Sorj Chalandon – L’enragé

Par Yvantilleuil

Le 27 août 1934, 56 enfants s’évadent de la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer. Coincés sur l’île, pourchassés comme des nuisibles par les matons du centre, les gendarmes, les habitants et même quelques touristes alléchés par la prime de 20 francs offerte par gamin capturé, ils seront tous rattrapés, sauf un…

C’est à ce garçon que l’on dit noyé, que Sorj Chalandon (« Mon traître », « Le jour d’avant ») décide de donner vie. S’inspirant de ce sombre fait divers, l’auteur imagine la destinée de ce jeune bagnard, abandonné par ses parents, enfermé dès l’âge de douze ans, qui avance les poings serrés et le regard féroce, prêt à en découdre avec quiconque se mettra sur cette route qui le mène enfin vers la liberté. Jules Bonnot, dit La Teigne, est un naufragé de la vie, une victime de violences, d’humiliations et de privations, un enragé incapable de contenir la colère qu’il a emmagasiné au fil d’une enfance malheureuse… 

L’ « Enfant de salaud » utilise son personnage comme exutoire d’une haine qui l’a également accompagné tout au long de sa propre adolescence. Il entre dans la peau de son personnage pour déterrer ses propres sentiments, ceux que l’on a déjà entrevus lors de ses précédents romans autobiographiques. C’est lui qui desserre les poings au fil des pages, afin de pouvoir accepter la main tendue par ces quelques adultes prêts à l’aider…

À travers ce cri de rage, l’auteur dénonce également la violence exercée sur les enfants enfermés dans ces centres d’éducation où régnait la loi du plus fort. Des bagnes pour mineurs où les gamins étaient non seulement exploités économiquement, mais également impunément battus et humiliés par les surveillants.

Ancrant son récit dans l’Histoire, marquée par la guerre civile espagnole, la montée du fascisme et communisme, l’auteur donne également naissance à des personnages secondaires forts et terriblement attachants, tout en rendant hommage aux courageux pêcheurs bretons. Il invite même à croiser le chemin d’un certain Jacques Prévert, qui immortalisa cette évasion, suivie d’une horrible battue, dans son poème intitulé « Chasse à l’enfant » :

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l’île on voit des oiseaux

Tout autour de l’île il y a de l’eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu’est-ce que c’est que ces hurlements ?

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C’est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l’enfant… »

Coup de cœur !

L’enragé, Sorj Chalandon, Grasset, 416 p., 22,50 €

Ils/elles en parlent également : Anthony, Audrey, Lydia, Brize, Christl, Caroline, Charlotte, Catherine, Ma voix au chapitre, Maman nature

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