Pause de midi dans un cimetière !

Publié le 20 août 2008 par Chantal Doumont

Petit «Père Lachaise» genevois, le cimetière des Rois est très prisé pour les pique-niques, moments de détente et flirts

Quoi de plus extravagant que de manger son sandwich à côté de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, du réformateur Jean Calvin et du créateur de la Genève moderne James Fazy! Havre de paix en plein centre-ville, le cimetière de Plainpalais, dit «des Rois», -enchante nombre de Genevois qui aiment s'y reposer à l'ombre des arbres entre les tombes des grands de Genève entre midi et quatorze heures.

«Les morts ne m'impressionnent pas, regardez comme c'est beau!» s'enthousiasme Ursula Heinen, 52 ans, assise sur le gazon à côté de la tombe de Théodore Barillet, un ancien président du Tribunal civil de Genève. Cette gestionnaire du service du Tuteur général choisit son carré vert en fonction du soleil. Habituée des lieux, elle n'a pas de préférence particulière pour une tombe ou une autre.

A côté de la dernière demeure de la mystérieuse Anna de Krivochapkina, dont le nom russe est écrit en alphabet cyrillique, deux jeunes femmes ont déplié une couverture pour pique-niquer sur l'herbe. «Nous venons ici deux à trois fois par semaine pour le parc. Nous n'avons pas d'intérêt morbide», relèvent Marie et Alizia, 32 et 34 ans, qui travaillent dans l'administration à deux pas de là.

Les autres cimetières de la Ville, ceux de Saint-Georges, Châtelaine et du Petit-Saconnex sont-ils également utilisés comme lieux de détente à midi? «Non, c'est moins le cas. Mises à part les familles qui visitent les tombes, il y a plutôt des promeneurs et des gens qui ont de l'intérêt pour la botanique», précise Jean-Claude Schaulin, chef de -service des pompes funèbres de la Ville de Genève. Le chef de service précise que pique-niquer dans un cimetière n'est pas interdit à condition de se comporter décemment.

A l'écart de l'allée centrale, Jean-Richard Spagnolo, 42 ans, administrateur, se repose à côté de la sobre tombe de Jean Calvin: «C'est un privilège de prendre sa pause à côté du grand Réformateur.» Ironie de l'histoire, la population se réapproprie ce lieu de sépulture des grands. Bien avant d'accueillir des personnalités, le cimetière de Plainpalais recevait les dépouilles des plus modestes.

Au XVe siècle, le terrain était utilisé pour enterrer les défunts de la peste. Propriété de l'Hôpital général jusqu'en 1869, le cimetière fut ensuite cédé à la Ville et devint la dernière demeure des -magistrats et personnalités qui, selon le règlement, ont contribué au rayonnement de Genève.

«Pas un parc, mais un grand jardin»

Le compositeur Ernest -Ansermet, la philosophe Jeanne Hersch, le fondateur de la rythmique Emile Jaques-Dalcroze, le pédagogue Jean Piaget ou l'acteur François -Simon sont quelques-unes des personnalités célèbres qui -reposent aux Rois.

De nos jours, plus que le recueillement sur les tombes, c'est la beauté du parc qui attire les visiteurs de midi. «Je ne considère pas trop l'endroit comme un cimetière, mais plutôt comme un grand jardin. Je n'irai pas à Saint-Georges où les tombes sont rapprochées», observe Evelyne Lambert, 53 ans. Cette employée de l'Hôtel des Finances et sa fille Julie aiment savourer un moment de paix sur un banc.

Sur une tombe blanche aux contours épurés, l'épigraphe «L'intégration de tous les courants constitue le progrès de l'humanité» rappelle la pensée de feu le représentant spécial de l'ONU à Bagdad, Sergio Vieira de Mello. Sylvain Ravot, un employé de banque, 37 ans, révise un examen.

Absorbé dans sa lecture, il n'a même pas remarqué la tombe de l'ancien fonctionnaire international brésilien: «Ah bon? Je ne savais pas qu'il était enterré à Genève.»

Aux Rois, l'espacement des tombes fait presque oublier qu'il s'agit d'un cimetière.

tdg.ch