Magazine Culture

Faire les sucres

Publié le 20 février 2023 par Adtraviata
Faire les sucres

Présentation de l’éditeur :

L’argent ne fait pas le bonheur, paraît-il, mais ne donne-t-il pas l’occasion de s’arrêter, de «penser à soi»? Comme si nous ne le faisions pas déjà la majeure partie du temps…

Dans ce roman choral sur la dislocation progressive d’un couple, la vie d’Adam et Marion, auréolée de succès, sera mêlée à celle de Celia, qui a compris avant eux quelque chose du monde.

Faire les sucres parcourt d’un pas vif le Montréal prospère des foodies et des artistes du divertissement, visite une fabrique de bonbons salés sur l’île de Martha’s Vineyard au Massachusetts, assiste aux répétitions d’une chorale anglophone, et écoute monter l’eau dans les arbres d’une érablière de la région d’Oka. Cinglante et tendre, Fanny Britt y creuse la question de nos privilèges et y montre comment nos vies sont liées à celles des autres, ceux qu’on aime comme ceux qu’on exploite.

Je découvre Fanny Britt avec ce deuxième roman (Les maisons traîne encore dans ma PAL) et je suis séduite par sa plume, par son sujet et par la maîtrise de sa narration.

On commence en quelques pages par faire la connaissance d’une famille modeste qui vit de la fabrication et de la vente de caramels : première histoire de sucres. On fait ensuite un bond dans le temps pour accompagner Marion et Adam en vacances sur l’île de Martha’s Vineyard : là, un accident de surf provoque une grave blessure chez une jeune fille et fait boire la tasse à Adam. Rien de vraiment grave pour lui, même s’il a failli mourir de noyade. Ce bobo, propriétaire d’un restaurant à Montréal et animateur d’une émission culinaire populaire, ne se remet de ce « presque mourir », se laisse submerger par ses émotions et laisse partir sa vie en vrille. On découvre ainsi la vie d’Adam, les enfants de son premier mariage, sa relation à ses parents, de même que pour sa seconde compagne, Marion, qui, malgré son empathie naturelle, assiste impuissante au naufrage. La seule chose qui ancre Adam, c’est l’érablière qu’il a achetée sur un coup de tête et où il vient faire les sucres en compagnie des anciens propriétaires, en qui il voit une seconde famille : seconde histoire de sucres. A la fin du roman, on reviendra à Martha’Vineyard, avec Celia, habitante du lieu et victime de l’accident de surf avec Adam. C’est son île que Celia craint de voir submerger par la montée des eaux et le réchauffement climatique.

Je suis séduite donc par le sujet et la narration : c’est un roman très moderne, qui réussit à nous parler de la crise d’un couple contemporain, de familles traditionnelles ou recomposées, de traditions, de la crise climatique, de la manière dont nous construisons nos relations familiales, amoureuses, amicales, de nos failles, de nos blessures secrètes, de nos émotions, du combat des femmes pour mener leur vie comme elles l’entendent, oui, tout cela en un peu plus de 250 pages, sans lourdeurs mais avec une grande subtilité. Deux histoires de sucres, deux submersions (l’une physique, l’autre émotionnelle), plusieurs familles, plusieurs couples, parfois dysfonctionnels, autant de points de vue qui construisent intelligemment le puzzle du roman, jusqu’à la fin qui dévoile les liens entre Marion, Adam et Celia.

Je suis séduite aussi par la plume de Fanny Britt, qui creuse avec finesse la psychologie de ses personnages et traite de façon moderne le(s) temps du récit.

« Il avait pris l’habitude de l’appeler comme ça, la terre, plutôt que l’érablière, ou la cabane. Il aimait l’aspect définitif de l’appellation, qui désignait quelque chose de plus grand qu’un lieu, de plus durable qu’une propriété. Retourner à la terre pouvait prendre un sens aussi bien macabre que spirituel – et il fallait l’admettre, c’est ce qui était en train de lui arriver, à lui, le Roger Bontemps, feu de Bengale des plus belles cuisines de la métropole, amoureux de la chair, à manger ou à toucher, et ayant toujours le mot pour rire. Cet incorrigible Adam s’était transformé en un sol sombre et humide, grouillant de vers et troué de racines, une matière malléable et asservie, destiné à mourir – ou à renaître. » (p. 206)

« Et parce qu’Adam la regardait sans ciller, comme statufié dans leur vestibule, parce qu’elle-même se tenait au seuil d’un silence dont elle ne réchapperait certainement pas, et malgré les circonstances inopportunes – une soixantaine de personnes les attendaient devant des tables champêtres décorées de pivoines de saison -, Marion a senti les mots venir. 

-Adam, je vais te parler. » (p. 218)

Fanny BRITT, Faire les sucres, Le Cheval d’août, 2020

J’ai envoyé paître provisoirement mes projets de lecture de février pour lire un autre titre avec le mot « sucre » (après Sucre noir) et j’ai bien fait !

J’ai lu le livre dans son édition québécoise mais il paraît ce mois-ci aux éditions Flammarion.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Adtraviata 5456 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine