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C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho

Publié le 07 janvier 2023 par Sylvainrakotoarison

À l'évidence, les moins de 30 ans, voire moins de 40 ans ne peuvent pas connaître Jean Bertho autrement qu'en puisant sur les quelques perles qui restent sur le site de l'INA et d'autres plate-formes qui proposent des vidéos.Il est allé rejoindre Jean Amadou dans le Paradis des humoristes de télévision.
C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho
L'animateur de télévision Jean Bertho est mort ce mercredi 4 janvier 2023 à quelques jours de ses 95 ans. Son décès a été annoncé sur Twitter par le journaliste Jean-François Guyot. J'avais évoqué sa figure il y a quelque temps avec une certaine nostalgie, la télévision rétro des années 1970 qui était beaucoup moins diversifiée mais terriblement plus créative, intelligente et drôle que maintenant (la libéralisation voulue par François Mitterrand a-t-elle engendré la médiocrité ? sans doute !).
Je sais que je réduis sa personnalité en en faisant finalement un "passeur de plats" de l'humoriste Jean Amadou. Pendant huit ans (1974 à 1982), les deux compères Jean, Bertho et Amadou, se sont esclaffés dans une banquette ou sur un banc tous les dimanches midi sur TF1 pour y pratiquer ce qu'on appellerait aujourd'hui de l'humour sophistiqué. Et on ne lésinait pas pour critiquer la classe politique, en pleine époque giscardienne, avec dessinateur et imitateur (recruté à "L'Oreille en coin" du dimanche matin sur France Inter).
Certes, à cette époque, la vulgarité n'était pas acceptée, on ne cherchait pas encore à transgresser les valeurs par des concepts scatologiques ou des provocations à deux balles pour amplifier sa notoriété médiatique et son audience pour consommateurs. Ce n'étaient pas des industriels de la télévision, mais plutôt des artisans, de bons et grands artisans avec une bonne clientèle, plus de dix millions de téléspectateurs qui attendaient impatiemment le dimanche pour rire encore.
C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho
Ainsi, l'émission " C'est pas sérieux" restera certainement dans les annales comme une émission à l'humour corrosif sans être dégueulasse. Ce n'est pas le bête et méchant de la même époque, plus discret dans les médias publics, mais pour se moquer de la gueule de la classe politique, ça y allait gaiement, sans craindre la démagogie, sans craindre de savoir à qui ça profiterait (le Jean Bertho.
À votre écoute, coûte que coûte !
Patrick Bouchitey. Front national avait fait 0,7% des suffrages exprimés à l'élection présidentielle de 1974).
Aux manettes, trois piliers : Jean Bertho, l'animateur, le modérateur, le monsieur loyal ; Jean Amadou, le cœur de l'humour, le noyau du réacteur, le producteur de vacheries, à l'esprit aiguisé et surtout, un fin observateur politique ; enfin, Anne-Marie Carrière reconvertie en boutiquière, Madame Rose, vendeuse dans un kiosque à journaux, chargé de faire la conversation avec Jean Bertho. Et des petites séquences comme "Les Petits Suisses" (qui est devenue ensuite "Les Petits Ivoiriens" si ma mémoire ne me trompe pas).
C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho
Quand on écoute Jean Amadou, on comprend qu'il aurait pu lui-même être un grand politique, il en avait tous les outils pour réussir à séduire. Je ne résiste pas à proposer cette séquence de 15 mai 1977, juste après le débat entre le Premier Ministre Raymond Barre et le premier secrétaire du PS François Mitterrand, après les élections municipales et avant les élections législatives où la gauche était partie favorite. Ainsi, aidé de Jean Bertho, Jean Amadou expliquait aux téléspectateurs comment bien débattre dans une émission politique. Son intonation était clairement celle de Jacques Chirac, à l'époque à la voix cassante, mais cette séquence reste d'une étonnante actualité. Quant à Jean Bertho, il jouait le rôle de faux candide, car lui aussi connaissait bien la vie politique, ne serait-ce que pour avoir été élu local.
L'INA (Institut national de l'audiovisuel), qui est chargé d'archiver et de stocker voire de restaurer toutes les émissions de l'audiovisuel public (encore maintenant) a proposé, à l'occasion de la mort de Jean Bertho, de rediffuser l'émission "C'est pas sérieux" du 6 mars 1977, juste avant les élections municipales (dont les deux tours ont eu lieu les deux dimanches suivants). On ne regrettera pas, évidemment, ni le décor aux couleurs et aux formes horribles, ni les costumes, très typés des années 1970, mais on regrettera forcément l'intelligence, la réactivité et souvent, l'improvisation de l'humour des deux hommes de télévision.
Jean Bertho était, avec ses cheveux blancs, une sorte de grand prêtre, de curé de l'humour à la télévision, avec son invité permanent Jean Amadou, qu'on pourrait assimiler à un archevêque. L'émission était sans prétention, l'idée était de se divertir tout en s'instruisant et en rigolant (le principe du verbe latin ludo), et surtout, elle était authentique, elle était diffusée en direct, sans capacité de retour en arrière par une prise à reprendre. Il fallait être parfait tout de suite, mais ne pas profiter du direct pour faire de la provocation (comme plus tard, Thierry Le Luron chez Michel Drucker).
Certes, ne se focaliser que sur l'émission "C'est pas sérieux" est nécessairement une vision très parcellaire de la personnalité de Jean Bertho. Il avait commencé par suivre des courts d'art dramatique, d'abord à Nancy (il est né à Pont-à-Mousson) puis à Paris où il a croisé notamment Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort. Pendant une dizaine d'années, Jean Bertho était un comédien, il a joué dans une trentaine d'œuvres, films au cinéma, téléfilms et pièces de théâtre, avant de se tourner, à la fin des années 1950, vers le journalisme et la télévision. À partir des années 1990, il a pris sa retraite et s'est diverti en particulier dans l'écriture, mais aussi en retournant brièvement sur les planches en jouant "Le Droit à la paresse" de Paul Lafargue, mise en scène de Christian Le Guillochet, au Théâtre du Lucernaire à Paris en 1999.
C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho
Je ne sais pas comment Jean Bertho a vécu ses dernières années et s'il a pu observer avec sans doute amertume tous ses successeurs (je n'ose dire héritiers) de l'humour à la télévision, maintenant des émissions préfabriquées ou à provocation à but essentiellement commerciale, tournant en rond, milieu de plus en plus endogamique où l'humour courtois n'a plus cours : on ne plaisante plus, madame, on ricane maintenant.
Avec Jean Bertho s'éteint donc une certaine idée de la télévision, celle qui faisait de cet outil amplificateur un vecteur de culture et d'instruction, beaucoup plus qu'un vecteur d'abrutissement et d'abêtissement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
C'est pas sérieux.
Laurent Gerra.
Jacques Tati.
Charlie Chaplin.
Jean Roucas.
Thierry Le Luron.
Jean Amadou.
Frédéric Fromet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Élie Kakou.
Pierre Desproges.
Pierre Dac.
C'est très sérieux quand on s'appelle Jean Bertho
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230104-jean-bertho.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/c-est-tres-serieux-quand-on-s-245903
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/01/05/39770145.html


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