Carte postale hors Festival, ou j’ai cherché une librairie à Avignon

Publié le 20 août 2008 par Jean-Paul Chapon

Avignon, c’est un peu ma ville mythique, ou ma ville de coeur. Même si je n’ai jamais habité à Avignon, c’est pour moi la ville de mon éveil à la vie, ma ville d’adolescent et après celle des première expériences et de la découverte de la liberté. C’est une ville que je parcours depuis plus de trente ans, dont je hante les librairies et les cafés, les ruelles et les bars, les églises et les palais, les murailles et les places cachées, toujours surveillé dans une enfilade improbable par la haute silouhette du Palais des Papes. Et à force de l’avoir trop aimée, je ne l’aime plus autant. Déjà, je n’ai jamais l’Avignon du Festival, celui de l’invasion des “parisiens” et des intellectuels un peu snobs, on dirait peut-être bobos aujourd’hui pour faire court, qui tranformait les petits restos et troquets sympas en arnaque organisée le temps d’un festival. J’ai toujours été révolté lorsque j’avais 20 ans de voir des affiches pour le Festival d’Avignon sur les murs de Paris, même dans le 15ème arrondissement où j’habitais avec mes parents, et pas dans le village de mon grand-père, à Saint-Saturnin, les quelque dix kilomètres du Palais des papes semblaient ouvrir un fossé infranchissable par la “culture”.

Mardi, je me promenais en ville à la recherche d’une librairie pour offrir à mon père la bande dessinée De Gaulle à la plage que Libération a la bonne idée de publier en feuilleton cet été. Je vais directement à ma librairie favorite, oubliant que je j’ai été infidèle à Avignon ces dix dernières années, n’y passant que quelques jours de ci de là : la librairie a fermé depuis 7 ans me dira-t-on plus loin. En revanche, à l’emplacement ou juste à côté, je n’ai pas fait bien attention, une vitrine pour la dianétique garde pignon sur rue… J’aurais pu aller à la Fnac, mais tant qu’à faire, je préfère aller dans des librairies, des vraies, avec un libraire qui aime les livres, les choisit, sait en parler. Du coup, je vérifie que mon patissier préféré au bas de la rue Saint-Agricol est toujours là, et n’est pas devenu un magasin de fringues comme l’antique Gouas dont les effrayantes “Papalines“, chardon roses et bleus à la liqueur d’Origan du Comtat, étaient le cadeau obligé pour les voisins qui avaient gardé les chats pendant les vacances. Au passage coup d’oeil à la regrettée librairie Roumanille, première victime de la disparition des librairies de la ville du Festival. Celle-là, je l’avais vu fermer pour être remplacée par une boutique de produits à base d’olive, ça veut faire méridional, mais ça s’appelle tout de même “Oliviers & Co”… Reste sur la façade de l’immeuble un bas-relief de Roumanille, libraire et éditeur de Frédéric Mistral, de Mireille aux Iles d’or en passant par Calendal comme le rappelle une plaque à côté de la vitrine. Mais pour moi, c’était avant tout une librairie extraordinaire dans laquelle j’ai appris à aimer les livres et la littérature, les livres neufs dans la première salle et surtout les livres anciens dans la deuxième salle, derrière, la salle des amateurs et des collectionneurs dans laquelle le libraire était heureux de me montrer de belles éditions, à moi le gamin émerveillé.


Au passage, je découvre l’existence de “Délices du Lubéron” et de leur site internet avec possibilité de cadeaux d’entreprises. Provençal factice et commercial, qui transforme la ville en attrape-nigaud pour touristes en mal de produits locaux aussi authentiques qu’ensoleillés. Pauvre Avignon, pourtant hardiment baptisée “Ville d’esprit” sur un plan d’orientation. Ses librairies ferment, ses cinémas aussi, comme ailleurs au profit des super complexes comme ce Pathé avec ses dix salles, pendant culturel cinématographique du Virgin de la zone commerciale de Cap Sud sur la route de Marseille. Je cherche les cinémas Utopia, et découvre avec soulagement que non seulement il existe encore, mais qu’il y a deux cinémas Utopia en ville. Mais l’ancien lieu culturel mythique d’origine est devenu un restaurant de tapas avec connexion wifi ;-)

Echec dans une boutique de bandes dessinées des rues piétonnes du centre ville, elle a vendu le dernier exemplaire de De Gaulle à la plage, mais me dit d’aller chez Amblard, la grande librairie rue Carnot. Soulagement là aussi, la librairie existe encore, et en plus elle est ouverte. Mais elle a fermé son rayon de bandes dessinées, parce qu’elle ne peut pas faire face à la concurrence des grandes surfaces, qui pullulent autour d’Avignon, et de celle de la Fnac, de Virgin et consors. Avignon change, je ne reconnais plus ma ville. Il y a longtemps qu’elle a commencé à changer, comme lorsque l’on a déplacé la statue de la République qui trônait en haut de la place de l’Horloge, le coeur de la ville touristique avec ses terrasses de café pour touristes et festivaliers. Mais le socle de la statue était devenu à cette époque une sorte d’essaim de hippies, qui dormaient dans les buissons de la gare la nuit, et se rassemblaient au pied de la statue dans la journée, les autres tenant quelques boutiques du marché le long du théâtre. Alors on a tout déménagé, le marché des hippies est parti aux pieds de remparts face au Rhône, la statue de la République les a accompagné, les buissons de la gare ont cédé la place au goudron d’un parking. Et sur la place de l’Horloge, un de ces monstrueux pseudo manège à l’ancienne cliquant de sa fausseté. Avignon continue de changer et semble accélérer le mouvement. Boutique chics, boutiques de luxe, même le tissu provençal jadis ringard a eu le temps de devenir tendance et d’être aujourd’hui dépassé, avant peut-être de redevenir ringard ?

Pourtant, la ville n’a jamais été aussi belle, on sent une certaine prospérité dans la ville intra-muros (à Avignon cette appellation recouvre une réalité puisque le centre est encore entouré de remparts, en revanche hors les murs, à Monclar par exemple, c’est une autre histoire), une prospérité qui se voit aux nombreux ravalements de monuments et d’immeubles. Avignon est toujours magnifique, c’est vrai. J’ai revu avec un plaisir que je ne saurais décrire les deux églises jumelles au bout de la place de la Pignotte, une façade baroque et une autre classique, décor théâtral comme romain ou sicilien, se découvrant au hasard d’une ruelle. Et cette pierre blanche qui semble irradier sous la lumière du soleil, contre le bleu intense du ciel de Provence. Alors, pour essayer de retrouver ma ville, je regarderai le ciel.

à suivre…

Jean-Paul Chapon