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J’étais dans le bus et j’attendais.

Publié le 09 juin 2023 par Paulo Lobo
J’étais dans le bus et j’attendais.
J’étais dans le bus et j’attendais.
Le temps ne me paraissait pas long. Au contraire, ces quelques minutes de suspension avaient un goût de dessert glacé. Je devais en tirer profit pour… pour justement ne pas en tirer profit.Juste regarder l’eau de la rivière couler.Dans ma tête, je ressentais un vide, une parenthèse ouverte, un souffle en sursis.Je me suis demandé, qu’as-tu retenu de toutes ces décennies d’existence ?Mais en réalité, je n’avais pas vraiment envie de me concentrer sur tout ce que dissimulait mon passé.Bien sûr, si j'y mettais du mien, mille petites scènes me reviendraient en mémoire. Des moments de gloire, mais aussi des instants d'humiliation, de défaite et de souffrance.Je n’avais pas envie de cela, je voulais laisser mon âme en paix. Alors je me forçais à regarder, à travers la fenêtre, les éléments, les arbres, les signalisations, les façades, les engins mécaniques.Forcer mon esprit à être dans le présent, aussi futile fut-il.Comme le bus ne partait pas, et comme du temps additionnel m’était accordé, je me mis à élaborer des phrases absurdes, des phrases sans issue, des phrases déglinguées, des phrases libres de tout joug ou goulag, des phrases auxquelles je voulais m’accrocher.Des phrases qui sonnaient bien.Je me rappelais mes principes juvéniles. Certains d'entre eux. "La réalité peut être moche, mais on peut toujours se réfugier dans la fiction."En ce temps-là. En ce temps-là, quand j’avais vingt ans, j’avais des œillères. Je ne m’intéressais qu’à mon monde de cinéma. Ou encore à ce que je lisais dans les livres.Tout le reste me laissait froid et indifférent.J'étais obsédé par mon propre rapport au monde.Incapable de comprendre le point de vue des autres.Mais maintenant que je n’avais plus vingt ans,maintenant que je n’étais plus D’Artagnan, l’évocation d’une aussi grande naïveté me faisait sourire, cette insouciance niaise qui avait été la mienne était le reflet d’une jeunesse égocentriqueEntre-temps, j’avais compris qu’il y a des choses dans la vie, des événements, des malheurs, auxquels on doit faire face et qu’on ne peut tout simplement pas gommer d’un claquement de doigts.La plupart du temps, il faut apprendre à vivre avec ces désagréments, car ils s’installent pour ne plus repartir.Je suis un être vieillissant, je n’arrive plus à m’imaginer la prairie, le cours d’eau, la jeune fille en fleurs.Je n’arrive plus à m’imaginer la montagne, la rivière, la savane, la steppe lointaine.Je n’arrive plus à me mettre dans la peau d’un détective privé, ni dans celle d’un pirate au grand cœur, ni dans celle d’un jeune homme dans le vent.Je n’arrive plus à me projeter ni dans le jour ni dans la nuit. Je suis dans un entre-deux poisseux et délavé. Une salle cliniquement désinfectée et entièrement stérile.Ne comptent plus que les choses immédiates, tous ces petits riens qui viennent à nous chaque jour sans qu’on n’ait rien demandé.Sans que je m’en rende compte, le bus était parti et arrivait presque à sa destination.Bientôt j’allais retourner à mes occupations vaguement bercées par l’horloge et l’agenda.Et c’était très bien comme ça.La vie ne peut pas être que fuite et rêverie. La vie c’est aussi accepter le flux des choses comme il vient. 

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