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Au sens le plus fort, j’étais la conscience même

Publié le 13 février 2023 par Joseleroy

Voici le récit de ce qui ressemble beaucoup à un éveil chez Steven C. Hayes, le spychologue américain fondateur de la technique ACT, thérapie d'acceptation et d'engagement.

Il vit cet éveil pendnat une crise de panique.

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"Par une froide nuit de l’hiver 1981, j’ai été réveillé par une douleur lancinante dans mon bras gauche ; je sentais mon cœur battre à toute allure. J’ai quitté mon lit, je me suis assis en tailleur par terre, m’accrochant à l’épaisse moquette marron et or de ma chambre, pour tâcher de comprendre ce qui m’arrivait. Je sentais un poids terrible sur ma poitrine. Et je me suis rendu compte, avec une satisfaction perverse, qu’il s’agissait d’une crise cardiaque. Ce n’était pas une nouvelle crise d’anxiété ; cela ne se passait pas dans mon esprit malade. C’était réel. C’était physique.

« Tu es en train de faire une crise cardiaque, ai-je pensé.Tu dois appeler une ambulance. »

Je me rappelle avoir trouvé bizarre que je puisse faire une crise cardiaque : « Ça ne devrait pas arriver à un homme de 33 ans. » Mon père, Charles, avait fait un infarctus à 43 ans, mais c’était un alcoolique obèse qui fumait comme un sapeur. Homme affectueux mais triste, il avait renoncé à une carrière prometteuse dans le base-ball pour devenir représentant de commerce (il avait même vendu des brosses en faisant du porte-à-porte) et n’avait jamais pu accepter ce virage fatal. Je ne fumais pas et je buvais très modérément. Je ne transportais pas avec moi mes échecs comme un sac de viande pourrie dont seul le gin-tonic pouvait couvrir l’odeur. J’étais sur le point d’obtenir une chaire de professeur dans une grande université.

Pourtant, il n’y avait pas à s’y tromper, tous les signes étaient réunis. J’ai placé deux doigts sur mon cou pour vérifier mon pouls. « Au moins 140 battements par minute », me suis-je dit. Je me suis senti encore plus satisfait. Mes soupçons se confirmaient. C’était bel et bien une attaque cardiaque.

Dans ma tête, la voix devenait impérieuse. « Tu dois aller aux urgences. Ce n’est pas de la blague. Appelle une ambulance. Tu ne peux pas te mettre au volant dans cet état. » J’ai marqué un temps d’arrêt, mais la voix s’est faite encore plus insistante. « Vas-y. TOUT DE SUITE. »

J’ai pris le téléphone pour appeler, mais ma main tremblait tellement que je l’ai laissé tomber. Puis tout à coup, alors que le combiné était par terre, je me suis senti curieusement déconnecté de mon corps, comme si je me tenais à mes côtés pour me regarder moi-même. Le temps s’est mis à décélérer, comme si je visionnais un film au ralenti. Mon esprit affirmait que je risquais de mourir, mais je contemplais la scène en toute impartialité, depuis un poste d’observation situé loin du drame. J’ai vu une main se tendre pour ramasser le téléphone et j’ai eu la surprise de la voir hésiter, puis remonter lentement vers mes genoux. La main a répété son geste, s’avançant très vite pour reculer lentement. Puis elle l’a fait encore une fois.

« Comme c’est bizarre. Regarde donc. »

Je me suis mis à imaginer ce qui arriverait si je passais ce coup de fil. J’allais être emmené aux urgences, tout allait se dérouler comme dans la bande-annonce d’un film. Mais c’est la scène finale qui m’a horrifié, quand j’ai soudain compris de quoi parlait ce « film ». « Oh non, ai-je supplié intérieurement, dans l’espoir d’un sursis. Mon Dieu, je vous en prie, pas ça. »

Dans mon imagination, un jeune docteur sûr de lui, en blouse blanche, s’approchait avec désinvolture de la civière, et je voyais le mépris s’afficher sur son visage. Mon estomac s’est noué et un frisson a parcouru tout mon corps. Je savais ce qu’il allait dire.

« M. Hayes... Il ne s’agit pas d’une crise cardiaque, déclare-t-il avec un sourire supérieur. Ce que vous êtes en train de faire – il marque un temps d’arrêt pour mieux ménager son effet – c’est une crise de panique. »

Je savais qu’il avait raison. Je n’allais pas passer ce coup de fil. Je n’allais pas me donner en spectacle aux urgences. J’étais simplement tombé un cran plus bas dans l’enfer de mon trouble de panique ; mon esprit avait réussi à convaincre mon corps de mimer une attaque cardiaque.

Il y avait en moi un problème que rien ni personne ne pouvait résoudre. J’avais tout essayé pour vaincre mon anxiété, mais elle ne cessait de devenir plus forte. Aucune issue possible.

Tout à coup, un long cri étrange monta, surgi du plus profond de moi-même. Je n’avais jusqu’alors émis ce cri qu’une seule fois, alors que je travaillais dans une usine pour financer mes études : j’avais été aspiré par une énorme machine fabriquant du papier d’aluminium et j’avais failli être broyé. J’éprouvais à nouveau cette sensation d’être pris dans un piège mortel. Ce n’était pas un cri ordinaire, c’était l’expression du désespoir, face à une mort inévitable.

De fait, quelque chose allait bel et bien mourir ce jour-là, mais pas mon moi physique. Non, ce qui allait cesser, c’était la manière dont je m’identifiais à la voix qui parlait dans ma tête, cette voix qui me jugeait constamment et qui avait fait de ma vie un enfer.

Mon hurlement n’était pas un long cri d’espoir. Il ne prévoyait rien. Il signifiait seulement une chose : « Ça suffit ! J’en ai assez. »

Je suis resté plusieurs minutes sans bouger, sans un mot. Je n’avais ni solution, ni plan, ni argument à opposer. Rien que ce « Non ! Arrête ! ».

Puis il s’est passé quelque chose. Quand j’ai touché le fond, une porte s’est ouverte. J’ai vu qu’une réelle alternative s’offrait à moi, à condition de faire un virage à 180 degrés.

Je voyais soudain mon Dictateur intérieur comme une présence, presque étrangère, que j’avais laissée prendre l’ascendant sur moi. C’est moi qui avais laissé la voix se substituer à cette partie de moi qui est consciente et qui peut faire des choix. J’avais l’impression de faire partie d’un film, pour découvrir ensuite que je n’en suis que le spectateur, assis dans un fauteuil. Depuis des années, je m’étais noyé dans mon esprit et ses exigences. Tout à coup, je percevais la situation sous un nouvel angle et non plus comme une « histoire de moi » ; ce « moi » qui observait se trouvait au-delà de ces récits fondés sur l’ego, bon, mauvais ou indifférent. Ce « moi » qui observait n’avait aucune limite tangible, il n’était qu’une conscience, du point de vue de l’ici et maintenant. Au sens le plus fort, j’étais la conscience même."

Steven C. Hayes


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