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Histoire de la broderie, partie 5

Publié le 12 décembre 2022 par Anniecac @AnnieCdeParis

Le décor profane évolue avec le style des époques. Des sujets traditionnels tels que les Bucoliques de Virgile, les Métamorphoses d’Ovide, les travaux d’Hercule et autres thèmes mythologiques sont très appréciés. On fait souvent appel aux artistes renommés pour exécuter des commandes royales ; ainsi, Raphaël fournit quarante sujets inspirés de la vie des Hébreux, pour décorer la chambre de sacre de François Ier. De nombreux peintres attachés aux maisons princières de Florence, Milan et Mantoue réalisent des dessins pour les grands ouvrages de la Renaissance.

Au début du XVème siècle, la fabrication croissante de brocarts prive les brodeurs d’une partie de leurs commandes. Cependant, avec les tapissiers, ils vont chercher à flatter l’orgueil des seigneurs, en embellissant leurs demeures. Le château de Talcy conserve une belle chambre de l’époque de Charles IX, dont tous les éléments sont confectionnés au point de Hongrie. Le décès d’Henri II va fournir à Catherine de Médicis l’occasion de déployer un apparat extraordinaire : elle fait alors exécuter un « lit de velours noir, brodé de perles, semé de croissants et de soleils, avec un fond, un dossier, neuf pentes, et la couverture de parade également brodés de croissants et de soleils ; trois rideaux de dams à rinceaux fonds d’or et d’argent lesquels sont frangés de broderies de perles sur les côtés » (Inventaire de M. Bonnaffé, 1589).

Au XVIème siècle, les costumes sont également d’un luxe inouï. Du Haillan de Bordeaux déclare, à propos des courtisans, que « leurs moulins, leurs terres, leurs prés, leurs bois et tous leurs revenus se coulent en broderies, pourfilures, passements, franges, tortis, cannetilles, récameurs, chenettes, piqueurs, arrière points qu’on invente d’un jour à l’autre ». Ce faste s’exhibe sur les portraits de grands monarques comme Henri VIII, Charles Quint, François Ier et Henri IV. Les reines Elisabeth Ier d’Angleterre et Marie de Médicis (épouse d’Henri IV) portent des robes d’une somptuosité légendaire. Pour le baptême d’un prince royal, celle-ci s’est parée, dit-on, d’un costume orné de trente-deux mille perles et trois mille diamants.

Les souverains scandinaves sont épris du même luxe. Eric XIV de Suède (1560-1568) n’entretient pas moins de quinze brodeurs en perles au château de Stockholm. Au Danemark, on pratique un tel gaspillage que le roi Frédéric Ier promulgue un édit interdisant aux nobles dames de sa cour de porter robes, bonnets ou rubans ornés de perles. Frédéric II emploie six brodeurs pendant une demi-journée pour travailler un pourpoint et des chausses de velours.

En France, les règnes d’Henri II et d’Henri III privilégient les damasquinures d’or sur le velours, tandis qu’à la fin du XVIème siècle, par réaction aux modes précédentes, on favorise les brocarts et brocatelles, étoffes à ramages qui mêlent grenades et fruits divers aux feuillages épanouis.

Bien que les édits somptuaires continuent de pleuvoir contre les clinquants et les dorures, Bassompierre décrit dans ses Mémoires la toilette qu’il a commandée pour le baptême de Louis XIII : Un habillement de drap d’or, à ramages, brodé de perles en si grand nombre qu’il coûte en tout quatorze mille écus, quatorze mille pièces de métal précieux ».

A l’image de la broderie sacrée qui devait susciter l’émerveillement, l’ouvrage profane, par son caractère luxueux, tient un rôle de prestige. Il serait injuste, cependant, de ne pas évoquer l’envers de ce faste. En effet, tandis que les seigneurs scintillent de mille feux et qu’Henri IV loge ses artistes préférés dans la grande galerie du Louvre, on affuble les apprenties brodeuses, mal rétribuées, du sobriquet de « grenouilles », laissant ainsi à penser que l’eau est leur seul breuvage. La broderie restera longtemps l’apanage des classes privilégiées, et il faudra attendre le XVIIème siècle pour la voir gagner des foyers plus modestes.

Le siècle de Louis XIV – A l’époque classique, la broderie française devient l’auxiliaire de la décoration intérieure. Plusieurs brodeurs de la cour élaborent d’ambitieux programmes, alors que d’autres travaillent aux Gobelins avec les ouvriers en tapisserie. Les étincelantes étoffes façonnées ne semblent jamais assez somptueuses pour le monarque, aussi cherche-t-on à les enrichir davantage, en ornant tentures murales et rideaux, fauteuils et canapés, carrosses et tapis de selle. Le goût pour les fleurs se manifeste toujours ; on continue d’en faire venir des pays tropicaux pour fournir de nouveaux modèles aux artistes.

Du Cerceau, Lebrun, Berain, puis de la Salle, Bony, Dugourc vont donner un caractère architectural aux créations du XVIIème siècle. Ils inventent des ornements contournés aux formes amples, avec une flore et une faune opulentes – rinceaux de feuilles d’acanthe et couronnes de feuillage, fruits et fleurs exotiques, singes, écureuils -, souvent agrémentés d’une composition savante de motifs symboliques : trophées, casques, épées, carquois, flèches, oriflammes et trompettes de la victoire, exécutés à l’aide de soies multicolores, de pierres précieuses, de plaques d’argent ciselées et de broderies en relief.

Dans les inventaires après décès, qui sont des mines de renseignements pour les historiens, on peut relever quelques descriptions surprenantes. Ernest Lefébure évoque les cariatides ouvragées d’or de l’appartement du roi, qui mesurent quelque quinze pieds de haut.

L’Europe entière, éblouie par le luxe déployé à Versailles, suit les modes de la cour de France. La collection de vêtements royaux, rassemblée au château de Rosenborg à Copenhague, fournit de magnifiques spécimens de costumes brodés du XVIIème siècle. Christian IV verse chaque année des sommes considérables aux ouvriers de Copenhague. La tenue de velours noir de Frédéric III, réalisée en 1648, est un bel exemple d’ouvrage danois, avec ses bordures de broderies, soulignées de cordonnets d’or, d’argent et de soie.

La magnificence du Roi-Soleil reste pourtant sans égale. Cérémonies et fêtes, mascarades, costumes pour l’Opéra, fournissent du travail à toute la corporation des brodeurs. La Gazette du 7 décembre 1669 décrit le roi « revêtu de brocart d’or, tellement couvert de diamants qu’il semblait qu’il fût environné de lumière ». Cette mise demeure le privilège de Louis XIV, son entourage n’étant pas autorisé à tant de splendeur. Le monarque est ainsi l’inventeur du « justaucorps à brevet », habit bleu doublé de rouge et brodé d’un dessin magnifique en or et argent, porté uniquement par une élite soigneusement sélectionnée. Les costumes féminins sont généralement moins chargés que ceux des hommes. Madame de Sévigné décrit une robe de Madame de Montespan qui regorge d’un luxe excessif, moins apprécié alors que les détails de lingerie en broderie blanche ou dentelle.

La broderie, art de loisir – Le milieu du XVIème siècle donne naissance au phénomène des livres de modèles. A Paris, Dominique de Sera a publié Le Livre des lingeries avec des patrons de Jean Cousin et, en 1587, Frédéric Vinciolo fait paraître un ouvrage sur le même sujet, hommage opportun à Catherine de Médicis, qui affectionne beaucoup la lingerie fine.

Le jardinier d’Henri III, Jean Robin, organise de son côté un jardin et des serres où seront cultivées des plantes européennes et exotiques de toutes sortes (Cet établissement deviendra, par la suite, l’actuel Jardin des Plantes). Une collaboration fructueuse s’établit donc entre l’horticulteur avisé et le brodeur royal, Pierre Valet, qui fournit les dames de la cour en dessins et gravures servant de modèles à des ouvrages exécutés en soie et en or. En 1608, ils publient conjointement Le Jardin du Roy, dédié à la reine Marie de Médicis et contenant 75 images de plantes. D’autres brodeurs et éditeurs reprendront cette idée et publieront de nouveaux florilèges, pour satisfaire l’intérêt des botanistes et des artisans.

La signature d’artistes célèbres, relevée dans des livres publiés entre le XVIème et le XVIIIème siècle, démontre que le cloisonnement entre les arts n’était pas aussi strict que de nos jours. Ensuite, cette production va sensiblement diminuer, concurrencée en quelque sorte par celle des dessinateurs de cour, appointés par le roi, et ayant le droit de porter l’épée. Les modèles de ces ornemanistes connaissent alors une vogue considérable et participent à l’homogénéité du style de l’époque, au même titre que les cahiers de tendances de la mode d’aujourd’hui. La qualité et la rigueur des compositions sont telles que ces dessins du XVIIIème siècle servent encore actuellement de source d’inspiration.

Les premiers modèles, destinés non seulement aux professionnels de la broderie, mais à un plus large public, apparaissent en 1770 dans Lady Magazine. Le principe de la revue spécialisée va se développer par la suite ; ces ouvrages proposent d’abord des ornements floraux pour les costumes, puis à la fin du XIXème siècle, on présente les modèles superposés, offrant sur la même page un motif pour un col, un napperon et un coussin. C’est le triomphe de « l’ouvrage de dames ». Certes, les résultats sont plus modestes que ceux des professionnels, mais la motivation de ces brodeuses est la même : embellir leurs toilettes et leur cadre de vie. La broderie d’art, qui était l’apanage de religieux, d’artisans et de professionnels, se transforme donc au cours de siècles, en art d’agrément. L’Encyclopédie des ouvrages de dames, éditée à Mulhouse en 1886 par la célèbre maison Dollfus-Mieg, deviendra alors la « Bible » de ces femmes.


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