Critique - Edelweiss [France Fascisme] - Odéon / Théâtre de l'Europe (Paris)

Par Filou49 @blog_bazart
lundi 25 septembre

Après les milieux antifascistes et communistes, Sylvain Creuzevault inverse le point de vue et s’attaque au national-socialisme et au fascisme. Qu’est-ce qui a permis son émergence en France au-delà de la guerre ? Cette pièce est, avant d’être une histoire du fascisme français, un examen de comment des intellectuels et militants français, de tous bords, ont décidé de choisir cette voie. 

Pourquoi ce nom d’Edelweiss ? Creuzevault la tire d’une marche militaire écrite en 1938 par le compositeur allemand Herms Niel. Un chant traduit en français au moment de la création de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme en juillet 1941, lorsque l’Allemagne attaque l’URSS.

Ici, la troupe s’empare de figures historiques : Doriot, Déat, Laval, Rebatet, Brasillach, Céline, Brinon et quelques autres… Écrivains et hommes politiques de l’extrême droite française, nous les suivons du début de leur renommée à leur chute, lors de l’épuration sauvage et légale. Leurs discours, leurs livres, leurs mots font le spectacle. Le couperet de l’article 75 du code pénal, celui qui condamne à la peine capitale “tout citoyen français reconnu coupable de trahison et d’intelligence avec l’ennemi”, tombe à la fin. 

Matraquer les idées fascistes, cela passe par les coups, la batte qui immobilise le paysan récalcitrant au STO (Service de Travail Obligatoire) mais surtout par le son et l’image, qui encerclent la salle et ses spectateurs : la radio contrôlée par le ministère, les discours alambiqués de Laval et les effets stroboscopiques, très présents et limite obsessionnels, constituent des instruments de propagande qui marchent. Notamment ces effets qui matraquent les esprits et peuvent rester dans le crâne quelques heures après la représentation. 

Le choix du sujet peut, de prime abord, faire sourciller… Qu’est ce qui m’a conduite comme spectatrice à entendre des idées fascistes pendant 2h30 ? Surtout est-ce raisonnable de le représenter de nos jours ? Il ne s’agit pas d’entendre des idées pareilles mais en scrutant le fascisme, c’est aussi l’antifascisme qu’on sonde – ce qu’il est, ce qu’il peut, et fait, ou pas. L’auteur décrit Edelweiss comme « d’une comédie écrite au moment du danger ». 

Faire d’une représentation du fascisme une comédie, n’est-ce pas risqué ? Il y en a un qui avait réussi, c’était Bertolt Brecht avec la Résistible ascension d’Arturo Ui : le dramaturge allemand transpose les mécanismes de l’ascension d’Hitler dans le Chicago des années 1930 avec le trust du chou-fleur en crise. Le nazisme et la pègre se ressemblent dans leurs procédés. A la Comédie Française, la mise en scène de Katharina Thalbach, fille d’une actrice de la troupe de Brecht, avait utilisé le burlesque avec du maquillage et surtout l’autodérision de Laurent Stocker. Ici, le comique de situation ne renvoie pas à la même chose, il fait froid dans le dos…  Pourquoi ? Parce que le contexte politique dans lequel est créé cette pièce a évolué : en 2017 (date de la première représentation d’Arturo Ui), l’extrême-droite accède pour la seconde fois au second tour de l’élection présidentielle… Aujourd’hui, il est de nouveau normalisé de la bouche de politique de politiques comme d’intellectuels dans notre société ce qui implique de nouveaux procédés pour l’analyser et le dénoncer comme le voulait Sylvain Creuzevault. 

 

A partir des tableaux sur la collaboration et le fascisme français des années 30-40, comment montrer que la question est toujours d’actualité ? Le pari est à moitié réussi pour moi. Oui, se concentrer sur ces intellectuels montrent qu’ils sont toujours aussi présents aujourd’hui et qu’on leur donne l’importance équivalente. Ils s’immiscent doucement mais surement dans le débat, sous couvert d’originalité de la pensée, de liberté d’expression, principe cher à la France, qu’ils sont prêts à trahir… Après la dernière scène, un silence glaçant s’installe avant les saluts, preuve que l’œuvre fait effet. 

Mais à moitié réussi parce que clowner le fascisme, le représenter pour faire écho à aujourd’hui est un risque : un risque de le normaliser, trop le normaliser, d’enlever la portée et les dangers de l’idéologie portées par les écrivains et politiques représentés… Est-ce que montrer Céline qui se soulage sur scène et utiliser ses excréments sur les autres personnages fait avancer la cause ? Je ne le crois pas… (Je renverrais à une critique plus poussée de Marie Coquille-Chambel qui réalise sa thèse sur l’extrême-droite de 1931 à nos jours). Clowner pour alerter, pourquoi pas mais à condition de trouver la bonne mesure brechtienne et plus radicale au vu du danger qui s’annonce…

Crédits photos : Jean-Louis Fernandez

Edelweiss [France Fascisme]

Odéon- Théâtre de l'Europe / Atelier Berthier 

durée 2h20

21 septembre – 22 octobre - Du mardi au samedi à 20h, - Le dimanche à 15h
Relâches les lundis 

Jade SAUVANET