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Faut-il revenir à la planification économique ?

Publié le 08 mai 2023 par Magazinenagg

 Par Alexis Gros.

Face à la morosité de notre économie, à la cohérence douteuse de nos politiques publiques et aux défis intimidants du développement durable, il est difficile de ne pas regarder avec un peu de nostalgie la période des Trente Glorieuses et son développement rapide et stable. Or, en termes de développement et de politique publique, cette période était définie par un outil qui nous semble tout droit venu du pays de Mao ou de Staline : le plan.

Ce n’était certes pas une marche forcée. Il était plus indicatif que contraignant, et pourtant du plan Monnet qui reconstruit l’appareil productif après-guerre au plan Messmer qui nucléarise la France, l’impact de la planification à la française est indéniable.

Après une analyse des caractéristiques théoriques et pratiques de la planification à la française, nous verrons que si les résultats du plan sont bien réels, ceux-ci sont contestables. Qu’avons-nous réellement gagné en échange de notre liberté d’entreprendre ?

Comment a fonctionné le plan ?

Dans sa période la plus fructueuse avant la crise pétrolière, le plan fonctionne grâce à un cercle étroit de quelques dizaines de hauts fonctionnaires, informés par de nombreux conseils rassemblant industriels, syndicalistes et experts dont l’objectif est de s’accorder sur des trajectoires désirables. C’est avant tout un mécanisme de concertation nationale où une direction est tracée. Elle offre aux industriels un horizon prévisible qui permet d’assurer une cohérence des investissements. Le premier plan était très simple et décidé par une dizaine de personnes avec des objectifs obtenus sans grande sophistication.

Bien sûr, au fil des plans, des outils plus subtils sont mis en place pour tenter de le « rationaliser », mais l’essence de la planification ne réside pas dans les techniques de prévision, mais dans son principe même.

La théorie du plan est que par la création d’une vision commune de l’avenir à cinq, dix ans, les forces productives du pays ne s’épuisent pas en efforts contradictoires et peuvent au contraire s’appuyer les unes les autres dans la réalisation d’un objectif clairement défini (en opposition avec « l’anarchie » du marché libre). La première vertu du plan était sans doute de réunir à la même table différents industriels qui ne se seraient peut-être pas concertés spontanément.

Le respect du plan a été facilité par le fait qu’après-guerre, l’appareil productif était largement nationalisé. De plus, une fois la concertation terminée, les industriels ont eu intérêt à respecter les engagements qui leur offraient une certitude de croissance et de profits.

Un exemple : l’énergie électronucléaire en France

L’exemple le plus éclatant et peut-être aussi le plus typique de la planification à la française est sûrement le plan Messmer.

Dans la perspective du doublement de la consommation d’électricité tous les dix ans et de la conjoncture des chocs pétroliers, la décision fut prise en 1973 par le Premier ministre Pierre Messmer d’amorcer le développement massif de l’énergie nucléaire pour se passer du pétrole. Comme les plans précédents, peu de débats, et pas de vote au Parlement.

Au centre de l’exécution de cette initiative, une grande entreprise nationalisée, EDF, mais aussi la mise au pas de ses partenaires industriels privés, tels que Alstom, Stein ou Rateau, dont certains composants techniques critiques sont rachetés par EDF, comme les turbines. Quelques années auparavant, le gouvernement avait arbitré le choix de la filière à eau pressurisée sous licence américaine Westinghouse.

Un aspect important de tout plan concerne le financement. Les banques étant nationalisées, le financement a été assuré par des emprunts publics, mais aussi des collectes de fonds et une augmentation des prix de l’électricité.

Au final, le plan est un succès partiel, la France est moins dépendante du pétrole. Avec quelques bémols : la volonté d’électrification complète de la société française n’est pas achevée. De plus, les objectifs ambitieux ont abouti à un suréquipement en centrales nucléaires qui est l’une des causes principales du manque d’expérience de la France en la matière aujourd’hui, les constructions s’étant stoppées brutalement dans les années 1990 faute de besoin.

Les limites du plan

Au fil de son exécution le plan a fait face à deux limites fondamentales :

  1. La difficulté de s’accorder sur une vision commune.
  2. L’incertitude des prévisions à partir des chocs pétroliers.

L’élaboration des premiers plans étant grandement facilitée par le retard évident de la France sur les États-Unis, qui durant toutes les Trente glorieuses lui ont servi de boussole. Or, dans les années soixante, lorsque le niveau de développement de l’économie française se rapproche des pays les plus développés, une difficulté va en s’accroissant : en l’absence de modèle à suivre, comment s’accorder sur une vision commune de l’avenir ?

Car il est évident qu’on ne peut planifier qu’à condition de savoir ce que l’on veut. Le plan tente avec peine de se renouveler, par exemple en se régionalisant, sans que cela résolve ce problème fondamental qui est largement responsable de son effacement progressif.

Les chocs pétroliers tranchent avec la stabilité d’après-guerre qui facilitait grandement la planification chiffrée. Dans les années 1970 on observe la première véritable remise en question du plan, car les objectifs ne sont pas atteints et il semble impuissant pour stabiliser les prix.

Au-delà de ces limitations, le plan possède aussi des désavantages importants : il favorise les grandes entreprises et freine l’innovation entrepreneuriale.

Que faut-il retenir du plan en termes d’innovation ?

Le Minitel et le Concorde n’ont eu aucune descendance. Le programme nucléaire français est basé sur un brevet américain. Le TGV est un succès, mais le Shinkansen l’avait précédé de dix ans. Où sont passés les grands entrepreneurs français visionnaires de l’avant-guerre? Les Renault, Lumière, Eiffel ? La rigidité de la planification industrielle ne laisse pas de place au génie.

En privilégiant les grandes structures, il a créé ou entretenu des colosses rendus immortels comme EDF, SNCF ou Total qui naturellement deviennent de moins en moins fonctionnels en vieillissant et dont nous faisons de plus en plus les frais. Les quinze premières entreprises du CAC 40 ne sont pas dans des industries de pointe.

Et enfin, d’autres pays sans plan (l’Allemagne, l’Italie…) ont aussi connu une croissance similaire à celle de la France, ce qui relativise le rôle central du plan comme orchestre de la croissance économique.

Car si la stabilité du marché global, en particulier des commodités de base, rend l’environnement économique suffisamment prévisible pour permettre à quelques fonctionnaires de voir et de déterminer les grands axes de croissance, il est aussi facile pour des entreprises privées de faire ce calcul par elle-même.

Donc si nous sommes tentés par le plan, gardons à l’esprit ses limitations et ses inconvénients. S’il a participé à faire la France d’aujourd’hui, il est aussi responsable d’une partie de ses dysfonctionnements. Sur le court terme, nous avons tronqué notre capacité à innover, et abimé notre culture entrepreneuriale. Sur le long terme, nous avons saboté notre compétitivité.

Pour paraphraser Benjamin Franklin : un peuple qui échange sa liberté contre un peu de prospérité se verra privé de l’une comme de l’autre.

La source principale de cet article est le livre Le plan ou l’anti-hasard de Pierre Masse.


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