Chroniques de l’ordinaire bordelais. Episode 430

Interaction ou pas?

Attente à la caisse d’un supermarché. Derrière moi, j’entends deux voix masculines :

• Les caisses automatiques sont lentes. Et puis, je préfère l’interaction avec des humains.

L’autre approuve.

J’esquisse un sourire satisfait (j’ai eu la même conversation il y a peu avec une cliente d’un certain âge et une caissière, persuadée que les machines ne détruisaient pas des emplois mais transformaient au contraire les caissières en « agents polyvalents » susceptibles d’achalander les rayons… Leçon bien intégrée…) Je me retourne discrètement. Deux jeunes, la vingtaine, casquettes, sweats à capuche, baskets.

Stupeur ! Une machine se libère et sans un mot, ils s’y précipitent ! Pas le temps de m’attarder sur leur inconstance, mon tour est venu.

Gênée par le siège de la caisse inoccupée, je me résous à y poser mon sac, tout en remarquant au passage qu’il est miteux : taché et fané. La caissière, l’air revêche à peine dissimulé par son masque se lève sans rien dire, me demande sans un regard d’enlever mon sac et pousse le siège sous le comptoir. Les articles défilent, elle me signale froidement – sans un regard- que certains sont restés coincés avant le tapis roulant (là, elle ne se lève pas.)

Je règle sans un mot, nous échangeons un « au revoir » froid sans l’usuel « bonne journée ! »

Heureusement je ne suis pas le client-mystère du livre dont je viens d’achever la lecture, qui m’a fait froid dans le dos. Et à choisir, je préfère encore une interaction glaciale avec un humain que celle inconcevable avec une machine…

Colette Milhé

Client mystère, Mathieu Lauverjat, Collection Scribes, Editions Gallimard, Paris, 2023.