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L’Homme dans le labyrinthe (Robert Silverberg)

Par Hiram33

jl0495-1975

Silverberg connaît la dépression et la panne d'inspiration mais sortira de cette crise personnelle en publiant Un jeu cruel (1967), une ambitieuse histoire de vampires psychiques qui marque un nouveau début dans sa carrière. Commence un véritable âge d'or au cours duquel l'auteur aligne les chefs-d'œuvre : Les Ailes de la nuit (1969), évocation poétique et intimiste d'une Terre envahie par les extraterrestres ; L'Homme dans le labyrinthe (1970), audacieuse transposition dans la science-fiction du Philoctète de Sophocle ; Les Monades urbaines (1971), amer tableau d'une société de villes-mondes où les milliards d'humains sont entassés dans des tours de mille étages ; L'Oreille interne (1972), histoire d'un télépathe en train de perdre son pouvoir, poignante métaphore de l'impuissance et de la solitude de l'homme moderne.

L'action se déroule dans le futur. Le personnage principal est Richard Muller, un diplomate à la retraite, qui se retrouve contraint de se cacher de l’espèce humaine sur la planète inhabitée de Lemnos. Il y vit au centre d'une ancienne cité-labyrinthe, construite par une espèce  disparue. Les zones extérieures du labyrinthe sont remplies de pièges mortels pour décourager l'entrée dans la zone centrale.

Dans sa vie antérieure, il avait honnêtement servi l'humanité, voyagé dans des centaines de mondes, enduré des épreuves et des dangers. Le diplomate de carrière Charles Boardman l'a invité à entrer en contact avec les habitants de la planète Beta Hydri IV - la seule race extraterrestre intelligente découverte à ce jour dans la galaxie. Lorsque Muller est revenu après avoir passé cinq mois à Hydra sans avoir semblé établir aucune communication significative avec les indigènes, il a découvert que les autres êtres humains ne pouvaient pas supporter d'être près de lui car il émanait un champ de répulsion mentale intolérable. Ses propres émotions intérieures étaient si pleinement exposées à quiconque près de lui qu'elles étaient intolérablement douloureuses. La science de la Terre n'a pas pu comprendre ou retracer l'origine de ces émanations du cerveau de Muller et il s'est exilé volontairement.

Après neuf ans, cependant, Boardman rompt son isolement auto-imposé. Les pièges mortels du labyrinthe sont pénétrés, d'abord avec des drones robots et plus tard avec des volontaires humains, dont beaucoup périssent. Ned Rawlins, fils d'un ami de Muller aujourd'hui décédé, entre en contact avec lui et, sous les instructions de Boardman, lui promet une cure pour l'attirer hors du labyrinthe. Muller accepte d'y aller, mais la conscience de Rawlins l'oblige à dire à Muller toute la vérité pour autant qu'il la sache: que seul Muller a la capacité d'entrer en contact avec des extraterrestres d'une autre galaxie qui sont sur le point d'éteindre la civilisation humaine.

Déjà six mondes humains ont été envahis, les gens se sont transformés en esclaves zombies. Les extraterrestres ne semblent pas se rendre compte que les humains sont des êtres rationnels. Les extraterrestres sont de taille physique énorme, communiquent entre eux par télépathie, sont physiquement très limités mais sont capables d'asservir les habitants de planètes entières. Une seule personne – Muller, qui peut rayonner par télépathie – pourrait être capable de communiquer avec eux ; pourtant, ses expériences l'ont rendu potentiellement hostile à tout contact ultérieur avec des extraterrestres, voire avec l’espèce humaine elle-même.

Après une rencontre avec Boardman, Muller accepte de rencontrer les extraterrestres. Il vole au bord de la galaxie, est emmené à l'intérieur d'un vaisseau extraterrestre, et là semble avoir toute sa psyché lue par les extraterrestres. À son retour, Muller rencontre Rawlins et découvre que son champ de répulsion a maintenant disparu. À la déception de Rawlins, cependant, au lieu de retourner sur Terre et ses conforts et plaisirs, Muller décide de retourner dans le labyrinthe. Boardman est sûr qu'il reviendra dans quelques années, mais Rawlins ne le pense pas. À la fin de l'histoire, nous ne savons pas ce qui a résulté de ce contact avec la civilisation extraterrestre, ni ce qui est finalement arrivé à Muller. Rawlins suit quant à lui les traces de Muller, et celles des innombrables aventuriers téméraires avant lui, des marins d'autrefois aux voyageurs de l'espace du futur siècle lointain du roman. Les dernières phrases du roman nous apprennent que : "Muller a tenu la fille fermement. Mais il est parti avant l'aube".

Parmi les nombreux épisodes de la guerre de Troie, l'un des plus célèbres est celui de l'arrivée de Philoctète, le plus fameux archer de l'armée grecque, héritier de l'arc et des flèches empoisonnées d'Héraclès. On raconte que le pauvre Philoctète, alors qu'il naviguait avec ses compagnons en direction vers Troie, fut blessé au pied par une de ses propres flèches et que la puanteur de la gangrène qui s'y produisit fut telle qu'on l'abandonna dans une île déserte de la mer Égée, Lemnos. Ce n'est que dans la dixième année de cette guerre qu'on vint le chercher pour l'amener à Troie, car un oracle avait annoncé que la ville ne pourrait être prise sans les flèches d'Héraclès. Dans le récit légendaire, tout l'intérêt est porté sur les ruses qu'il fallut employer pour persuader Philoctète de pardonner à ses camarades qui l'avaient trahi, et pour le convaincre de les aider. C'est sur ces thèmes également que se fonde en apparence le drame de Sophocle. Le grand tragique grec écrivit cette œuvre et la fit représenter alors qu'il avait presque quatre-vingt-dix ans, c'est-à-dire en 409 avant notre ère.

La pièce de Sophocle, Philoctète se résume ainsi : Ulysse et Néoptolème (le fils d'Achille) arrivent à Lemnos ; ils décident de s'emparer de Philoctète par la ruse : Ulysse ne se fera pas voir, et Néoptolème, feignant d'être un ennemi des Grecs, devra s'attirer la sympathie de Philoctète et le conduire à bord du navire qui les a amenés. Pour la suite, on s'en remettra au hasard. C'est ce qui advient en effet. Le pauvre malade s'abandonne avec confiance au jeune homme, afin qu'il le soustraie à sa triste solitude, et lui remet le fameux arc d'Héraclès, dont il était possesseur, pour qu'il le garde et le mette en sûreté. Tandis qu'ils s'acheminent vers le navire, Néoptolème se sent contraint de lui révéler la vérité. Alors apparaît Ulysse. Philoctète refuse : il s'entête et préfère perdre l'arc et mourir de faim, plutôt que de céder à ses ennemis détestés.

Tout semble devoir en rester là, lorsqu'Héraclès apparaît dans le ciel, invitant Philoctète à céder devant la nécessité. Il y a deux points faibles dans la construction de la tragédie de Sophocle : la confession de Néoptolème à Philoctète, qui semble inopportune et mal venue, en ce qu'elle rend inutile la ruse d'Ulysse ; et l'intervention du demi-dieu qui parait ne survenir que pour donner au drame une solution convenable. C'est pourquoi Philoctète n'est pas considéré habituellement comme l'une des grandes tragédies de Sophocle. En réalité, les faits racontés dans ce mythe n'importent pas tant à Sophocle, qu'en soi, la figure de Philoctète. Si Néoptélème fait sa révélation à un moment inopportun, ce n'est pas parce qu'il estime venu le moment indiqué par le plan d'Ulysse, mais parce qu'il est maintenant hors de lui et subjugué par le charme qui émane de ce vieillard qu'est Philoctète, héros malheureux et humilié ; il sent alors le devoir et la nécessité de ne point le tromper. De même, si le dieu n'intervient, ce n'est pas pour donner une solution à ce que le génie même du poète a créé : en effet, Sophocle a parfaitement réussi à faire sienne cette scène finale, à la rendre nécessaire ; même en présence du dieu, c'est toujours le vieux Philoctète qui agit : écoutant et regardant le dieu, il incline la tête et consent à ce qui lui est demandé.


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