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Chine confucéenne et démocratie occidentale

Publié le 16 août 2008 par Argoul

La Chine n’est pas inapte à la démocratie conçue comme régime universel. Mais le pays de Confucius n’est pas prêt à adopter sans débat ‘nos’ traditions libérales de 1789, issues de ‘notre’ histoire particulière. Sous la direction de Mireille Delmas-Marty et Pierre-Etienne Will, un recueil de spécialistes a fait le point en 2007 sur « La Chine et la démocratie ».

Les fameux « droits de l’homme », phares de la pensée politique occidentale, ne sont pas rejetés. Ce qui ne passe pas, en Chine comme dans toute l’Asie (et probablement dans les pays musulmans et hindouistes – ce qui fait du monde…) c’est la prétention occidentale. Celle de faire des « droits de l’homme » une sorte de découverte ‘scientifique’ - un Souverain Bien dans un monde des Idées - qui s’imposeraient comme seuls critères de jugement à tous. L’Occident comme « mouvement social » de l’Universel dans l’Histoire, quelle blague ! On croyait ce genre de religion terminée depuis l’effondrement du mythe communiste… Car cela revient à nier aux autres cultures toute possibilité d’évaluer ou d’adapter les Normes sorties toutes armées du cerveau des penseurs du 18ème français.

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Or le développement économique montre que les « valeurs asiatiques » telles qu’elles sont aujourd’hui permettent le décollage. Que le progrès n’est pas unique, sur un seul schéma, le seul qui avait jusqu’ici réussi : le capitalisme libéral et technique occidental. Les exemples successifs et renouvelés du Japon, de la Corée, de Taiwan, de Singapour, de Hongkong et de la frange côtière de la Chine Populaire ont encouragé le relativisme culturel de l’Asie. Ils opposent à l’individualisme compétitif occidental, les « valeurs asiatiques » de la famille et de la hiérarchie sociale. Selon eux, elles permettent solidarité, esprit d’équipe et respect du travail – tout ce qui disparaît peu à peu dans l’égoïsme au sein des sociétés occidentales. Toutes ces valeurs sont, pour les Chinois, confucéennes. Le livre examine ce discours chinois – et il s’interroge sur la supposée incompatibilité de la tradition politique chinoise avec le libéralisme démocratique moderne offert en exemple par l’Occident.

Une démocratie, c’est un système d’égalisation des conditions, l’absence d’une aristocratie de naissance ou de cooptation ; mais aussi une opinion publique en phase. Ce système réclame notamment l’Etat de droit, mais  avant tout un Etat central qui empêche les individus de dépendre d’une caste ou d’une clique. En Chine, l’Etat central joue clairement ce rôle, bien que le Parti – son bras armé – ait quelque chose d’une caste, même si les pratiques méritocratiques la renouvellent de génération en génération. L’instauration d’un Etat de droit ne crée pas de fait des pratiques démocratiques. Tocqueville l’avait bien montré, s’agissant de l’Amérique. Il faut que la société tout entière se saisisse de la souveraineté à la base, qu’elle se manifeste et s’exprime autrement que par les rituels de l’élection. Il faut qu’elle se crée en associations, qu’elle participe au pouvoir communal, qu’elle envoie des représentants à l’Exécutif provincial et national, qu’elle dispose d’une presse libre et critique, d’une justice indépendante… Si les formes de la démocratie existent en Chine, le parti Communiste reste le seul autorisé et le Pouvoir verrouille toute forme d’expression non autorisées. Seul le patriotisme lorsque l’étranger critique la Chine – voire le nationalisme lorsque les ethnies irrédentistes tentent de contester le pouvoir central han – jouent le rôle de ciment national. Mais les changements politiques en Chine depuis 30 ans se sont accompagnés de réformes juridiques et elles produisent des effets réels. Toute norme produit son champ autonome, comme chacun sait, et une conscience juridique apparaît chez les Chinois, selon les observations de Stéphanie Balme et des journalistes présents pour les Jeux.

Selon Mireille Delmas-Marty, la globalisation du monde entraîne l’internationalisation du droit, ce qui crée des espaces virtuels sans frontières. Cela accentue la perplexité chinoise sur le fonctionnement « idéal » de la démocratie et de l’Etat de droit. La Chine est très attentive à ces dérives marquées par « l’impuissance » politique affichée de l’Union européenne, la « dépolitisation » égoïste des citoyens occidentaux, le pouvoir déstabilisateur des juges constitutionnels qui censurent la loi votée par le Parlement – pourtant représentant du peuple - et l’exigence de pouvoirs d’exception aux gouvernants dans la lutte contre le terrorisme global. Pourquoi donc, se demandent les Chinois, changer notre pouvoir autocratique qui fonctionne bien, si « la démocratie » occidentale, qui fonctionne assez mal, y vient d’elle-même ? Encore une fois, c’est notre exemple qui sert nos valeurs – pas les discours incantatoires de militants des droits de l’homme !

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La pensée chinoise n’exclut en rien la notion de droit. Jérôme Bourgon va même jusqu’à faire du principe de légalité des délits et des peines, originalité du juriste occidental Beccaria, une possible invention chinoise ! Les lois rendues publiques, les sanctions clairement prévues, les décisions judiciaires contrôlées étaient assurés dans le système juridique chinois. Bien plus que sous l’Ancien Régime européen. Il existe cependant en Chine (comme ailleurs) un risque de déviance autoritaire, le renzhi (gouvernement par les hommes) opposé au fazhi (gouvernement par le droit). De plus, la tradition chinoise ne sépare pas plus les pouvoirs que nos rois. Les valeurs morales des dirigeants priment sur les lois votées, tout comme l’onction divine par le Sacre rendait le roi de France intermédiaire direct de Dieu, bien au-dessus des Parlements. Il y a donc un héritage mitigé, qui permet la démocratie tout en ne l’assurant pas. Pas plus que les Etats généraux de 1789 n’ont accouchés d’un coup de la Constitution de la Vème République…

La Chine n’est pas inapte à la démocratie. Pas plus que nous ne l’étions avant 1789. Elle suivra simplement sa tradition et ne tolère pas qu’on lui impose de l’extérieur. Pas plus que les Américains des Etats-Unis n’ont voulu du paternalisme colonial anglais jadis. La primauté du peuple par rapport au souverain existait explicitement dans les livres philosophiques chinois tels que ‘Mencius’ et le ‘Livre des Documents’. Le peuple était le « fondement de la nation » (guoben ou bangben), « ce qu’il y a de plus précieux » (min wei gui). Il avait déjà le droit de se rebeller contre un souverain indigne. Selon Pierre-Etienne Will, il existait un certain contrôle légal des actes de l’Etat ou du souverain sous la dynastie Ming (1368-1644).

Yves Chevrier et Xiaohong Xiao-Planes regardent le « premier 20ème siècle » jusqu’en 1949. C’est l’échec des Cent Jours le 21 septembre 1898, l’échec de la démocratie parlementaire en 1913, l’échec du Mouvement du 4 mai 1919, la victoire de l’Etat autoritaire du Guomindang. Jusqu’à Mao qui se sert de « la démocratie » pour la « jeter après usage » ! La Révolution « Culturelle » lancée par lui, autocrate vieillissant, pour récupérer son pouvoir contre le parti, est jugée par les auteurs plus « fasciste » que démocratique. Ce qui fait que le modèle démocratique à l’occidentale réapparaît spontanément dans la jeunesse des années 1970. On réhabilite le droit contre l’anarchie, l’Etat contre le Parti et la légalité contre la violence arbitraire.

Selon les dirigeants d’aujourd’hui, accrochés eux aussi à leur pouvoir, rien ne doit déstabiliser l’équilibre institutionnel. La Chine connaît trop de tensions dues à son développement accéléré pour que l’on joue avec le régime, comme Mao l’a fait. Plus jamais les coups de barre brutaux d’un Grand Timonier ! La « démocratie » formelle est jugée soit instrument maoïste dangereux, soit injonction coloniale inacceptable. L’arriération du peuple et de l’économie imposeraient pour le moment un système moins anarchique que la démocratie à l’occidentale : un despotisme éclairé fondé sur l’équilibre de couches sociales telles que les nouveaux capitalistes, les marchands cosmopolites, les paysans « sages », et des castes d’Etat telles le Parti et l’Armée. Selon Michel Bonnin, la théorie chinoise reste cependant déconnectée du fonctionnement réel du pays. Le Bureau politique n’est cité nulle part dans la Constitution chinoise. L’Etat est faible à cause du Parti qui l’investit totalement. « Le développement évident de la corruption, l’appropriation privée des biens de l’Etat par simple décision administrative, ainsi que la fracture entre les bénéficiaires des réformes et les laissés-pour-compte créent des risques d’éclatement que seule une réforme politique pourrait atténuer. » (p.515).

Urbanisation, éducation et développement se conjuguent pour faire des Chinois des citoyens moins passifs et plus éclairés. Ils jugent leurs dirigeants sur leurs résultats, comme on l’a vu durant le tremblement de terre du Sichuan. Le développement rapide crée de multiples tensions sociales et élève une conscience citoyenne nouvelle qui se manifeste par les actions juridiques, les réclamations aux autorités et les blogs. « La Chine est donc condamnée à se démocratiser », conclut Zhang Lun (p.517). Mais la transition démocratique devrait être progressive, « juste pour équilibrer les intérêts divergents de la société et du Parti en matière de participation et de contrôle » (p. 732). Cela prendra du temps mais sera clairement chinois. Pas de modèle « idéal » plaqué d’en haut, ni venu de l’extérieur.

Reste l’irrédentisme culturel tibétain. Mais c’est une autre histoire dont ce livre ne parle pas. Elle ne pourra être abordée sereinement que lorsque la détente démocratique arrivera dans la Chine han. Avant cela, toute velléité de contester Pékin aboutit aux raidissements que l’on constate dans tous les Etats centralisés : de la Russie de Poutine avec la Tchétchénie ou l’Ossétie à la France de Mitterrand-Chirac avec la Corse ou le pays Basque.

Mireille Delmas-Marty, Pierre-Etienne Will dir., La Chine et la démocratie, Fayard 2007, 893 pages


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