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L’art textile en France (2)

Publié le 03 février 2023 par Anniecac @AnnieCdeParis

Les soieries – La technique du tissage de la soie est attestée dès le XII siècle à Poitiers, Reims et Troyes. A la fin du siècle suivant, des ateliers fabriquaient à Paris velours et draps de soie, et Lyon allait bientôt se distinguer par le savoir-faire de ses tisserands. Après avoir installé dans cette cité une manufacture royale destinée au tissage de la soie et du drap d’or, Louis XI mit lui-même en péril l’industrie de cette région en faisant transporter métiers et tisserands à Tours. Soutenue par Charles VIII et par François Ier qui attira à la cour nombre d’ouvriers étrangers, l’industrie de la soie prospéra considérablement en Touraine, le travail étant exécuté sous la direction des artisans italiens.

Avec le déménagement de la cour royale à Paris au XVIème siècle, le travail de la soie s’imposa de nouveau en France avec Lyon comme place forte. Henri IV se préoccupa pour sa part de développer une sériciculture nationale, dotant ainsi la France d’une matière première jusque-là importée. Technique et matériel se perfectionnèrent progressivement : un artisan lyonnais inventa en 1605 le métier à la grande ire, et les étoffes se firent de plus en plus élaborées, bien que, jusqu’à l’époque de Louis XIV et de Colbert, les tissus très luxueux aient continué à venir d’Italie. A partir du XVIIème siècle, c’est le goût français qui influencera dorénavant le reste du monde. Comme dans de nombreux autres domaines, l’évolution de la fabrication des soieries fut largement redevable à l’initiative de l’Etat et à sa politique visant à encourager systématiquement la production nationale. Avant les premiers magazines, qui apparurent dans le dernier quart du XVIIIème siècle, l’évolution de la mode demeura lente, en dépit du renouvellement constant des motifs. Les soieries ne servaient pas seulement à la fabrication des costumes, mais aussi à la confection de tentures murales et de revêtements de sièges. Les tissus d’ameublement étaient harmonisés de manière à permettre la décoration de pièces entières. La symétrie alternait avec l’asymétrie dans les étoffes dites « bizarres » des années 1700 ; plus tard, la mode fut aux motifs de dentelle et aux fleurs naturalistes vivement colorées ; la vogue des chinoiseries se répercuta aussi sur le décor de ces textiles.

Affaiblie par la Révolution, la ville de Lyon ne reprit ses activités textiles que sous le Consulat, où elles prospérèrent sous l’impulsion de Napoléon. L’invention du métier jacquard ajouta encore au dynamisme de cette industrie, si bien que dans la seconde moitié du XIXème siècle, la production mécanisées prit définitivement le pas, dans ce domaine également, sur la coûteuse tradition manuelle.

L’art de la tapisserie – En France, la notion d’art textile évoque irrésistiblement les prestigieuses tapisseries dont ce pays se fit une spécialité du XIVème au XVIIIème siècle. On y pratique depuis le haut Moyen Age cet art qui consiste à tisser sur des métiers de haute ou basse lisse des ouvrages en laine ou en soie destinés à la décoration des intérieurs. Ce savoir-faire a sans doute été appris en Orient au cours des croisades, en même temps que de nombreuses autres activités artistiques. Les tapissiers semblent avoir d’abord travaillé sur des métiers de basse lisse pour répondre aux besoins de l’Eglise ; au XIIIème siècle, ils étaient déjà groupés en corporations.

L’usage des pièces tissées sur haute lisse se généralisa au XIVème siècle, principalement parce que le métier de basse lisse ne permettait pas alors la réalisation de tentures de grandes dimensions et empêchait le lissier de suivre l’évolution du tissage. Les tapisseries se multiplièrent : on les accrochait sur les murs, les portes, autour du lit ou comme cloisons au milieu des pièces des demeures seigneuriales ; on les suspendait parfois même dans les rues. Elles jouaient également leur rôle à la guerre, où elles composaient de véritables « chambres de tapis ».

Paris abritait au XIVème siècle les plus illustres ateliers de confection de tapisseries ; dès cette époque pourtant, Arras lui fit concurrence. Le roi Charles V ainsi que ses frères, les ducs d’Anjou, de Berry et de Bourgogne, se fournissaient en tentures chez les maîtres tapissiers, en particulier chez le célèbre Nicolas Bataille. Celui-ci reçut en 1379, de la part du duc d’Anjou, la commande d’une suite de tapisseries représentant des scènes de l’Apocalypse selon Saint-Jean. Achevée quelque cent ans plus tard, cette suite exceptionnelle, tant par ses dimensions que par la finesse de son exécution, représente le plus ancien ensemble de haute lisse que nous ait donné le Moyen Age.

Au XVème siècle, la prise de Paris par les Anglais paralysa les ateliers, favorisant le développement de centres tapissiers provinciaux, tels ceux de Reims, Troyes, Avignon et Perpignan. La ville d’Arras, surtout, bénéficia de cette éclipse, avec tant de succès que son nom devint, dans plusieurs langues, synonyme de tapisserie. Cette cité faisait alors partie du duché de Bourgogne, l’un des plus riches et des plus puissants de France, qui comprenait une grande partie de la Flandre. La ville des arazzi bénéficia ainsi de l’alliance du duc de Bourgogne avec l’Angleterre, où les ateliers de tapisserie s’approvisionnaient en laine et avec qui ils commerçaient en priorité. Cette prospérité ne survécut pas à la mort de Charles le Téméraire et, surtout, à la prise de la ville par Louis XI en 1477.

A partir de la seconde moitié du XVème siècle, des centres se développèrent dans les Flandres et dans le nord de la France, mais c’est de Tournai que provient la quasi-totalité des grandes tapisseries richement imagées qui ornent encore aujourd’hui nombre de cathédrales, de châteaux et de musées. En règle générale, la composition et le style de ces tentures, ainsi que, dans une moindre mesure, leurs sujets, rappellent la grande école de peinture flamande et néerlandaise qui leur était contemporaine. De style gothique tardif, le décor présente une multitude de personnages vêtus de riches costumes de l’époque, une perspective assez raide et des thèmes généralement mythologiques, historiques ou religieux. L’année 1513 fut funeste pour les ateliers de Tournai ; devenue anglaise et ravagée par la peste, la cité céda la place à d’autres centres fondés pour répondre à des demandes locales, à Valenciennes et à Lille, par exemple.

Avec la Renaissance, un changement important survint dans la tapisserie française : le XVIème siècle vit en effet l’instauration de manufactures royales sur le lieu des ateliers indépendants. La première manufacture de tapisserie fut mise en place par François Ier à Fontainebleau pour concurrencer les ouvrages de Bruxelles.

Prenant modèle sur Bruxelles, où le roi François Ier passait commande, les centres français introduisirent l’inspiration et la perspective propres à la peinture italienne, ainsi que la bordure « en cadre », qui domine encore aujourd’hui la tapisserie imagée européenne. Ce fut l’époque des « mille fleurs », ainsi nommées en raison du semis abondant de plantes et de fleurs miniatures qui forme l’arrière-plan des tentures. On y relève souvent aussi, à côté des sujets religieux toujours présents, une inspiration tirée de la nature ou de scènes de la vie quotidienne, le tout traité dans un souci croissant de clarté et de finesse. Allégories et tableaux de chasse délicats se disputent souvent le thème de ces compositions. Datée de la première moitié du XVIème siècle, la fameuse et mystérieuse Dame à la Licorne est dans doute la pièce la plus représentative de cette période artistique, dont elle possède, à un très haut degré, la grâce si particulière.

En partie à cause des guerres de religion, de nombreux tapissiers quittèrent la France au début du XVIIème siècle. Aussitôt les conflits religieux apaisés, Henri IV travailla au développement de tous les arts et les activités industrielles de son époque, de manière à libérer la France d’un important tribut payé au-delà des frontières pour l’acquisition de biens manufacturés. Reprenant l’initiative d’Henri II et de Catherine de Médicis, qui avaient soutenu l’atelier parisien de la Trinité, il eut l’idée d’accorder des logements aux artisans dans les galeries du Louvre, afin de pourvoir aux besoins de la cour. Le roi espérait ainsi attirer en France des étrangers qui y feraient école. Plusieurs ateliers de tapisserie s’installèrent alors à Paris, à l’instar de celui des Flamands François de la Planche et Marc de Comans qui reprirent, entre le moulin Croulebarbe et la rue de la Reine-Blanche, un atelier de teinturerie appartenant à la famille des Gobelins. En échange de multiples avantages fiscaux, les deux artisans s’engagèrent à prendre vingt-cinq apprentis et à produire des tentures dont le prix de vente ne serait pas supérieur à celui des pièces flamandes. La fondation en 1627 de l’atelier de la Savonnerie, avec à sa tête le peintre Pierre Dupont, est également due à Henri IV.

Le surintendant de Louis XIV, Nicolas Fouquet, fonda quant à lui un petit atelier à Maincy, consacré à son usage personnel : l’ornementation du château de Vaux-le-Vicomte. Après la disgrâce de Fouquet en 1661, son successeur Jean-Baptiste Colbert fit déménager les métiers et restituer à la couronne tout ce que cette demeure contenait de richesses. Les tapissiers s’installèrent à Paris dans l’atelier des Gobelins racheté en 1662 – qui devint Manufacture royale de meubles de la couronne en 1667 -, sous la direction du grand ordonnateur de la décoration des palais royaux, le peintre Charles Le Brun. L’Histoire du Roy constitue sans doute l’un des plus fameux chefs-d’œuvre qui sortirent de cet atelier. Colbert décerna à peu près au même moment le titre de manufacture royale à d’autres ateliers, tels ceux – de basse lisse – de Beauvais, de Felletin et d’Aubusson.

Après une courte pause imposée par des guerres ruineuses, les ateliers de tapisserie royaux se remirent au travail au début du XVIIIème siècle, dès les premières années du règne de Louis XV. Différents directeurs artistiques se succédèrent avec bonheur à la tête de ces ateliers – Jean-Baptiste Oudry, par exemple – et Madame de Pompadour y exerça une influence non négligeable. Le rôle des peintres s’affirmait de jour en jour et François Boucher fut notamment à l’origine de la réalisation de multiples ouvrages. La tendance de cette tapisserie décorative était à la multiplication des nuances et des teintes mises au service d’une reproduction fidèle des tableaux. Les thèmes privilégiés étaient puisés dans la tradition mythologique et les artistes campaient volontiers leurs personnages dans de charmants décors champêtres.

Avec Louis XVI et le classicisme, les tentures se firent plus sévères et conventionnelles, jusqu’à l’arrivée de la Révolution. Les manufactures de Beauvais et des Gobelins subirent alors d’importantes réformes qui mirent progressivement fin à la fantaisie et à la créativité de leurs artisans.

Depuis la seconde guerre mondiale, la tapisserie française a connu un renouveau impressionnant, grâce à des réalisations inspirées des cartons de peintre célèbres, dont Henri Matisse, Marcel Gromaire et Fernand Léger. Jean Lurçat, enfin, représente sans doute, avec sa célèbre suite intitulée Le chant du monde exposée à Angers, le maître tapissier contemporain le plus prestigieux.


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