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L’ikat

Publié le 15 décembre 2022 par Anniecac @AnnieCdeParis

Technique qui permet, en utilisant un système de ligature autour des fils de chaîne ou de trame avant le tissage, d’obtenir un dessin en réserve aux endroits où les ligatures ont empêché la teinture d’imprégner les fils. Le nom d’ikat, racine du verbe malais mengikat qui signifie « lier » ou « attacher », a été adopté dans la plupart des langues occidentales pour désigner ce type particulier de teinture. Il existe trois manières de procéder. Dans la première, les fils de chaîne sont teints en réserve et la trame est unie : cet ikat de chaîne accentue les lignes verticales du dessin. La seconde méthode consiste à teindre les fils de trama en réserve, la chaîne restant unie : dans cet ikat de trame, ce sont les lignes horizontales qui sont plus nettes. Enfin, la chaîne et la trame peuvent être toutes deux teintes en réserve ; le motif n’apparaîtra que lors du tissage, quand les parties réservées de la chaîne s’associeront à celles de la trame : c’est le double-ikat. Les contours diffus du dessin sont dus au fait que la teinture pénètre toujours un peu à l’intérieur de la ligature et au léger décalage des fils durant le tissage. L’apparence d’un dessin d’ikat dépend aussi de l’armure de l’étoffe. Le motif est particulièrement accentué lorsque les fils réservés sont les seuls visibles à la surface de l’étoffe : le motif reste clair lorsqu’il n’est pas perturbé par les fils unis qui s’entrecroisent avec les fils ikatés. Un ikat de chaîne sera donc mis en valeur par un reps de trame ; pour ce dernier, le sergé et le satin de 8 sont également indiqués. Le double-ikat, en revanche, donne ses meilleurs résultats avec une armure toile.

Des origines incertaines
On ne peut situer ni dater avec précision les débuts de cette technique immémoriale. Cependant des témoignages archéologiques datant du VIème au Xème siècle permettent de supposer l’existence de trois centres de diffusion : l’Inde, la Chine et le Yémen. Sur les peintures rupestres des cavernes d’Ajanta, en Inde, on peut admirer des costumes ornés de motifs probablement ikatés. Au cours des fouilles de Fostât, en Egypte, les archéologues ont mis au jour des étoffes ikatés avec des décors en pointe de flèche, provenant du Yémen. De même, on a trouvé au Japon, dans le trésor du temple de Nara, des fragments d’étoffes probablement élaborées en Chine à l’aide de ce procédé.
De nombreux écrits chinois mentionnent l’emploi de l’ikat dans diverses tribus vivant dans le sud ou le sud-ouest du pays. Il est donc possible que cette région soit le lieu d’origine extrême-oriental de cette technique. De là, elle aurait atteint l’Asie centrale, l’Asie du Sud-Est, le Japon, Ryukyu (ancien royaume du Japon méridional) et peut-être même le continent américain. On considère l’Inde comme un second point de départ, à partir duquel l’ikat aurait gagné le Moyen-Orient et l’Afrique. On suppose, enfin, que la technique de l’ikat est parvenue en Europe via l’Arabie.

La géographie de l’ikat
Si, au cours des dernières décennies, l’ikat a été abandonné dans certaines régions, il demeure l’une des techniques de teinture les plus importantes dans le monde. En Amérique du Sud, où des étoffes précolombiennes en ikat de chaîne ont été découvertes dans un tombeau péruvien, on confectionne encore aujourd’hui des tissus ikatés, notamment au Mexique, en Colombie, au Pérou et au Guatemala.
Il existe en Asie centrale et au Moyen-Orient plusieurs centres de création importants : la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Afghanistan produisent des ikats de chaîne raffinés, dont certains en velours. Plus célèbres encore sont les soieries à larges motifs de couleurs vives provenant du Turkestan.
En Inde, où l’ikat est une technique très répandue, c’est de la province d’Orissa, de l’Andhra Pradesh et surtout du Gujarat que viennent les plus belles pièces. Le double-ikat sur soie (patola) tissé aujourd’hui encore dans la ville de Patan (Gujarat) est particulièrement renommé. Pendant des siècles, ce type d’étoffe fit l’objet d’échanges commerciaux entre l’Inde et l’Indonésie où l’ikat avait la réputation bien établie de posséder des pouvoirs magiques.
L’influence indienne est probablement à l’origine de certains centres d’ikat nés en Indonésie, comme Palembang (Sumatra) et Bali. Leurs caractéristiques diffèrent profondément d’île en île. Ces étoffes jouent, sous forme de costumes ou d’écharpes de cérémonie, un rôle essentiel dans le domaine social et religieux.
De nombreux groupes ethniques de Birmanie, de Thaïlande, du Cambodge, et du Laos connaissent et utilisent la technique de l’ikat de chaîne. C’est également le cas dans le sud et l’ouest de la Chine, où la tradition ancienne s’est perpétuée. On fabrique en outre, dans certaines régions de Thaïlande, du Laos, du Cambodge et de Malaisie, des soieries en ikat de trame très raffinées, tissées en armure sergé. Aux Philippines, dans la région de Mindanao, on pratique l’ikat de chaîne sur étoffe de coton et d’abaca.
La technique est très élaborée au Japon, où les textiles ikatés portent le nom de kasuri. A Kyushu, de très beaux doubles-ikats sont utilisés pour faire, notamment, des futons.
L’ikat n’est connu sur le continent africain que dans sa partie occidentale, au sud du Sahara, où l’on confectionne de petites bandes de cotonnades bleues et blanches en ikat de chaîne que l’on assemble ensuite pour faire de grandes pièces d’étoffe. On fabrique à Madagascar des tissus en fibres de raphia, dont les motifs sont profondément marqués par l’influence indonésienne.
En Europe, ce procédé a été utilisé dans les fermes de Suède et de Finlande, à Majorque et dans le nord de la Grèce. L’industrie a perfectionné cette technique et l’a employée sur une large échelle en Italie septentrionale, en Allemagne (Wuppertal), en Suisse (Zurich) et en Autriche. En France, à Lyon, on a confectionné des soieries ikatées comprenant jusqu’à douze nuances de couleurs combinées en motifs élaborés. Ces étoffes ont été utilisées principalement dans la fabrication de vêtements, de rubans et de textiles d‘ameublement.
Depuis quelques années, cette technique, qui a connu une longue éclipse, revient à la mode. Un nombre toujours plus important d’artistes américains et européens se lancent dans l’ikat dont les possibilités ont été multipliées grâce à la diversité des matériaux textiles et des teintures modernes.

La technique
Quel que soit le type d’ikat projeté, on réservera les fils par groupes, plus ou moins importants selon la finesse du motif. Un motif est constitué de plusieurs portions de fils ligaturés ensemble. Si le dessin doit se répéter symétriquement, dans la longueur ou la largeur de l’étoffe, on peut faciliter la ligature en pliant le groupe de fils plusieurs fois, afin que les parties à réserver soient exactement superposées. On attache les portions les unes aux autres avec des nœuds, pour éviter les décalages, avant de ligaturer selon le dessin projeté.
Pour employer plusieurs couleurs sur une même étoffe, il existe deux techniques : on peut aller du plus clair au plus foncé, ou inversement. Dans le premier cas, on commence par ligaturer les parties que l’on prévoit blanches, avant de teindre, par exemple, en jaune. On réserve ensuite les parties qui devront rester jaunes avant de passer l’étoffe dans un bain de bleu. Si certaines des ligatures des parties blanches sont enlevées avant le bain de bleu, le résultat après les deux bains sera un dessin blanc, jaune, bleu et vert.
La seconde technique requiert une ligature initiale de toutes les parties à réserver. On commence alors par un bain de bleu, avant de dénouer les réserves sur les parties voulues rouges. Après le bain de rouge, on défait les dernières réserves. Le fil est maintenant noir violacé (rouge sur bleu), rouge et blanc. Pour conserver certaines parties bleues, on peut réserver avant le bain de rouge. Avant de commencer à teindre, il est préférable de marquer les réserves avec des nœuds de couleurs diverses, afin de ne pas faire d’erreur dans l’ordre du dénouage.
Après le dernier bain de couleur, le rinçage, le dénouage et le séchage, on monte les fils sur le métier à tisser, pour la chaîne, ou on les enroule sur une navette, pour la trame.

L’ikat de chaîne – Pour les motifs genre rayure, bloc, pointe, on montera en général la chaîne sur un cadre d’ourdissage puis on la divisera en autant de groupes de fils superposés que de bandes verticales composant les motifs de l’étoffe. Le nombre de fils constituant chaque groupe dépendra de la largeur des motifs. Il faut veiller à maintenir les groupes indépendants en les attachant à chaque extrémité. Si le motif se répète sur chaque bande de tissu, on pourra réserver tous les groupes ensemble. Vérifier que la ligature, qu’elle soit en raphia ou en plastique, soit enroulée très serré autour des fils. Pour les grandes surfaces, on peut utiliser des feuilles de plastiques maintenues serrées à l’aide de ficelles. Il faudra également s’assurer que la teinture soit adaptée au fil. Après d’éventuelles opérations de finition, on pourra ôter les ligatures, laver et rincer la chaîne et la tendre de nouveau sur le cadre pour la faire sécher.
Au cours de l’enroulement de la chaîne sur l’ensouple du métier, on peut éventuellement décaler certains fils pour modifier le motif ; il existe des méthodes diverses, plus ou moins compliquées, pour effectuer ce travail.
Pour les motifs figuratifs, il est recommandé de dessiner une ébauche sur papier ; afin d’obtenir des réserves correctes, il est préférable de monter les fils sur un châssis de même taille que le métier avant de faire les ligatures.

L’ikat de trame – Les fils de trame seront enroulés sur deux bâtonnets plantés de façon que l’intervalle ait la largeur du métier plus 1 ou 2 centimètres d’embuvage. Il faut faire à chaque fois autant de tours que de duites nécessaires à la hauteur du motif. Si l’on désire répéter plusieurs fois la même partie d’un motif, par exemple quatre bandes comprenant chacune deux pavés, on pourra tendre quatre groupes de fils de trame en même temps. Séparer chaque groupe de fils par un ficelage à chaque extrémité. Les groupes de fils comprenant les mêmes motifs seront réservés et teints en même temps. Au moment du tissage, il est possible de décaler les fils de trame pour donner au motif des contours incurvés, rhombiformes ou quadrilatéraux. En ce cas, de petits faisceaux de fils de trame vont se grouper le long des lisières.

Source : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 11.


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