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« Si c’est un homme » de Primo Levi

Par Etcetera
« Si c’est un homme » de Primo LeviCouverture chez Pocket

Dans le cadre des « Lectures autour de l’Holocauste » organisées par Patrice et Eva, j’ai lu ce célèbre livre de Primo Levi, « Si c’est un homme« , qui est un témoignage particulièrement bouleversant sur les horreurs du camp d’extermination d’Auschwitz, où l’auteur a été incarcéré de février 1944 à janvier 1945.

Présentation du livre

Primo Levi, né en 1919, qui était un chimiste italien, installé à Milan, a été arrêté comme résistant en février 1944, à l’âge de 24 ans, et déporté à Auschwitz où il est resté jusqu’en janvier 1945, date où les Soviétiques ont libéré les prisonniers de ce camp. Son premier livre, « Si c’est un homme » paraît en Italie en 1947 et il s’agit de l’un des tout premiers témoignages sur les horreurs d’Auschwitz. Publié à l’origine dans une petite maison d’édition italienne, ce n’est que dix ans plus tard qu’il est mondialement reconnu comme un chef d’œuvre. (Source : éditeur)

Mon avis

On ne peut pas parler de ce livre comme on parlerait d’un roman ni même d’un témoignage sur un quelconque sujet. Je l’ai ressenti comme un livre tout à fait à part, hors norme et exceptionnel, qui va nettement au-delà de ce que la littérature nous offre d’habitude. Certes, il est extrêmement bien écrit et on est totalement happé, révolté, bouleversé par ce récit mais on prend cette réalité historique de plein fouet et on subit cette lecture comme une épreuve nécessaire, on se force à continuer jusqu’au bout la lecture car on ressent cela comme un devoir, car il serait honteux de ne pas avoir le courage de lire ce que tant d’hommes ont vécu et enduré.
Primo Levi nous relate les onze mois de sa captivité, il nous décrit les hommes qu’il a côtoyés à Auschwitz, ceux (la très grande majorité) qui ont été broyés par ce camp en quelques semaines à peine, et ceux (très rares) qui ont été assez chanceux ou débrouillards pour résister à la faim, au froid, aux coups et aux sévices, aux épidémies et aux diverses maladies, aux accidents d’un travail horriblement dur, aux « sélections » massives organisées inopinément par les nazis vers les chambres à gaz dès que le « Lager » (le camp) leur paraissait trop peuplé.
Il nous explique les règles de ce monde concentrationnaires, où les interdits sont innombrables, totalement absurdes et rarement compréhensibles (car aboyés en allemand à des prisonniers d’une vingtaine de nationalités), où l’on ne doit jamais poser de question, où l’on a tous les devoirs et absolument aucun droit, où les prisonniers se répartissent en différentes castes bien distinctes dont les juifs sont les plus mal considérés et les souffre-douleurs de tous les autres, en butte à tous les arbitraires. Il nous décrit une lutte de chaque instant pour essayer de survivre, l’obligation de voler pour s’en sortir (au risque de sa vie s’il est découvert), la nécessité d’économiser ses forces physiques et morales à la plus petite occasion, et même s’il ne semble y avoir aucun avenir car la mort est partout autour de lui, sans échappatoire imaginable.
Primo Levi réfléchit aussi aux caractéristiques de notre nature humaine, de notre identité, de nos besoins humains les plus essentiels. Ainsi, l’amitié, la solidarité et certains élans de générosité restent à travers ces pages des lueurs d’espoir et les seules véritables planches de salut. La poésie tient aussi un rôle non négligeable, comme dans le passage où il explique à un jeune Alsacien, prisonnier comme lui, des strophes de L’Enfer de Dante et où ces tercets sont pour eux une sorte de révélation et une aide profonde.
Un livre que je trouve très nécessaire de lire, mais pas dans une période de déprime ou de stress.

Un Extrait page 133

Les élus et les damnés

Ainsi s’écoule la vie ambiguë du Lager, telle que j’ai eu et aurai l’occasion de l’évoquer. C’est dans ces dures conditions, face contre terre, que bien des hommes de notre temps ont vécu, mais chacun d’une vie relativement courte ; aussi pourra-t-on se demander si l’on doit prendre en considération un épisode aussi exceptionnel de la condition humaine, et s’il est bon d’en conserver le souvenir.
Eh bien, nous avons l’intime conviction que la réponse est oui. Nous sommes persuadés en effet qu’aucune expérience humaine n’est dénuée de sens ni indigne d’analyse, et que bien au contraire l’univers particulier que nous décrivons ici peut servir à mettre en évidence des valeurs fondamentales, sinon toujours positives. Nous voudrions faire observer à quel point le Lager a été, aussi et à bien des égards, une gigantesque expérience biologique et sociale.
Enfermez des milliers d’individus entre des barbelés, sans distinction d’âge, de condition sociale, d’origine, de langue, de culture et de mœurs, et soumettez-les à un mode de vie uniforme, contrôlable, identique pour tous et inférieur à tous les besoins : vous aurez là ce qu’il peut y avoir de plus rigoureux comme champ d’expérimentation, pour déterminer ce qu’il y a d’inné et ce qu’il y a d’acquis dans le comportement de l’homme confronté à la lutte pour la vie.
(…)

Un autre Extrait page 204

Au point où nous en sommes, il est impossible d’être plus trempés ; il ne reste plus qu’à bouger le moins possible, et surtout à ne pas faire de mouvements nouveaux, pour éviter qu’une portion de peau restée sèche n’entre inutilement en contact avec nos habits ruisselants et glacés.
Encore faut-il s’estimer heureux qu’il n’y ait pas de vent. C’est curieux comme, d’une manière ou d’une autre, on a toujours l’impression qu’on a de la chance, qu’une circonstance quelconque, un petit rien parfois, nous empêche de nous laisser aller au désespoir et nous permet de vivre. Il pleut, mais il n’y a pas de vent. Ou bien : il pleut et il vente, mais on sait que ce soir on aura droit à une ration supplémentaire de soupe, et alors on se dit que pour un jour, on tiendra bien encore jusqu’au soir. Ou encore, c’est la pluie, le vent, la faim de tous les jours, et alors on pense que si vraiment ce n’était plus possible, si vraiment on n’avait plus rien dans le cœur que souffrance et dégoût, comme il arrive parfois dans ces moments où on croit vraiment avoir touché le fond, eh bien, même alors, on pense que si on veut, quand on veut, on peut toujours aller toucher la clôture électrifiée, ou se jeter sous un train en manœuvre. Et alors il ne pleuvrait plus.


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