Le Cri silencieux d'Edvard Munch

Publié le 20 août 2008 par Notabene

L’art d’Edvard Munch est, à plusieurs niveaux, situé à part dans l’histoire de l’art ; débarqué au début des années 90 dans les milieux parisiens et berlinois, Munch y trouve tout d’abord un accueil majoritairement défavorable, souvent dû à son style très particulier.
Heureusement pour lui, Munch est contemporain de l’époque durant laquelle le mystérieux, l’occultisme et l’inexpliqué sont les sujets d’étude de prédilection de certains milieux parisiens que l’artiste fréquente, et dans lesquels il connaîtra le plus gros de ses premiers succès.


A cette époque se développent, notamment, les recherches de Charcot sur l’hystérie clinique, la représentation de l’humain dans les limites de la conscience (cf. illustration: Madone); ces observations et expérimentations deviennent rapidement un puits d’inspiration pour les milieux artistiques et littéraires, qui s’emparent du sujet.
Souvent assimilé aux artistes symbolistes de par la puissance évocatrice et abstraite de ses œuvres, Munch va au-delà des apparences et remodelant la réalité, en analysant l’irrationnel et en faisant appel aux pures émotions.
Selon de Brahm, l’œuvre de Munch serait « la révélation d’une compréhension toute neuve du dédoublement du moi dans la conception artistique », révélation intimement liée aux recherches de Charcot et plaçant Munch dans cette dynamique symboliste qui lui fut souvent attribuée.

« La création de Munch est tellement enveloppée par les voiles de l’inconscience qu’il n’est pas permis de dire d’où il reçoit sa révélation. »
(Oscar Schmitz, Les vêpres de l’art)

Plongée au cœur même des bases philosophiques de la notion d’art, cette courte remarque fait de Munch une sorte de magicien capable de toucher l’âme et les entrailles sans assouvir la soif de réponses de l’esprit ; il s’agit ni plus ni moins de hurlements de couleurs trahissant toute l’angoisse moderne liée à la confrontation entre l’infini universel et l’inexorable finitude humaine.
Yvanhoé Rambosson définissait l’œuvre de Munch comme un effet de terreur né de combinaisons de couleurs, de lignes ou de formes parfois désagréables à l’œil mais incroyablement esthétiques.
Il en est ainsi, par exemple, pour sa plus célèbre toile, Le Cri (cf. illustration), dont les formes coulantes, presque liquides, évoquent une noyade existentielle douloureuse, rendue profondément silencieuse par la force même des formes arrondies qui semblent emprisonner le cri du personnage au premier plan comme des bulles trop solides pour rompre et laisser s’échapper le hurlement.


« M’arrêtant, je m’appuyai à la balustrade, presque mort de fatigue. Au-dessus du fjord bleu noir pendaient des nuages rouges comme du sang et comme des langues de feu. Mes amis s’éloignaient et, seul, tremblant d’angoisse, je pris conscience du grand cri infini de la nature. »

Ce fut justement ce corps-à-corps avec la matière qui attira la majorité de critiques à l’artiste. Son mépris des règles artistiques et sa rudesse d’exécution, parfois assimilée à ses origines scandinaves, font de lui un « teinturier génial » auteur de « gigantesques torchonnages » et de « griffonnages de cancre à l’imagination morbide qui s’embête au lycée » (William Ritter), ou plus communément un « faux naïf » (Frantz Jourdain). Camille Mauclair ira même jusqu’à prôner l’indifférence vis-à-vis des œuvres de l’artiste, qu’il jugeait totalement dénuées d’intérêt.
L’absence d’infrastructures historiques et de suivi artistique dans l’œuvre de Munch fut le principal sujet des critiques qui lui étaient adressées ; son « orange homicide » et son « vert cambrioleur » (Ritter) n’ayant eu aucun précédent dans l’histoire de l’art, la technique impulsive de l’artiste lui fut généralement reprochée.
Aujourd’hui encore, la question peut se poser : Edvard Munch, sincère ou artificiel ?