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« Le Poids du mensonge » : un huis clos formidablement prenant

Par Filou49 @blog_bazart
samedi 26 août

Le nom de Jean-Claude Romand vous dit peut-être quelque chose : c'est cet homme qui, en 1997, a assassiné sa femme, ses enfants et ses parents, avant de se suicider, après avoir fait croire, pendant 18 ans, qu'il travaillait à l'OMS. En ce moment à la Manufacture des Abbesses et jusqu'au 15 octobre, la compagnie Body&Soul propose une création inspirée de ce terrible fait-divers. 

La mise en scène et le texte sont signés Mitch Hooper - dont nous avions déjà pu voir le travail à la Cartoucherie, en 2021, dans Macbeth et Un bon petit soldat (spectacle repris aux Déchargeurs) Cela faisait un moment que son Poids du Mensonge encombrait son tiroir, l'en voici à présent sorti - et on ne peut que s'en féliciter.

                                                                     

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Jean (Julien Muller), sorte d'alter ego de Jean-Claude Romand, fait croire à ses amis, sa famille, qu'il brille dans la pub, côtoie stars et mêmes politiques, connaît les placements à ne pas laisser passer. Cette réussite suscite chez son entourage des sentiments bien différents, à commencer par Marc (Anatole de Bodinat), un de ses anciens camarades de classe, professeur de banlieue s'étant toujours rêvé écrivain à succès, qu'il admire autant qu'il jalouse. Laurence, la femme de Marc (Sophie Vonlanthen), est quant à elle totalement fascinée par cet homme, qui, décidément, est tellement plus intéressant que son mari, et ne perd pas une miette de ses anecdotes peopleEt puis, il y a Carole (Anne Coutureau) qui semble contempler la vie de son époux avec distance et désintérêt. Mais pas seulement. Ces sursauts qu'elle a, parfois, ne serait-ce pas de la peur ?

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D'emblée, le suspense s'empare de l'atmosphère. La pièce s'ouvre sur un « Papa ? » étouffé, suivi d'un coup de feu. Jean sort sur la terrasse de sa belle maison de campagne, décidé à retourner contre lui ce fusil de chasse qu'il vient d'acheter. L'arrivée brutale de Marc interrompra son geste. Le poids de ses mensonges, au fil des confidences qu'il va faire à son ami, va se libérer.

Les quatre comédiens sont criants de vérité et campent à la perfection leur personnage : Julien Muller fait un saisissant Jean-us à deux visages (de quoi coller des frissons), capable d'une scène à l'autre de nous glacer le sang, puis, de nous charmer en nous racontant la journée banale d'un publicitaire brillant et entouré du plus beau monde. Anatole de Bodinat se fond avec habileté dans la peau d'un loser qui se désespère de se sentir si petit par rapport à son ami dont la réussite lui échappe encore aujourd'hui. Le personnage de Sophie Vonlanthen apporte une légereté essentielle à certains moments où le malaise et la tension viennent envenimer les échanges. Anne Coutureau, quant à elle, est touchante dans ce rôle de femme qui aurait souhaité une autre vie et se réfugie dans un jardin rempli des souvenirs de son enfance. 

Les dialogues sont soignés, parfois lourds de sous-entendus, souvent teintés d'humour noir, et rythmés par rebondissements et révélations. L'appropriation du fait-divers est faite sans voyeurisme - ce qui est fortement appréciable en ces temps où la traque de Xavier-Dupont de Ligonnès semble intéresser bien plus de gens que l'avenir de la planète - et avec subtilité. Ici, on décortique plus les relations, les faux-semblants au sein du couple et les amitiés basées sur du rien, qu'on ne traite du drame familial. La construction de l'intrigue ménage un suspense allant crescendo, à travers un long flashback nous ramenant à la veille de ce dialogue entre Jean et Marc, sur la terrasse. L'envie nous prend d'être ré-embarqué•e dans le présent pour savoir ce qui s'est passé, et, en même temps, ce flashback est lui aussi saturé de tension.

Le décor se résume à un banc et deux chaises, lieu de vie commun où l'inimaginable sera dit et commis. Ue toile accrochée au-dessus plane, comme une menace. La grandeur de la maison est suggérée par des regards portés loin, vers un jardin imaginaire. La mise en scène, sobre et redoutablement efficace, ne nous détourne jamais de ce qui se passe sur le plateau. Nous sommes ici, avec eux•elles, osant à peine bouger et scotché•es par cette tragédie qui, comme toute tragédie, sera inéluctable.

Un grand bravo pour ce puissant moment de théâtre.

Le Poids du mensonge de Mitch Hooper jusqu'au 15 octobre à La Manufacture des Abbesses, les jeudis, vendredis et samedis à 21h et les dimanches à 17h.

 Crédit photo : Isabel de Francesco


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