Lisez la lettre de John Lennon à Todd Rundgren.

Publié le 25 octobre 2023 par John Lenmac @yellowsubnet

Il n’y a rien de tel qu’une bonne querelle de rock and roll, n’est-ce pas ? Alors que les querelles publiques contemporaines prennent souvent la forme de tweets salaces qui font la une des tabloïds, dans le passé, lorsque deux orfèvres particulièrement vicieux comme John Lennon et Todd Rundgren s’affrontaient, ils écrivaient les règles du jeu des querelles musicales.

Rundgren, multi-instrumentiste prolifique, chanteur, auteur-compositeur et producteur de disques avec pas moins de 24 albums studio à son actif, s’est retrouvé un jour au cœur d’une querelle publique très médiatisée avec Lennon. Une confrontation qui, malgré ses protestations, permet encore aujourd’hui à Rundgren de décrocher des concerts et de confirmer sa place au panthéon des plus grands noms du rock.

En 1974, alors que Rundgren vient de sortir son célèbre album expérimental Todd, il se retrouve en pleine campagne de promotion pour en écouler quelques exemplaires supplémentaires. Le musicien a donc accordé une interview à Melody Maker pour parler de son nouvel album. Mais Rundgren ne parvient pas à rester dans le sujet, et très vite, l’homme du moment, l’ancien Beatle John Lennon, se retrouve sur le bout de la langue.

À un moment donné, la conversation s’est portée sur l’ancien Beatle et Rundgren n’a pas hésité à livrer une critique cinglante de son personnage : “John Lennon n’est pas un révolutionnaire”, a-t-il déclaré. “C’est un putain d’idiot. Crier à la révolution et se comporter comme un con. Il met les gens mal à l’aise”.

Rundgren a ajouté : “Tout ce qu’il veut, c’est attirer l’attention sur lui, et si la révolution lui permet d’attirer l’attention, c’est par la révolution qu’il l’obtiendra. Frapper une serveuse au Troubador. Quel genre de révolution est-ce là ?”, s’interroge Rundgren, manifestement perplexe face aux lunettes teintées de rose avec lesquelles les gens considèrent les Fab Four.

“C’est un personnage important, bien sûr”, poursuit Rundgren, soulignant sa position dans la culture pop, même à l’époque, “mais Richard Nixon l’était aussi. Nixon était comme le John Lennon d’une autre génération. Quelqu’un qui représentait toutes sortes d’idéaux, mais qui n’en faisait qu’à sa tête. Les Beatles n’avaient pas d’autre style que d’être les Beatles. Le Nazz faisait donc du rock lourd, mais aussi de jolies ballades légères et complexes”, conclut-il.

Rundgren devait être conscient de la réaction qu’allaient susciter ces paroles, et il avait sans doute prévu d’en tirer quelques colonnes supplémentaires.

À ce moment précis, alors que Rundgren explosait dans ce qui était censé être une interview promotionnelle décontractée, Melody Maker savait qu’il s’était retrouvé au centre de la plus grande histoire de la musique à cette époque. Si Lennon avait déjà essuyé quelques critiques au cours de sa carrière, les commentaires de Rundgren avaient fait franchir un nouveau palier à la situation.

Lennon, toujours prompt à répondre à la négativité, a pris sur lui de répondre à Rundgren en écrivant une lettre ouverte adressée à “Sodd Runtlestuntle” et en faisant des remarques peu subtiles tout au long de la lettre, y compris en suggérant que Rundgren avait copié une mélodie créée par les Beatles.

“J’aime bien vous, et certaines de vos œuvres, dont ‘I Saw The Light’, qui n’est pas sans rappeler ‘There’s A Place’ (Beatles), du point de vue de la mélodie”, commence Lennon, visant manifestement Rundgren. S’ensuit un démontage systématique des réalisations musicales de Rundgren. Après avoir admis qu’il s’était “comporté comme un con” au Troubadour et qu’il aimait l’attention qu’il suscitait, Lennon affûte sa langue pour un véritable coup de fouet.

“Je ne représente personne d’autre que mon MOI”, écrit Lennon. “Il semble que je représente quelque chose pour vous, sinon vous ne seriez pas aussi violent à mon égard (votre père peut-être ?)”.

Le chanteur poursuit, manifestement offensé par les railleries visant les Beatles, ce que Lennon lui-même aimait bien faire : “Ce qui m’amène aux Beatles, qui n’avaient pas d’autre style que d’être les Beatles ! Cela couvre beaucoup de styles, mec, y compris le vôtre, TO DATE…..”

Il termine sa lettre par le genre de faux baiser qui peut déclencher des émeutes : “Quoi qu’il en soit, même si tu m’as fait du mal, chérie, je t’aimerai toujours”. C’est un exemple parfait de l’esprit caustique de Lennon et de son appétit insatiable pour l’écriture de lettres.

Lisez l’intégralité de la lettre de Lennon ci-dessous.

UNE LAITUE OUVERTE À SODD RUNTLESTUNTLE

Je n’ai pas pu résister à l’envie d’ajouter quelques “îlots de vérité” en réponse au hurlement de haine (douleur) de Turd Runtgreen.

Cher Todd,

Je vous aime bien, ainsi que certaines de vos œuvres, notamment “I Saw The Light”, qui n’est pas sans rappeler “There’s A Place” (Beatles), du point de vue de la mélodie.

1) Je n’ai jamais prétendu être un révolutionnaire. Mais j’ai le droit de chanter ce que je veux ! N’est-ce pas ?

2) Je n’ai jamais frappé une serveuse au Troubador, j’ai agi comme un con, j’étais trop ivre. Alors tirez-moi dessus !

3) Je suppose que nous cherchons tous de l’attention Rodd, penses-tu vraiment que je ne sais pas comment l’obtenir, sans “révolution” ? Je pourrais me teindre les cheveux en vert et en rose pour commencer !

4) Je ne représente personne d’autre que moi-même. On dirait que je représente quelque chose pour vous, sinon vous ne seriez pas si violent envers moi (votre père peut-être ?).

5) Oui Dodd, la violence se manifeste de façon mystérieuse, c’est une merveille, y compris verbale. Mais tu connais ce genre de jeu d’esprit, n’est-ce pas ? Bien sûr que oui.

6) Donc le Nazz faisait du “heavy rock” puis soudainement une “light pretty ballad”. Quelle originalité !

7) Ce qui m’amène aux Beatles, “qui n’avaient pas d’autre style que d’être les Beatles” ! Cela recouvre beaucoup de styles, y compris le vôtre, À LA DATE…..

Oui, mon Dieu, la seule chose que les Beatles ont faite, c’est d’influencer l’esprit des gens. Peut-être as-tu besoin d’une autre dose ?

Quelqu’un m’a fait écouter ta chanson rock and roll girl private, mais je n’ai rien remarqué. Je pense que la vraie raison pour laquelle tu es en colère contre moi est que je ne savais pas qui tu étais au Rainbow (L.A.). Tu te souviens de la fois où tu es arrivé avec Wolfman Jack ? Quand je l’ai découvert plus tard, j’étais en train de jurer parce que je voulais te dire à quel point tu étais bon. (Je t’avais entendu à la radio.)

Quoi qu’il en soit, même si tu m’as fait du mal, je t’aimerai toujours,

J. L.

30 septembre 1974