entre dans sa cellule pour parler avec lui. Trent a dessiné, sur toutes les parois de sa cellule capitonnée, sur ses vêtements et sa peau, sur sa couchette aussi, des croix, avec un crayon de papier. Il va lui raconter son histoire, et semble très sensé, malgré les croix. Le reste du film est un gigantesque flash-back. Trent travaillait dans les assurances et était chargé de débusquer les fraudeurs. Un jour, dans un restaurant, lui et un collègue se font agresser, et manquent de se faire tuer, par un cinglé armé d'une hache, au visage immonde (un peu déformé, yeux révulsés) qui lui demande s'il a lu Sutter Cane et lève sa hache avant de se faire descendre par deux flics. Peu de temps après, il est appelé par une maison d'édition, qui s'avère être celle qui édite les romans de Sutter Cane, un écrivain de romans horrifiques connaissant un immense succès depuis des années, mais que Trent n'a jamais lu, n'aimant pas les romans de ce genre et suspectant que c'est sans doute de la mauvaise littérature.

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L'éditeur de Cane, Jackson Harglow (Charlton Heston), est inquiet : le prochain livre de Cane doit sortir prochainement, mais aussi bien l'auteur que le manuscrit ont disparu. Trent est chargé de retrouver les deux, en tout cas le manuscrit, qui appartient à la maison d'édition, qui se doit de le publier. Trent apprend par ailleurs que le mystérieux tueur à la hache n'était autre que l'agent de Cane, qui est devenu fou et a massacré sa famille avant de faire ce qui a été résumé plus tôt. Trent accepte la mission, bien que peu motivé, et une lectrice professionnelle travaillant pour la maison d'édition, Linda Styles (Julie Carmen), va lui servir d'accompagnatrice, lui explique qu'elle est la seule, avec feu l'agent de Cane, à lire les manuscrits avant publication, et que les écrits de Cane, sur des personnes dites psychologiquement fragiles, peuvents avoir des conséquences dramatiques. Trent décide d'acheter les précédents romans de Cane pour se familiariser avec son univers, les lit, et va faire rapidement quelques cauchemars bien sentis, étant happé par l'univers glauque et terrifiant (plus qu'il ne se l'imaginait) de l'auteur. Il découvre aussi que c'est Cane qui illustre les couvertures de ses romans, et que chacun d'entre eux possède des lignes qui, alignées correctement les unes contre les autres (pour s'en rendre compte, Trent découpe les couvertures), forme les contours de l'Etat du New Hampshire et localisent la ville fictive de Hobb's End où se passent divers romans de l'auteur. Pour Trent, c'est évident : cette ville existe bien que ne trouvant sur aucune carte, et Cane et son manuscrit s'y trouvent. Il part avec Linda, en voiture. Sur la route, ils manquent de renverser un gamin sur un vélo, qui s'avère être, en fait, un vieillard au visage troublant, qui disparaît dans la nuit sur son vélo, apparemment indemne. Peu après, en roulant, de nuit, dans le New Hampshire (c'est Linda qui roule, Trent s'est endormi), Linda sent qu'elle a quitté la route mais ne ressent aucun choc. Elle continue de rouler malgré elle, terrifiée, et finit par arriver, à la sortie d'un grand pont couvert, en plein jour, à l'entrée d'une petite ville : Hobb's End, sans savoir comment elle a bien pu parvenir à arriver dans un lieu apparemment fictif. 

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De fait, tout, dans la ville, ressemble à s'y méprendre (décor, personnages) aux romans de Cane. Pour Linda, ils sont dans l'univers de Cane, pas dans la réalité. Pour Trent, très pragmatique, ils sont dans une vraie ville, que c'est juste une mise en scène farfelue et lugubre pour promouvoir le nouveau roman de Cane, et que elle et Harglow l'ont gentiment piégé en l'attirant ici pour lui faire peur, quelque chose de ce genre. Linda lui avoue qu'en effet, la promotion du nouveau roman n'est pas étrangère à tout ça, mais que le fait de se retrouver à Hobb's End, ville prétendument fictive, n'était pas prévue. Se rendant à l'église de la ville (qui est telle que décrite dans les romans), Trent et Linda voient un attroupement de villageois arriver, armés, et réclamant qu'on leur rendent leurs enfants. Les portes de l'église s'ouvrent et se ferment à plusieurs reprises, faisant voir un petit garçon, puis un homme en tenue de curé (Jürgen Prochnow), que Linda dira à Trent, juste après, être Sutter Cane. Des chiens surgissent et attaquent les villageois qui s'enfuient, Trent et Linda aussi. Peu après, elle se rend seule à l'église, pour retrouver Cane, qui lui montre son dernier roman, L'Antre De La Folie. Elle le lit et devient folle. Pendant ce temps, Trent tente de fuir Hobb's End, qu'il pense toujours être une vraie ville dans laquelle on se fout de sa gueule avec des comédiens, et va  être dans l'impossibilité de fuir, se retrouvant, toujours, au volant de sa voiture, dans la grand-rue, harcelé par des villageois monstrueux et armés. Il percute sa voiture, et se réveille dans l'église, avec Linda et Cane, qui lui expliquent que les romans de Cane ont réveillé une race antique et monstrueuse de créatures qui veulent prendre possession de la Terre. Pour Cane, Trent n'est autre qu'un de ses personnages, et même le personnage principal de L'Antre De La Folie, et qu'il doit remettre le manuscrit à l'éditeur afin de favoriser la venue de ces monstres et de précipiter la fin de l'humanité. Trent refuse d'y croire, refuse même de prendre le manuscrit, mais on le force à le faire. Il voit Cane se déchirer le visage comme si c'était une page de papier, créant un portail vers la dimension des créatures. Apparaît aussi un tunnel qui, selon Cane, conduira Trent dans son univers à lui, afin qu'il apporte le roman.

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Trent traverse le tunnel, retrouve les USA normaux (la rencontre avec un jeune garçon à vélo lui apprend qu'il n'existe pas de ville du nom de Hobb's End), et dans une chambre d'hôtel, brûle le manuscrit. Le lendemain matin, à la réception de l'hôtel, l'employé lui remet un paquet kraft à son nom, avec, dedans, le manuscrit. Il le détruit. De retour à New York, il explique à Harglow tout ce qui lui est arrivé, et Harglow lui explique que Trent a été seul en mission, qu'aucune Linda Styles ne travaille pour lui. Il lui apprend aussi que le manuscrit a été livré depuis plusieurs mois, publié, et est devenu un best-seller tellement monumental qu'un film adapté va bientôt sortir. Totalement affolé, sachant bien qu'il ne faut pas lire le roman sous prétexte de devenir fou criminel, Trent erre dans la ville et, devant une librairie (une foule de gens venus acheter le roman, récemment réédité, est devant le magasin), est interpellé par un jeune homme au regard fou et au visage un peu mutant, qui lui parle de Cane. Il le tue à coup de hache et est emmené à l'asile. On retrouve la scène du début, l'entretien dans la cellule avec le psychiatre, Wrenn, qui s'en va juste après. Il pense que tout est une hallucination d'un cerveau dérangé. Le lendemain matin, Trent se réveille dans sa cellule. La porte est ouverte, il y à du sang un peu partout, tout est ravagé, il est seul. Il sort, tandis qu'une radio annonce, dans un flash d'info, que des cas de tueries de masse et de suicides surviennent un peu partout aux USA, et que des créatures monstrueuses, tentaculaires, apparaissent de ci de là. Trent, qui sait bien de quoi il s'agit, passe, en ville, devant un cinéma diffusant l'adaptation du dernier roman de Cane (le personnage principal, sur l'affiche, ressemble à s'y méprendre, à Trent, crédité, comme Linda et Harglow, comme acteurs, et le réalisateur est un certain John Carpenter) et il entre dans la salle (il y est seul) pour voir le film. Il y voit tout ce qui lui est arrivé à Hobb's End, et se rendant compte qu'il est en effet un personnage de roman. Il éclate de rire et de sanglots hystériques. 

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On retrouve dans ce film tout ce qui fait l'univers des romans de Lovecraft (une abomination indicible qui transforme les gens, dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre) et de King (là aussi, une petite ville de Nouvelle-Angleterre, même si, dans les romans de King, c'est dans le Maine et pas le New Hampshire ; King est cité dans le film), et le moins que l'on puisse dire, c'est que les références sont parfaites. In The Mouth Of Madness est un film admirable, à voir plusieurs fois car il peut sembler un peu abscons au premier visionnage. Les acteurs sont excellents, à commencer par Sam Neill, c'est probablement un de ses meilleurs rôles et il est des plus crédibles en héros malgré lui (il n'a rien d'héroïque au départ ; ce n'est pas un antihéros non plus, juste un homme lambda qui se retrouve malgré lui dans une histoire qui le dépasse) et on s'attache parfaitement à lui, même si, quand le film démarre, on le voit d'abord comme un aliéné dans une cellule capitonnée. La réalisation de Carpenter est efficace, le scénario (de Michael De Luca) est très bien écrit. La seule chose de négative que j'ai à dire consiste dans la musique du générique de début, du hard-rock tendance hair-metal, un morceau instrumental à la Dokken ou Ratt qui, c'est le cas de le dire, ne va pas du tout avec l'ambiance générale du film et aurait mieux convenu à, disons, Invasion Los Angeles ou à un slasher bas de gamme ! Heureusement, hormis le générique de fin, ce thème musical outrancier ne revient pas dans le film, le reste de la musique est plus carpenterienne (c'est de toute façon lui qui la signe) et très proche de l'ambiance du film. Un film absolument génial, donc, un des meilleurs du réalisateur, peut-être même son dernier grand film. Malgré tout, il ne sera pas un gros succès commercial, mais certains critiques en parleront comme d'un des meilleurs films de 1995. A voir absolument, mais gaffe !, c'est totalement angoissant et le final rend fou. 


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