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Déconstruire les clichés: Mécano de Mattia Filice

Par Eirenamg

Design sans titre (1)

Quand j'ai entendu parler de ce roman, un récit sur l'univers du rail de manière poétique . J’ai été un peu dubitative, le train je le prends au quotidien, il n'est plus depuis quelques années associées à des souvenirs sympas, mais à des retards, accidents, trajet de 6h sur la ligne maudite Paris-Clermont ou des choix drastiques de sorties pour Paris entre les travaux ou incidents voyageurs, difficulté de service ou panne de matériel.
Donc autant vous dire que j'avais des à priori sur ce monde même si je sais pourtant la marchandisation, le manque de personnel et la pression sur l' entreprise par les choix politiques.
L'auteur réussit à casser les clichés en racontant le quotidien, l'usure des corps, les horaires décalés. La responsabilité, la peur de l'accident voyageur, les défaillances matérielles, les dépôts et les dortoirs sans âme sont aussi décrits à la fois de manière réaliste et très littéraire.

Il injecte des métaphores pour décrire ce corps qui est l' entreprise,sa hiérarchie, sa camaraderie, les ferrovipathes. Il associe l'italien, des références chevaleresques, les bruits. Il fait comprendre la novlangue, les codes, les gestes du mécano, les procédures, le mémento. Il redonne de l humanité à l'entreprise en l'incarnant par ses camarades de promotion de la formation aux rails, il en fait des personnages , des héros du quotidien . Gaël et ses annonces bien à lui, Hadama, Geoffroy le chat noir, Hidaya, Nadir, Kamal, les chefs de bord Miss Ink et mister Gorgo. Les chefs et formateurs garants de la bonne marche, le directeur personnage mythique qui change, mais pressurise toujours plus. Sorte de monstre protéiforme avec sa fausse compassion pour la mort ou la santé du personnel, sur les injonctions à faire toujours plus. Gérard ou les anciens mécanos qui transmettent leur savoir-faire, l' histoire de l'entreprise.
J' ai aimé l' alternance entre l' intime, sa famille, sa grand-mère, sa mère, son quotidien, ses doutes et l'universel. Avec l' engagement, la lutte, la volonté de lutter pour ne pas être des exécutants sans réflexion. La volonté de reprendre le contrôle par les mots sur la peur, la responsabilité, ne plus être 1 rouage. Le récit d'une vie de rails devient hypnotique de l'enthousiasme des débuts, de la  ligne rer ou grande ligne, des incidents, des petites victoires ou de l' amertume, de la remise en question parfois. Mais le narrateur ne se pose pas en héros, il écrit par besoin, pour fixer alors qu'il ne le souhaitait pas au départ. Le récit devient plus ample, prend son rythme de croisière, on s' attache aux personnages et on s'habitue à ce rythme, ses anecdotes, ses fragments de souvenirs du narrateur et de ses compagnons.
Un récit à hauteur d' homme qu’il humanise où il montre les incohérences politiques, les pertes acceptables, le risque calculé, la pressurisation des corps et des individus. L'auteur a réussi à me faire identifier à ses hommes et femmes, à casser les clichés et préjugés que j' avais.

Depuis je ne regarde et n' entends plus les mêmes choses dans le train. Alors je pesterai encore sur les retards ou autres, mais en pensant au final aux gens et plus qu' à un logo et en regrettant que notre marchandisation économique aboutisse à user et traiter les gens comme des rouages. Finalement ce roman a réussi à me faire vivre cette vie par procuration et à mieux comprendre ces métiers du rail.

extraits:

quand un directeur change de poste, c' est suite à la sortie du dernier modèle: Manager D8. Il dispose des mêmes fonctionnalités que le précédent, exigence de robustesse, de restructuration permanente, mais avec de nouvelles applis, avec une plus grande autonomie, une capacité à tenir dans le temps un envahissement de réunion malgré l' heure de déjeuner amplement dépassée, de nouvelles fonctions comme la capacité de compatir, d’approuver même, tout en finissant par conclure qu’il n’a pas le pouvoir pour changer la donne.

Au travail, nous racontons des bribes d’histoire
le puzzle n’est jamais complet
nous coupons les pensées et saucissonnons les mots
comme nos repas que nous avons appris à manger
en accéléré
les discussions sont amputées
nous les laissons dans un coin de la base vie
ou du local situé juste au-dessus de la plateforme la pièce où nous nous retrouvons entre deux trains

l y a dans cette pièce des millions de débuts de discussions, des débuts de phrases, des débuts d’idées, des débuts de récits

rien d'abouti


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