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[Kokoro]

Publié le 09 mai 2023 par Adtraviata
[Kokoro]

Quatrième de couverture :

Seki pense que j’ai l’âge mental d’un gosse de dix ans, tout au plus, qu’il faudrait que je pense à grandir, à agir en homme.
Le mot homme a peut-être été inventé pour d’autres que moi.
Il ne fait pas partie de mon dictionnaire intime.

Dans ce roman se fait entendre une voix ténue et obstinée, attentive aux mouvements subtils de la nature et des âmes.
Koichi et sa sœur Seki n’avaient que douze et quinze ans lorsque leurs parents ont disparu dans un incendie. Depuis, ils ont le cœur en hiver.
Seki s’est réfugiée dans la maîtrise et la réussite professionnelle.
Corset diaphane à l’abdomen, stalagmites au cœur. Le début de l’ère glaciaire.

Koichi, lui, s’est absenté du monde, qu’il regarde en proximité.

Mais le jour où il apprend que sa sœur va mal, très mal, Koichi se réveille et pose enfin les actes qui permettront à chacun de renouer avec un bonheur enfoui depuis l’enfance.

Un Picquier francophone, ce n’est pas courant. Je l’ai choisi pour faire le lien avec le mois belge et les lectures francophones de ces dernières semaines, mais j’ai l’intention d’en lire un autre, japonais, d’ici la fin du mois de mai.

[Kokoro], cela veut dire coeur en japonais. Dans ce titre, ce coeur est enchâssé dans des crochets typographiques, comme tous les titres de chapitres constitués d’un mot japonais entre crochets et sa traduction. Je ne sais si c’est une habitude japonaise pour annoncer des traductions, en tout cas ces crochets ont pour moi une signification symbolique : ils enserrent le mot, tout comme le coeur de Koichi, le narrateur, est enserré dans les griffes du chagrin depuis le drame qui a tué ses parents. Le coeur de sa soeur Seki aussi, qui semble figé dans la glace.

Avec une grande simplicité, une économie de mots qui touche au coeur, Seki raconte le deuil, la séparation d’avec la maison familiale, la dureté de Seki qui ne sourit plus et veut tout contrôler de main de fer, la grand-mère à qui il est profondément attaché et qu’il a fallu placer en maison de retraite. En dehors de son travail qui lui permet de garder la discrétion et la réserve qui sont les siennes, Koichi se plaît dans sa solitude et ne fait pas grand-chose, à part observer la nature, pneser au passé, rendre visite à sa grand-mère avec des douceurs sucrées et à son ancienne maison. Malgré la froideur de sa soeur, il a gardé une connexion particulière avec elle, qui le réveille quand il comprend qu’elle est en difficulté.

De courts chapitres, des évocations déchirantes de douceur et de chagrin, la sensibilité de Koichi, la dureté de Seki, tout est passionnant dans ce court roman. Un coup de coeur plein de délicatesse !

« [Koudou suru, agir]

Seki a beaucoup d’activités en plus de son travail. Elle fait du yoga le mercredi midi, va au cinéma le mercredi soir et, chaque samedi matin, elle suit un cours de calligraphie à domicile.
Seki est une jeune femme moderne, dans l’écho des titres de magazines, dans la maîtrise du visible. Elle dit que je devrais faire comme elle, me bouger. Que je serais certainement mieux dans mes baskets. Ses conseils amplifient mon silence.
Mes baskets et moi, je crois, nous nous entendons joyeusement.
(p. 10)

« [omocha, jouet]

Mon salon est un terrain de souvenirs.
Sur les étagères, le canapé, la table basse, cohabitent train électrique, kokeshis anciennes, boîtes à musique, peluches.
Ces jouets sont ceux du passé, je n’en ai acheté aucun.
Ils m’appartenaient, appartenaient à ma sœur, à mes parents.
Tous gardent trace de récits oniriques, de doigts enfiévrés, de corps en mouvement. J’ai tout gardé. Seki voulait tout jeter. J’ai tout gardé. »
(p. 35)

« [negai, vœu le plus cher]

Un jour, alors que nous allions pique-niquer pour fêter Hanami, grand-mère m’offrit un Daruma. Suivant la tradition, je dessinai en noir une première pupille sur cette figure de papier mâché et fis le vœu de voir à nouveau sur le visage de ma grande sœur le sourire plein d’Okame.

Le Daruma est aujourd’hui sur ma table de nuit. Toujours malvoyant.

Mon souhait s’est perdu dans le vent des cyclones et les ondées d’orage. » (p. 53)

« Dans ton jardin secret, n’oublie pas un carré pour les mauvaises herbes. » (p. 77)

« Le parfum de la monitrice me rappelle les vacances à la mer.
Ma mère s’enduisait la peau de monoï. Le monoï a l’odeur de la joie, du sucre qui ravit. Le monoï est l’allié du ciel bleu, un liquide à bonheur. »
(p. 89)

« Sur les aires d’autoroutes, petit clan groggy de kilomètres, nous marchions pour dégourdir nos corps. Peut-être nos passés. Et puis il y avait les azalées en fleurs. Les corbeaux en quête de desserts abandonnés. Les bancs de pierre blanche sur les gazons galeux. Seki ne m’adressait la parole que pour l’essentiel. Je n’en désirais pas plus. Je savais qu’il faudrait du temps pour que les chocs de toutes ces années sourdes se muent en cicatrices douces au toucher. Je me disais qu’un jour viendraient les paroles libres, tranquilles. Seki savait que je savais. » (p. 106)

Delphine ROUX, [Kokoro], Editions Philippe Picquier, 2015

Un Picquier par mois en 2023


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